samedi 24 novembre 2012

Cinq questions après la chute de Goma

Symboliquement, que représente la chute de Goma ?


Une humiliation pour plusieurs acteurs, voilà ce que signifie la prise de Goma.

En premier lieu pour l’armée congolaise, car même si plusieurs bataillons se sont bien comportés et ont remporté des succès initiaux, la logistique n’a pas suivi, les ordres ont été contradictoires.

D’où le soupçon de trahison à l’encontre de la hiérarchie. Humiliation aussi pour le pouvoir de Kinshasa, qui avait refusé avec hauteur toute négociation avec les rebelles, mais sans avoir réellement les moyens d’une solution militaire.

Humiliation surtout pour la force onusienne, la plus importante et la plus coûteuse jamais déployée, rendue incapable, faute d’un mandat suffisant, de faire face à quelques milliers de rebelles tout comme elle se montre incapable de protéger les femmes victimes de violences sexuelles. La France, en urgence, a proposé de modifier le mandat de la Monusco. Mais est il encore temps ?

Humiliation enfin pour la « communauté internationale » A la veille d’une réunion du « comité des sanctions » de l’ONU, elle s’avère incapable de faire exécuter les mandats d’arrêt de la justice internationale contre les chefs de guerre, incapable de mettre en œuvre des sanctions dissuasives, incapable de faire respecter la souveraineté et les frontières d’un Etat membre, le Congo, incapable de proposer une solution de longue durée.

Humiliation aussi pour la diplomatie belge, tenue pour partie négligeable.

Quelles seront les conséquences de cette défaite militaire ?

Une vague d’indignation et de colère traverse toute la RDC : des locaux de la Monusco ont été attaqués à Kisangani et pourraient l’être à Bukavu, dans tout le pays les étudiants se mobilisent pour manifester dans les jours à venir.

Les Congolais se sentent trahis par la communauté internationale mais leur colère se dirige aussi vers Kinshasa. L’opposition, au lieu de privilégier l’unité nationale face au danger de balkanisation du pays, préfère attaquer le chef de l’Etat ; certains de ses représentants ont eu des contacts avec les rebelles.

Vital Kamerhe, qui démissionna à la suite des accords de 2009 avec le Rwanda prône aujourd’hui la négociation.

Le président Kabila, qui avait réussi à organiser le sommet de la francophonie dans de bonnes conditions, ainsi que le Premier Ministre Matata Mponyo, artisan d’une embellie économique, sortent affaiblis de la crise actuelle : « actionnés » par les rebelles et leurs alliés, de multiples groupes armés se réveillent au Kivu mais aussi au Kasaï et ailleurs, confortant l’image du « chaos congolais » que Kigali s’emploie à promouvoir pour occulter sa propre responsabilité.

En outre, la politique de « brassage » et d’intégration de groupes rebelles ayant permis l’infiltration de l’armée jusqu’au plus haut niveau, les militaires sont hantés par le soupçon de trahison, qui s’ajoute à la maladie chronique – et nationale – de la corruption.

Si Kinshasa refuse de négocier, les rebelles pourraient pousser jusqu’à Bukavu et on pourrait assister à une tentative de changement de régime à Kinshasa, le chef de l’Etat ayant déjà échappé à plusieurs tentatives d’assassinat.

Que veulent les rebelles du M23 et leurs alliés rwandais ?

Les revendications initiales des mutins étaient assez simples : ils exigeaient que soient respectés les accords conclus entre Kinshasa et Kigali le 23 mars 2009 prévoyant leur intégration dans l’armée congolaise, des promotions en grade, de meilleurs salaires.

En réalité, un certain nombre d’officiers et de militaires issus des anciennes rébellions soutenues par le Rwanda refusèrent leur affectation dans d’autres provinces du Congo. Ils souhaitaient maintenir dans l’Est du pays une sorte d’« armée dans l’armée » et une administration parallèle garante des intérêts sécuritaires et surtout économiques du Rwanda et de certains de ses alliés Tutsis congolais.

Après quelques revers, les rebelles, soutenus de l’extérieur, ont haussé le niveau de leurs exigences : ils affirment vouloir lutter contre la corruption, exigent des négociations avec Kinshasa qui incluraient l’opposition politique, la société civile et la diaspora.

Ils ne dissimulent plus leur ambition de vouloir renverser le président Kabila et comptent sur le soutien de divers alliés au sein de la classe politique, comme l’ex député Roger Lumbala aujourd’hui réfugié en France.

Prônant un changement de régime, ils estiment pouvoir capitaliser sur les faiblesses du pouvoir : des élections contestées, l’affaire Chebeya, les lenteurs de la réforme de la Commission électorale, l’affairisme au sommet de l’Etat, le mécontentement suscité par la politique de rigueur du Premier Ministre. La guerre a aussi bloqué l’arrestation de Bosco Ntaganda et autres criminels.

Comment expliquer l’implication du Rwanda ?

L’implication du Rwanda au Nord et au Sud-Kivu a été longtemps justifiée par des raisons sécuritaires : empêcher les incursions des miliciens hutus et le retour de l’idéologie du génocide, protéger les « cousins » Tutsis congolais.

Aujourd’hui les forces hutues (moins de 2.000 hommes) ne représentent plus une menace, les Banyamulenge du Sud-Kivu sont fidèles à Kinshasa. Mais Kigali, sans l’exprimer ouvertement, souhaite que l’Est du Kivu demeure une zone de « souveraineté partagée » et veut pouvoir compter sur une « armée dans l’armée » et sur des alliés politiques locaux.

Au cœur de cette ambition, la sécurité, mais surtout l ’économie : le Rwanda fonde son expansion et son rôle au sein de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (Comesa) sur le fait d’être un « hub » aérien et une plaque tournante pour l’exportation des minerais extraits au Congo (coltan, cassitérite, terres niobium, etc.)

La découverte de gisements pétroliers a aiguisé les appétits : la société britannique SOCO (qui a des bureaux à Kigali) a entrepris des prospections pétrolières dans le parc des Virunga au Nord-Kivu.

Quant au gisement de pétrole découvert sous le lac Albert, son exploitation devrait être partagée entre l’Ouganda (qui va se doter d’une raffinerie) et le Congo.

Mais la nappe se prolongeant jusque Rutshuru, aux mains des rebelles, le Rwanda, via ses alliés du M23, pourrait revendiquer de prendre sa part du pactole.
Quels sont les scénarios de sortie de crise ?

Sous les auspices de la Conférence internationale sur la sécurité dans les grands lacs qui se tient à Kampala, une négociation a déjà commencé de facto, les présidents Kabila et Kagame étant appelés à se rencontrer.

S’il veut enrayer une descente des rebelles sur Bukavu, le président congolais devra peut-être lâcher du lest. Mais des concessions le fragiliseront plus encore et il n’est pas certain que le scénario d’un changement de régime puisse être enrayé.

Quant à la « communauté internationale » en dépit des pressions britanniques et américaines qui lissent toute résolution onusienne épinglant le Rwanda, elle pourrait, à l’initiative de la France, modifier le mandat de la Monusco, le rendre plus offensif afin d’imposer au Kivu le maintien de l’autorité légale.

Des sanctions à l’encontre des soutiens du M23 pourraient être décidées, mais il n’est pas sûr qu’elles fassent fléchir Kigali, qui persiste à nier toute implication.

La « force neutre » censée se déployer sur la frontière entre le Rwanda et le Congo, faute de financements et de contributeurs volontaires, n’a jamais été autre chose qu’un concept opérationnel.

Seule une « force non neutre », c’est-à-dire offensive, à laquelle participeraient des pays « amis » du Congo, (des Etats d’Afrique australe ont été pressentis) pourrai faire basculer le rapport de forces, imposer le rétablissement de la souveraineté congolaise et restaurer la légalité.

Mais les Etats n’ont que des intérêts, et guère d’amis.

Le carnet de Colette Braeckman

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