vendredi 24 mai 2013

L’impossible Etat de droit au Congo



Quand nous appelons les constitutions africaines et les institutions étatiques qu’elles définissent à la barre pour mieux éclairer leur responsabilité dans l’effondrement généralisé du continent et quand nous plaidons pour la mise en place des institutions adaptées aux réalités locales du pouvoir afin d’asseoir enfin les bases de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance, nous n’écartons nullement la responsabilité de l’homme.

Celle-ci reste entière, car c’est bien à l’homme qu’il appartient de mettre son cerveau au service de sa nation pour que les institutions fortes fassent en sorte que les hommes forts deviennent une espèce en voie de disparition.

Les dictateurs ont aussi de l’amour patriotique

La responsabilité de l’homme ne renvoie pas à ce que l’on entend si souvent dans les milieux congolais, à savoir la présence ou l’absence de volonté politique ou encore d’amour patriotique. On peut bien avoir la volonté de bien faire de même qu’aimer son pays, mais mal gouverner tout simplement parce qu’on ne sait pas comment s’y prendre.

Si déjà au niveau des intellectuels les plus diplômés les causes de l’Etat de non-droit et de la mauvaise gouvernance divergent et partant leurs remèdes, à fortiori pour ceux qui arrivent au pouvoir par un coup de hasard (chance eloko pamba), gérer la res publica peut se résumer en un manque de stratégie appropriée.

Mobutu avait l’humilité de confesser que quand il était devenu chef de l’Etat, il ne savait par où commencer. Dans ses meetings populaires, il lui arrivait de se demander tout haut ce qu’il pouvait bien faire pour rendre son peuple heureux. Il était sincère. Il aimait bien son peuple. Mais il n’avait aucune recette pour lui donner la prospérité auquel il avait pourtant droit.

Alors que les problèmes de l’armée nationale sont bien connus, notamment le favoritisme de tout genre qui démotive et entraîne un manque de perspective de carrière, les salaires de misère et leurs détournements, etc., du haut de son marxisme cocotier, Laurent-Désiré Kabila avait estimé que le problème résidait dans la mentalité du soldat qu’il fallait changer. Il a gavé ce dernier de séances de rééducation à la base militaire de Kitona sans que celles-ci n’aient le moindre impact.

Quand aujourd’hui on jette l’anathème sur Joseph Kabila, on oublie, hélas, que celui-ci est arrivé au pouvoir sans avoir le moindre bagage intellectuel pouvant lui permettre d’insuffler une dynamique nouvelle en rupture avec le passé dictatorial. A cet égard, il n’est pas différent du commun des Congolais.

Lui aussi s’est retrouvé sans le savoir et sans le vouloir dans un mauvais système institutionnel dont il ne connait les causes profondes, même s’il est le premier à en tirer les plus grands bénéfices personnels. On comprend ses errements quand il cherche à en sortir.

Parfois, il pense que le Congo est la Chine de demain. Parfois, il regrette de n’avoir pas encore trouvé la dizaine d’hommes qu’il lui faudrait pour pousser le pays de l’avant.

L’importance d’un visionnaire

Qu’il s’impose par les urnes ou par les armes, un président de la république peut mettre en place une dynamique qui instaure l’Etat de droit et la bonne gouvernance dans son pays. Encore faut-il qu’il pose le bon diagnostic sur l’Etat de non-droit et la mauvaise gouvernance et qu’il y apporte le remède qui convient.

Dans notre vie de bourlingueur, nous avons eu la chance de rencontrer un chef d’Etat qui avait volontairement renoncé au pouvoir que lui donnait une clause constitutionnelle parce que celle-ci favorisait la mauvaise gouvernance. Il s’agit de la présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf.

Après avoir contribué à l’organisation des élections qui l’avaient hissée à ce poste, en notre qualité de conseiller électoral provincial chargé de la formation électorale et de l’éducation électorale et civique de la population dans la province de Lofa en 2004-2005, nous étions rentrés dans ce pays en 2006 pour aider à la restauration de l’autorité de l’Etat à travers l’ensemble du territoire national.

Comme tous ses prédécesseurs, la présidente Ellen Johnson Sirleaf avait le droit de choisir et de nommer comme bon lui semblait les gouverneurs des quinze provinces et les commissaires de tous les districts du pays. Cela était d’autant plus aisé qu’elle venait de gagner les élections dans le cadre de la démocratie partisane et conflictuelle, car nombreux de ses partisans attendaient d’être rétribués.

Contre toute attente, la présidente, consciente du fait que ce pouvoir constitutionnel ouvrait grandement la porte au clientélisme, ingrédient par excellence de l’Etat de non-droit et de la mauvaise gouvernance, renonça à son pouvoir.

Faute de modifier la constitution, elle demanda à la communauté internationale de l’aider à organiser son peuple de manière à ce que chaque province se choisisse un gouverneur et un vice-gouverneur et chaque district, un commissaire à travers un processus qui combinait à la fois des consultations populaires et le processus électoral classique.

Pour piloter ce processus, deux experts internationaux étaient déployés dans chaque province. Notre équipe, composée de notre superviseuse, une diplomate chevronnée de la République des Maldives, et de nous-mêmes, était basée dans la province de Margibi, qui abrite la plantation d’hévéa la plus grande au monde, celle de la multinationale américaine Firestone.

Nous avions vite compris que notre superviseuse, qui découvrait pour la première fois le continent noir, ne connaissait pas grand-chose de la politique africaine en dépit de son grand profil en diplomatie. Aussi lui avions-nous demandé de nous laisser les mains libres pour mettre en place un plan de travail afin de mieux organiser la population.

Puisque la présidente elle-même avait fait fi de son propre parti, nous avions décidé de faire de même d’autant plus que pour nous, les partis en Afrique sont plus une source de nuisance plutôt que de bonne gouvernance. Nous avions alors appliqué les idées que nous avons toujours défendues au chapitre de la démocratie, en organisant la population suivant les différentes identités communautaires qui la composaient à l’intérieur de la province et de chaque district.

Chaque communauté avait choisi librement ses représentants, devenus de grands électeurs. Nous avions convoqué ces derniers au chef-lieu de la province et nous les avions encadrés afin de définir les profils des candidats aux postes de gouverneur, vice-gouverneur et commissaire de district, avant de passer au processus électoral classique avec le dépôt des candidatures jusqu’à l’élection et la publication des résultats.

Pendant que d’autres provinces se débattaient encore à élaborer des plans de travail acceptés par la population, nos idées simples, que des Congolais prennent pour des élucubrations puisque ne venant pas de tel ou tel autre penseur politique occidental, avaient permis à la province de Margibi d’être la toute première à déposer les noms des candidats sélectionnés à la présidente de la république.

Comme on devait s’y attendre, au sommet de la province, le gouverneur était d’Upper-Margibi (Haut-Margibi) et le vice-gouverneur de Lower-Margibi (Bas-Margibi), les deux plus grandes identités communautaires de la province. A la satisfaction générale de la population.

Ainsi, l’unité de la province était une réalité et non l’illusion que créent les partis politiques dans pareille circonstance. Non seulement nous étions les premiers, mais en plus, contrairement à plusieurs provinces, notre liste n’avait souffert d’aucune contestation une fois arrivée à destination.

Dans certaines provinces, les contestations avaient atteint des dimensions si inquiétantes que la présidente, qui voulait éviter le clientéliste, était obligée de trancher et de nommer des clients à elle.

Conclusion

Le clientélisme est le premier mal dont souffrent les Etats africains. Les germes de ce mal se trouvent confortablement installés dans les constitutions et les institutions étatiques qu’elles définissent. Pour qu’il y ait Etat de droit et bonne gouvernance, il faut d’abord poser ce bon diagnostic.

Combien d’intellectuels et hommes politiques congolais ou africains ont déjà pris le temps de réfléchir à ces questions pourtant primordiales ?

Parmi ceux qui l’ont déjà fait, combien ont réussi à poser le bon diagnostic ?

Qui n’a pas encore entendu des diagnostics farfelus même de la part de plus grands diplômés : malédiction, maladie congénitale, manque de maturité, manque de volonté politique, manque de patriotisme, manque de culture démocratique, absence de langue commune, rivalités ethniques ou encore le mal, c’est Mobutu, etc. ?

Il ne suffit pas de poser le diagnostic. Encore faut-il trouver le bon remède pour éradiquer le mal. Pour effectuer cette double démarche rationnelle, l’intelligence humaine peut intervenir à deux niveaux. Au niveau collectif, lors d’une consultation nationale telle que la conférence nationale.

Malheureusement, le fanatisme de la liberté, combiné au complexe du colonisé, avait pris la conférence nationale en otage. Elle était devenue une véritable confusion nationale qui avait accouché de mécanismes institutionnels boiteux.

D’où la pérennité de la dictature sous un vernis démocratique. Et quand une nation n’est pas capable de se prendre en charge, il arrive, cas rarissime, qu’elle puisse compter sur un homme providentiel qui aurait la capacité intellectuelle de poser un bon diagnostic, de découvrir le remède qu’il faut et d’avoir la volonté politique de l’administrer à son pays.

Cet oiseau rare, c’est ce qui s’appelle homme providentiel. Ce serait pire folie pour une nation que de croiser les bras et d’attendre sa venue d’autant plus que personne ne peut prévoir son ascension. Il convient donc que l’intelligence collective soit mise à contribution au moment opportun.

Et des moments opportuns, le Congo en a eu à revendre au cours de son histoire, les derniers en date étant la conférence nationale dite souveraine et Sun City.

Economiste formée aux États-Unis et première femme élue au suffrage universel à la tête d’un État africain, Ellen Johnson Sirleaf était consciente du fait que le clientélisme est le premier ennemi de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance. Mais a-t-elle pour autant trouvé le bon remède contre cet ennemi coriace ? Non.

La présidente libérienne s’était contentée d’une demi-mesure qui ne pouvait donner que de maigres résultats. Le remède approprié voudrait que les constitutions définissent les institutions de telle manière qu’elles traquent le clientélisme partout, à commencer par le sommet de l’Etat.

Quand celui-ci devient une zone de droit, l’Etat de droit et la bonne gouvernance ne peuvent que répondre présents au rendez-vous de l’histoire.

Pascal Mwamba Kabeya
Direct!cd

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