La République du Congo va vivre un second tour des législatives le 5 août. Un scrutin qui, comme au premier tour, risque d'être déserté. Explications.
Le président congolais Denis Sassou Nguesso, Brazzaville, 26/03/2009, REUTERS/POOL New
23 juillet 2012
Le parti du président Denis Sassou Nguesso a, sans surprise, obtenu une très large avance au premier tour des législatives au Congo organisé le 15 juillet, qui devrait lui permettre de conserver, avec ses alliés, la mainmise sur l'Assemblée nationale.
Le Parti congolais du travail (PCT, au pouvoir) a remporté 57 des 69 sièges pourvus dès la première manche du scrutin, selon les résultats annoncés le 20 juillet par le ministre de l'Intérieur. Le second tour, annoncé au 29 juillet par la Commission nationale électorale (Conel) a été fixé au 5 août par un "décret présidentiel", a déclaré le ministre.
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Le 15 juillet dernier, plus de 2 millions d’électeurs du Congo-Brazzaville étaient appelés à se rendre aux urnes pour choisir 139 députés parmi 1.213 candidats.Ce scrutin législatif a avant tout été marqué par une forte abstention comme l’ont analysé l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) et l’Organisation pour le développement et les droits humains au Congo (ODDHC).
Ils estiment à 15% le taux de suffrage exprimés, à partir de relevés opérés sur 235 bureaux de vote.
Les observateurs de l’Union Africaine et de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (Cemac), d’ordinaire peu enclins à mettre en cause les conditions d’un vote, ont quant à eux constatés «plus de points négatifs que positifs» dans ce premier tour des législatives, citant entre autres «la faible affluence des électeurs».
Mais pourquoi diable les Congolais ne vont-ils plus voter? 5 raisons plus ou moins bonnes pour le comprendre:
1 – Parce qu’à la fin, ce sont toujours les mêmes qui gagnent…
La représentation parlementaire au Congo est jusqu’à présent monopolisée par les membres de la majorité présidentielle, issus du Parti Congolais du Travail (PCT), vestige du socialisme congolais et parti du président congolais Denis Sassou Nguesso.
Sur les 137 sièges de la précédente législature, une douzaine était accordée à des représentants de l’opposition.
Le président Denis Sassou Nguesso est au pouvoir depuis 1979 (malgré une interruption de 5 ans entre 1992 et 1997) et ce sont des proches de son camp ou de sa famille politique qui occupent les principaux postes.
Parmi les candidats aux élections législatives 2012, on peut noter la présence de deux enfants du président congolais.
Claudia Lemboumba Sassou Nguesso, conseillère en communication à la présidence est candidate (PCT) à Talangaï dans la sixième circonscription de Brazzaville.
Denis Cristel Sassou Nguesso, fils du président et membre de la Direction de la Société nationale des pétroles du Congo est quant à lui candidat du PCT à Oyo, fief du président situé à 400 kms au Nord de Brazzaville.
Le gendre de Denis Sassou Nguesso et actuel maire de Brazzaville, Hugues Ngouélondélé se présente dans la circonscription de Gamboma, où il affronte l’un des principaux leaders de l’opposition, le président de l’Alliance pour la République et la Démocratie (ARD) Mathias Dzon
Pour Roch Euloge N’zobo, le responsable des programmes de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme, «la population est las des tripatouillages et (a) estim(é) qu’il (etait) inutile de faire l’effort de se déranger.»
Plusieurs incidents et actes de tricherie ont en effet été relevés par l’OCDH pour ce premier tour des législatives: arrestation à Gamboma de militants de Mathias Dzon, séquestration de représentants du PCT par l’opposition à Mbomo, achat de consciences à Brazzaville, vote de militaires en uniforme sans cartes ni inscriptions sur les listes électorales…
Urfet, un jeune électeur brazzavillois était assesseur dans un bureau de vote de la capitale congolaise. Il témoigne:
«Il y a eu de nombreuses bagarres dans ma circonscription car le candidat sortant s’est présenté en tant qu’indépendant et a refusé de porter les couleurs du PCT malgré les pressions.»
2 – Parce que les électeurs ne savent pas où et si ils peuvent voter
La nécessité d’établir des listes électorales crédibles et de mieux organiser le scrutin explique aussi en grande partie la démobilisation des électeurs selon l’opposition congolaise.
Guy-Romain Kinfoussia est le président de l’UDR-Mwinda, l’Union pour la Démocratie et pour la République, parti de feu le premier ministre André Milongo. Pour lui comme pour l’ensemble des partis d’opposition:
«les listes électorales ne sont pas crédibles. Et elles ne sont sciemment affichées que 24 heures avant le vote. Tous ceux qui n’y figurent pas ou dont le nom est écorché n’ont donc pas le temps de remédier à la situation.»Les listes électorales qui croisent celles de vieux recensements et la liste établie dans la période troublée de 2002 comportent de nombreuses erreurs. On y trouve le nom d’électeurs décédés tandis que des Congolais bien vivants manquent à l’appel.
L’opposition réclame de longue date un recensement administratif extraordinaire pour établir des listes et un redécoupage électoral fiables, contestant la surreprésentation de départements acquis à la majorité.
L’organisation matérielle du scrutin pose aussi problème.
Les cartes d’électeurs sont diffusées bien trop tard pour que les votants aient le temps de prendre connaissance de leurs bureaux et de s’organiser. En outre ces cartes ne sont pas synonymes d’une inscription sur les listes électorales et vice versa.
Les bureaux de vote ont aussi bien du mal à respecter les dispositions prévues dans la loi électorale. Ils ouvrent et ferment à des heures aléatoires, ne disposent pas du matériel suffisant, n’affichent pas les résultats…
3 – Parce que la classe politique dans son ensemble est décrédibilisée
Ce fort taux d’abstention est en outre le signe d’une défiance des électeurs à l’égard de la classe politique congolaise. L’éditorialiste de la Semaine Africaine, bihebdomadaire indépendant congolais stigmatise dans son édition du 17 juillet 2012 «le décalage entre l’opulence affichée par certains candidats et une population, dont la moitié des quatre millions d’habitants ploie sous le joug de la pauvreté.»
Plus de la moitié des Congolais vit en effet sous le seuil de pauvreté dans un pays où la croissance du PIB dépasse les 5% depuis plusieurs années et où une partie des élites se partagent la rente pétrolière, qui représente plus de 80% du PIB du pays.
De manière conjoncturelle, les atermoiements de l’opposition et ses difficultés à formuler une stratégie et un message communs peuvent également expliquer la lassitude des électeurs.
Les membres du principal parti de l’opposition, l’Union Panafricaine pour la Démocratie Sociale (UPADS), parti de l’ancien président Pascal Lissouba (1992-97) qui bénéficie d’une forte implantation électorale dans les régions du centre du pays, n’arrivent pas à résoudre la crise qui le mine entre ralliés au pouvoir et francs opposants.
Quant aux autres partis de l’opposition, dont l’assise électorale est plus modeste, ils peinent à se mettre d’accord, pas aidés il est vrai par le peu de place qui leur est accordée dans les médias et dans le débat public.
Dernière dispute en date en décembre 2011: la participation ou non à une concertation politique organisée par le pouvoir à Ewo pour préparer les élections législatives.
Tandis que certains partis de l’opposition répondent présents, d’autres comme l’ARD de Mathias Dzon boycottent le rendez vous en mettant en cause l’intégrité des participants et la bonne volonté du gouvernement.
Guy-Romain Kinfoussia qui avait pris part à cette discussion, veut garder espoir:
«le choc de l’élection législative et le consensus qui se dégage pour fustiger la légitimité du scrutin vont nous permettre de relancer le Front des partis de l’opposition congolaise (FPOC) dont le rôle est de nous rassembler. Toutes les forces politiques crédibles de ce pays vont manifester la volonté de se remettre en ordre de marche.»
4 – Parce que la guerre civile a laissé des traces
Enfin plus largement, le détournement de la politique peut être resitué dans la perspective historique d’un pays «post-conflit», qui a connu les violents épisodes de la guerre civile de 1993 à 2002.
Parmi de nombreux autres facteurs, les manœuvres, les ambitions électorales personnelles et contradictoires ne sont pas étrangères aux épisodes tragiques qu’a connus le pays.
Même si la situation est apaisée aujourd’hui, un climat de peur et de crainte subsiste.
Et dans ce contexte, comme l’analyse avec finesse l’anthropologue Remy Bazenguissa-Ganga, une partie de la population notamment les jeunes se «dépolitise», pour éviter d’ajouter aux difficultés économiques des conflits d’ordre politique.
Un fort contraste se dessine ainsi entre le discours des Congolais installés dans le pays et ceux de la diaspora, qui loin des fourches caudines du pouvoir se montrent beaucoup plus virulents dans la dénonciation des travers du régime, notamment sur le web.
5 – Parce que l’inventivité des slogans des candidats ne suffit plus
Il faut croire que malgré leur inventivité les slogans de campagne n’ont pas suffi à mobiliser les électeurs.
Une journaliste de Jeune Afrique a listé avec humour certains slogans que les candidats font peindre sur des banderoles accrochées en ville.
Au palmarès des formules les plus étonnantes: «ce n’est pas le chemin qui est difficile mais c’est difficile qui est le chemin»; ou encore une subtile référence au printemps arabe où l’on note le jeu d’allitérations en «t» et «r» «Place Tahrir ne trahira pas»; et enfin une promesse sportive (quasi) mensongère: «Enfin le Congo champion du monde!»
Il faut dire que dans le registre du slogan de campagne, le président congolais Denis Sassou Nguesso avait ouvert la voie lors de l’élection présidentielle 2009, avec le nom choisi pour son projet politique: «le chemin d’avenir.»
Hervé Keruet
SlateAfrique
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