lundi 18 novembre 2013

Rwanda - RDC : ennemis intimes

18/11/2013
 
 

L’armée congolaise reprend le contrôle de la base militaire de Rumangabo, le 28 octobre. © Kay Joseph/Sipausa/Sipa

Pomme de discorde entre la RDC de Kabila et le Rwanda de Kagamé, les rebelles du Mouvement du 23-Mars ont finalement concédé une défaite historique. Mais la méfiance entre les deux voisins reste tenace.

On raconte qu'au XVe siècle les habitants du royaume du Rwanda fuirent leur pays devant l'avancée des Bunyoro, des envahisseurs venus du Nord, pour se réfugier chez les Bashi, de l'autre côté du lac Kivu, dans l'actuelle RD Congo. 


Initialement bonne, la cohabitation entre les deux peuples se dégrada progressivement, jusqu'à ce qu'un contentieux pousse les Banyarwanda à partir reconquérir leurs terres...

Depuis, le Rwanda a bien changé. Fort de ses 11 millions d'habitants, le pays est dirigé avec poigne depuis Kigali, petite capitale propre, sécurisée et ordonnée, posée sur les collines où fleurissent des immeubles de verre. 


Les Bashi (dont est issu Vital Kamerhe, l'opposant et ancien président de l'Assemblée nationale congolaise) font quant à eux partie de la mosaïque des 67 millions d'habitants qu'est devenue l'immense RD Congo, avec pour mégalopole Kinshasa, joyeusement désorganisée, tentaculaire et frondeuse.

Les préjugés opposent Congolais et Rwandais

L'Histoire continue de lier Congolais et Rwandais. Celle-ci est traversée d'échanges, sous les auspices d'un même colonisateur belge, de migrations, mais aussi d'ingérences et d'humiliations. Aussi la méfiance, les préjugés et parfois le mépris opposent-ils les deux nations. 


Il n'est pas rare d'entendre à Kigali que les Congolais sont paresseux ou, de l'autre coté de la frontière, que les "Rwandais" (terme qui désigne le plus souvent les Tutsis) sont menteurs. Nombre d'entre eux, dont la famille avait fui les pogroms des régimes hutus successifs, ont pourtant grandi au Zaïre, avant de revenir, après le génocide de 1994.

À l'intersection de ces deux mondes : le Nord-Kivu, province de l'est du Congo, riche en minerais et en armes de guerre. Refuge d'une importante minorité rwandophone, en proie à l'instabilité depuis près de vingt ans, cette zone cristallise les phobies nationales. 


Côté congolais, où l'on a dû se battre dès l'indépendance contre le séparatisme, on redoute une "balkanisation" du pays qui verrait une rébellion l'amputer d'une partie de son territoire.

À l'époque, le mentor de Joseph Kabila n'était autre que le Rwandais James Kabarebe, actuel ministre de la Défense à Kigali.

En créant en 2012 le Mouvement du 23-Mars (M23), énième rébellion issue de la communauté rwandophone, les officiers mutins du Nord-Kivu voulaient dénoncer le non-respect des engagements du gouvernement central. 


Sans doute ressentaient-ils également un sentiment de trahison après avoir tant fait dans leur province pour la réélection du président Joseph Kabila, lors du scrutin contesté de 2011.

Mais dans les rues de Kinshasa, la thèse du mouvement sécessionniste téléguidé par Kigali (voire avec l'assentiment de... Kabila !) l'a immédiatement emporté. 


Nul n'a oublié que le Rwanda avait porté Laurent-Désiré Kabila au pouvoir face à Mobutu, en 1997, pour ne quitter le pays que des années plus tard. À l'époque, le mentor de Joseph Kabila n'était autre que le Rwandais James Kabarebe, actuel ministre de la Défense à Kigali.

La question sécuritaire est devenue une obsession

Les nostalgiques du Grand Rwanda ne manquent pas sur la rive ouest du lac Kivu. "Je ne suis pas le seul à le penser : certains territoires du Congo devraient nous appartenir, lâche Thomas, attablé dans un restaurant de Kigali. Les lieux portent des noms rwandais, et avant la colonisation ils étaient sous l'autorité du mwami [le roi]."

Les richesses minières du Nord-Kivu sont convoitées par tous. 


Mais à Kigali, où règne depuis 1994 un gouvernement issu de l'ancienne rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR), dont bien des membres ont perdu leur famille dans le génocide, la question sécuritaire est devenue une obsession.

Lui-même arrivé au pouvoir par les armes à partir de l'Ouganda, le FPR du président Paul Kagamé sait trop bien ce que des rebelles peuvent faire dès lors qu'ils disposent de bases arrière et de soutien d'un pays voisin. 


Or les Hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda sont toujours présents dans l'est du Congo.

Bien qu'affaiblis, ils sont parvenus en décembre 2012 à lancer de nouvelles attaques sur le sol rwandais. La menace deviendrait plus sérieuse en cas d'alliance avec les dissidents du régime en exil, parmi lesquels se trouvent quelques militaires expérimentés et de riches hommes d'affaires.

Pour Kigali, le but est d'éviter d'avoir à affronter ses ennemis sur son sol, à la manière de son allié israélien, autre nation victime d'un holocauste et adepte des frappes préventives. Au-delà de la sympathie du gouvernement rwandais à l'égard du M23, ce dernier lui servait aussi de bouclier le long de la frontière. 


En dépit des accusations des experts de l'ONU, de gouvernements occidentaux et d'ONG comme Human Rights Watch (la bête noire de Kigali tout au long de cette crise), le Rwanda a toujours nié fournir des hommes et des armes aux rebelles. 

À l'évidence, ces dernières semaines, Kigali n'a pas soutenu un M23 aux abois, comme en convient HRW. La pression inédite exercée par Washington en est l'une des explications. 

"Le 25 octobre, le Rwanda a menacé d'intervenir si son territoire était à nouveau visé par des tirs d'obus venant du Congo, rappelle Ida Sawyer, une enquêtrice de l'ONG. 

Dans la soirée, John Kerry [le secrétaire d'État américain] et William Hague [le ministre britannique des Affaires étrangères] ont tous deux appelé Paul Kagamé pour l'avertir : "Attention, il y a une ligne blanche à ne pas dépasser.""

La nécessité d'une solution politique

Dès lors, Kigali n'a plus levé le petit doigt pour défendre les rebelles. Ainsi, au matin du 29 octobre, alors que le M23 perdait ses dernières batailles, Paul Kagamé préférait deviser sur l'intérêt des nouvelles technologies devant six chefs d'État qu'il avait invités. 


Au même moment, à Kinshasa, c'était le soulagement. La capitale congolaise n'a pas connu les mêmes souffrances que Goma, brièvement occupée par le M23 en novembre puis victime de tirs d'obus. 

Mais cela ne l'empêche pas de manifester sa solidarité : messages de soutien à la télévision et affiches sur les bâtiments publics dans l'est du pays. De crainte d'être pris pour cibles, les Tutsis de la capitale se terrent. 

En dépit de leurs turpitudes, les soldats des Forces armées de la RD Congo (FARDC), kalachnikov en bandoulière, font l'objet d'un rare consensus. 

Cette campagne victorieuse aurait été bien moins aisée sans l'appui des brigades d'intervention des Casques bleus de la Monusco, ces unités malawites, sud-africaines et tanzaniennes venues en renfort des forces congolaises. 

Kinshasa ne s'y est pas trompé : le président sud-africain Jacob Zuma, venu opportunément en visite d'État du 28 au 30 octobre, a eu droit à une standing ovation des parlementaires congolais au Palais du peuple.

Pour autant, les Kinois n'ont pas basculé dans la liesse et certainement pas dans la gratitude envers Joseph Kabila. Toujours aussi réservé, ce dernier s'est gardé de tout triomphalisme, insistant sur la nécessité d'une solution politique. 


Une hypothétique réconciliation avec le Rwanda dépendra beaucoup du sort réservé par Kinshasa et la Monusco aux rebelles hutus des FLDR qui se trouvent sur son sol et dont Kigali attend avec impatience la mise hors d'état de nuire.

Joseph Kabila devra aussi composer avec l'opinion. 


"Le patriotisme" de ce président qui vient de remporter sa première vraie victoire militaire depuis son arrivée au pouvoir reste sujet à caution pour bien des Congolais, qui le soupçonnent toujours de complicité avec "l'ennemi" rwandais.
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Pierre Boisselet 
Jeune Afrique

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