Vendredi, 21 Septembre 2012
Les Nyatura pour les Hutus et les Raia Mutomboki pour les Batembo : dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu, chaque communauté a désormais son groupe armé qui veut en découdre avec l'autre pour assurer sa sécurité. Personne ne compte sur les militaires congolais, souvent jugés corrompus. Reportage.
Bulambika, à 85 km de Bukavu, la capitale du Sud Kivu, en territoire de Kalehe, un vendredi soir de septembre, une file d’une centaine d’hommes traverse l’artère principale. Vêtus de raphia, ils portent des peaux d’animaux sauvages et une profusion de gris-gris.
Lances, machettes, fusils calibre 12 (des armes de chasse) et kalachnikov à la main, ils partent se battre dans les hauts plateaux de Kalehe à près d’une centaine de kilomètres de là. Ce sont des Raia Mutomkobi ("Citoyens en colère") prêts à tout pour défendre les leurs contre les Fdlr.
Dans la file, on remarque une bonne vingtaine d’enfants âgés de 10 à 16 ans. "Mukubwa, unisaidiye hata na za cigarette" (Grand-frère, aidez-moi, même avec un petit rien, que je me paye une cigarette), lance un enfant de la même taille que son vieux calibre 12.
"Lorsque les ennemis nous attaquent, ils ne font pas de distinction entre enfants et adultes, ils tuent même les fœtus", répond-il à notre question sur son jeune âge, avant de rejoindre, au pas de course et la cigarette à la bouche, ses frères d’armes.
L’un d’entre eux, considéré comme dirigeant de cette unité, nous déclare qu’ils vont secourir leurs frères des hauts-plateaux contre les Nyatura ("Qui écrasent tout sur leur passage"), qu’il qualifie d’éléments étrangers en connivence avec les Fdlr.
"Notre objectif est de nettoyer tout notre territoire de ces bandits étrangers et ensuite nous les poursuivrons jusque dans leurs derniers retranchements", hurle, celui que ses hommes appellent "Commandant Zéro-Zéro".
C’est en avril-mai 2012 que la situation a dégénéré dans la région : massacre du 14 mai, perpétré à Kamananga par les Fdlr, qui aurait fait 40 morts, suivi par l’attaque du camp de la Monusco par les Raia Mutomboki qui a fait une dizaine de blessés, dont certains grièvement du côté des casques bleus.
"Assurer notre survie comme communauté"
"Les Fdlr sont nos ennemis. Dès lors que nos frères hutu avec qui nous avons eu des bonnes relations depuis toujours, se sont unis à eux avec leur milice Nyatura, nous les traitons comme des Fdlr et avons l’obligation historique de nous en débarrasser par tous les moyens", martèle un notable proche de Raia Mutomboki à Bunyakiri.
"Nos frères batembo ne nous acceptent pas, ils nous traitent comme des ‘moins’ nationaux et veulent toujours nous dominer", constate Sengiyunva Jean, notable hutu, à Lumbishi, dans les hauts-plateaux de Kalehe.
"C’est pour protéger nos frères, nos troupeaux, fermes et champs que nous avons pris les armes", insiste un commandant de Nyatura, pantalon de camouflage et bottines noires en caoutchouc, s’appuyant sur sa longue canne, protégé par six gardes dont quatre armés de kalachnikov et deux de mitraillettes lourdes.
"Nous ne sommes pas un mouvement politico-militaire jusque-là, il est juste question d’assurer notre survie comme communauté", ajoute-t-il.
Trafic d'arme et de minerais
"Nous nous battons avec des armes que nous récupérons auprès de l’ennemi. Notre plus grande arme, c’est notre détermination à protéger les nôtres" affirme-t-il. Un chef d’une localité des hauts-plateaux de Kalehe, sous contrôle des Nyatura, témoigne : "La population fait des collectes de vivres et parfois d’un peu d’argent pour aider nos frères dans leur combat".
Pourtant, selon des sources locales, une vaste plaine, aux environs de Numbi, à une cinquantaine de kilomètre de Kalehe-centre, servirait de piste d’atterrissage à de petits avions et hélicoptères autres que ceux de la Monusco. Ils assureraient l’approvisionnement en armes et l’évacuation de minerais exploités dans cette partie du Sud-Kivu, notamment le coltan, l’or, tourmaline, etc.
Plusieurs tentatives de médiation entre les deux communautés ont été initiées. Toutes ont accouché d’une souris. Le dernier rendez-vous, organisé à Bukavu en juin dernier, sous l’égide du gouverneur de province du Sud-Kivu, a regroupé les représentants de ces deux communautés (hutu et batembo) et d’autres vivant dans le territoire de Kalehe.
De simples déclarations de bonne volonté ont sanctionné ces assises. "Parmi ceux qui se réunissent pour de soi-disant médiations pour une cohabitation pacifique, certains nous soutiennent et nous ravitaillent", reconnait un commandant de Nyatura. "Où pensez-vous que je pourrais trouver ce téléphone ?", nous demande-t-il, brandissant son téléphone satellite encore neuf.
Selon, des analystes, des notables, fils et filles du terroir, alimenteraient ce conflit. "Nous sommes en parfaite collaboration avec les leaders de notre communauté et nous avons leur appui", renseigne un commandant de Raia Mutomboki de l’axe Kambegeti, à Bunyakiri.
Certains craignent une proche récupération politicienne de la situation. "A l’allure où vont les choses, ces groupes, aujourd’hui sans véritables structures, ne tarderont pas à s'en doter. De la protection de leurs communautés, comme ils le disent, on assistera à des véritables rébellions visant à prendre part aussi au partage du gâteau, les négociations venues", craint Jossart, enseignant d’université.
L'armée très critiquée
Les habitants soutiennent chacun leurs groupes armés et manquent de confiance en l’armée et même en la Monusco. "Depuis des dizaines d’années les Fdlr occupent nos terres et nous font souffrir. Notre armée est incapable de les chasser, devrions-nous continuer à mourir ?", s’interroge un notable de Kambegeti, à Bunyakiri.
Pour ce septuagénaire, tous les fils devraient intégrer les Raia Mutomboki et constituer ainsi des forces de réserve. "Six centres d’initiation (qu’on appelle dans la langue d’ici "yando") sont déjà opérationnels dans ce secteur et nous y allons en grand nombre", nous informe un jeune, motocycliste de son état, qui vient de passer une semaine dans l’un de ces centres.
Il soulève son tricot pour nous montrer un gris-gris attaché à son biceps gauche. Beaucoup d'entre eux croient que ces gris-gris les rendent invulnérables aux balles.
Ici, presque toute la population, les jeunes en particulier, est dans cette milice. "Je suis un véritable Raia Mutomboki, le jour où ça barde, je rejoindrai les autres au front. Il faut que certains se battent et d’autres continuent à travailler, sinon, ils mourraient de faim ", nous explique Masumbuko, la vingtaine révolue, tenancier d’une petite boutique dans la cité de Bulambika à Bunyakiri.
L’action de l’armée est très critiquée dans cette contrée. "Ils sont plus commerçants et exploitants miniers que militaires, s’insurge un activiste de la société civile.
"Pour les minerais, ils sont prêts à tout. Ils vendent même leurs armes et munitions en échange d’or, de cassitérite ou de coltan", s’indigne-t-il. "Certains officiers transigent avec les Fdlr, notamment, et aident ces derniers à évacuer leurs matières premières vers les villes", révèle un lieutenant Fardc.
"Le business avant tout, la guerre c’est une affaire de politiciens, ce sont eux qui l’initient et l’entretiennent", avoue-t-il.
"Nous n’avons pas de problèmes avec les Fardc", explique un Raia Mutomboki en tenue traditionnelle, kalachnikov à l’épaule, au marché de Bunyakiri, serrant la main à un militaire Fardc.
Les responsables militaires classent pourtant ce groupe armé et tous les autres de la région dans la catégorie de "forces négatives" à démanteler...
Jean Chrysostome Kijana
Les Nyatura pour les Hutus et les Raia Mutomboki pour les Batembo : dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu, chaque communauté a désormais son groupe armé qui veut en découdre avec l'autre pour assurer sa sécurité. Personne ne compte sur les militaires congolais, souvent jugés corrompus. Reportage.
Bulambika, à 85 km de Bukavu, la capitale du Sud Kivu, en territoire de Kalehe, un vendredi soir de septembre, une file d’une centaine d’hommes traverse l’artère principale. Vêtus de raphia, ils portent des peaux d’animaux sauvages et une profusion de gris-gris.
Lances, machettes, fusils calibre 12 (des armes de chasse) et kalachnikov à la main, ils partent se battre dans les hauts plateaux de Kalehe à près d’une centaine de kilomètres de là. Ce sont des Raia Mutomkobi ("Citoyens en colère") prêts à tout pour défendre les leurs contre les Fdlr.
Dans la file, on remarque une bonne vingtaine d’enfants âgés de 10 à 16 ans. "Mukubwa, unisaidiye hata na za cigarette" (Grand-frère, aidez-moi, même avec un petit rien, que je me paye une cigarette), lance un enfant de la même taille que son vieux calibre 12.
"Lorsque les ennemis nous attaquent, ils ne font pas de distinction entre enfants et adultes, ils tuent même les fœtus", répond-il à notre question sur son jeune âge, avant de rejoindre, au pas de course et la cigarette à la bouche, ses frères d’armes.
L’un d’entre eux, considéré comme dirigeant de cette unité, nous déclare qu’ils vont secourir leurs frères des hauts-plateaux contre les Nyatura ("Qui écrasent tout sur leur passage"), qu’il qualifie d’éléments étrangers en connivence avec les Fdlr.
"Notre objectif est de nettoyer tout notre territoire de ces bandits étrangers et ensuite nous les poursuivrons jusque dans leurs derniers retranchements", hurle, celui que ses hommes appellent "Commandant Zéro-Zéro".
C’est en avril-mai 2012 que la situation a dégénéré dans la région : massacre du 14 mai, perpétré à Kamananga par les Fdlr, qui aurait fait 40 morts, suivi par l’attaque du camp de la Monusco par les Raia Mutomboki qui a fait une dizaine de blessés, dont certains grièvement du côté des casques bleus.
"Assurer notre survie comme communauté"
"Les Fdlr sont nos ennemis. Dès lors que nos frères hutu avec qui nous avons eu des bonnes relations depuis toujours, se sont unis à eux avec leur milice Nyatura, nous les traitons comme des Fdlr et avons l’obligation historique de nous en débarrasser par tous les moyens", martèle un notable proche de Raia Mutomboki à Bunyakiri.
"Nos frères batembo ne nous acceptent pas, ils nous traitent comme des ‘moins’ nationaux et veulent toujours nous dominer", constate Sengiyunva Jean, notable hutu, à Lumbishi, dans les hauts-plateaux de Kalehe.
"C’est pour protéger nos frères, nos troupeaux, fermes et champs que nous avons pris les armes", insiste un commandant de Nyatura, pantalon de camouflage et bottines noires en caoutchouc, s’appuyant sur sa longue canne, protégé par six gardes dont quatre armés de kalachnikov et deux de mitraillettes lourdes.
"Nous ne sommes pas un mouvement politico-militaire jusque-là, il est juste question d’assurer notre survie comme communauté", ajoute-t-il.
Trafic d'arme et de minerais
"Nous nous battons avec des armes que nous récupérons auprès de l’ennemi. Notre plus grande arme, c’est notre détermination à protéger les nôtres" affirme-t-il. Un chef d’une localité des hauts-plateaux de Kalehe, sous contrôle des Nyatura, témoigne : "La population fait des collectes de vivres et parfois d’un peu d’argent pour aider nos frères dans leur combat".
Pourtant, selon des sources locales, une vaste plaine, aux environs de Numbi, à une cinquantaine de kilomètre de Kalehe-centre, servirait de piste d’atterrissage à de petits avions et hélicoptères autres que ceux de la Monusco. Ils assureraient l’approvisionnement en armes et l’évacuation de minerais exploités dans cette partie du Sud-Kivu, notamment le coltan, l’or, tourmaline, etc.
Plusieurs tentatives de médiation entre les deux communautés ont été initiées. Toutes ont accouché d’une souris. Le dernier rendez-vous, organisé à Bukavu en juin dernier, sous l’égide du gouverneur de province du Sud-Kivu, a regroupé les représentants de ces deux communautés (hutu et batembo) et d’autres vivant dans le territoire de Kalehe.
De simples déclarations de bonne volonté ont sanctionné ces assises. "Parmi ceux qui se réunissent pour de soi-disant médiations pour une cohabitation pacifique, certains nous soutiennent et nous ravitaillent", reconnait un commandant de Nyatura. "Où pensez-vous que je pourrais trouver ce téléphone ?", nous demande-t-il, brandissant son téléphone satellite encore neuf.
Selon, des analystes, des notables, fils et filles du terroir, alimenteraient ce conflit. "Nous sommes en parfaite collaboration avec les leaders de notre communauté et nous avons leur appui", renseigne un commandant de Raia Mutomboki de l’axe Kambegeti, à Bunyakiri.
Certains craignent une proche récupération politicienne de la situation. "A l’allure où vont les choses, ces groupes, aujourd’hui sans véritables structures, ne tarderont pas à s'en doter. De la protection de leurs communautés, comme ils le disent, on assistera à des véritables rébellions visant à prendre part aussi au partage du gâteau, les négociations venues", craint Jossart, enseignant d’université.
L'armée très critiquée
Les habitants soutiennent chacun leurs groupes armés et manquent de confiance en l’armée et même en la Monusco. "Depuis des dizaines d’années les Fdlr occupent nos terres et nous font souffrir. Notre armée est incapable de les chasser, devrions-nous continuer à mourir ?", s’interroge un notable de Kambegeti, à Bunyakiri.
Pour ce septuagénaire, tous les fils devraient intégrer les Raia Mutomboki et constituer ainsi des forces de réserve. "Six centres d’initiation (qu’on appelle dans la langue d’ici "yando") sont déjà opérationnels dans ce secteur et nous y allons en grand nombre", nous informe un jeune, motocycliste de son état, qui vient de passer une semaine dans l’un de ces centres.
Il soulève son tricot pour nous montrer un gris-gris attaché à son biceps gauche. Beaucoup d'entre eux croient que ces gris-gris les rendent invulnérables aux balles.
Ici, presque toute la population, les jeunes en particulier, est dans cette milice. "Je suis un véritable Raia Mutomboki, le jour où ça barde, je rejoindrai les autres au front. Il faut que certains se battent et d’autres continuent à travailler, sinon, ils mourraient de faim ", nous explique Masumbuko, la vingtaine révolue, tenancier d’une petite boutique dans la cité de Bulambika à Bunyakiri.
L’action de l’armée est très critiquée dans cette contrée. "Ils sont plus commerçants et exploitants miniers que militaires, s’insurge un activiste de la société civile.
"Pour les minerais, ils sont prêts à tout. Ils vendent même leurs armes et munitions en échange d’or, de cassitérite ou de coltan", s’indigne-t-il. "Certains officiers transigent avec les Fdlr, notamment, et aident ces derniers à évacuer leurs matières premières vers les villes", révèle un lieutenant Fardc.
"Le business avant tout, la guerre c’est une affaire de politiciens, ce sont eux qui l’initient et l’entretiennent", avoue-t-il.
"Nous n’avons pas de problèmes avec les Fardc", explique un Raia Mutomboki en tenue traditionnelle, kalachnikov à l’épaule, au marché de Bunyakiri, serrant la main à un militaire Fardc.
Les responsables militaires classent pourtant ce groupe armé et tous les autres de la région dans la catégorie de "forces négatives" à démanteler...
Jean Chrysostome Kijana
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