dimanche 15 décembre 2013

Rwanda – France : Vous avez dit SILENCE TURQUOISE?

Près de deux décennies après le génocide rwandais, il est toujours aussi difficile d’aborder le sujet, tellement l’émotion prend rapidement le dessus sur la raison.

La violence verbale, voire physique, n’est jamais loin.

Pour autant, on est toujours peiné face à la rhétorique consistant à peindre la France en « monstre absolu » tandis que les anciens rebelles « tutsis », aujourd’hui au pouvoir à Kigali, et leurs alliés, passent pour des « anges immaculés ».

En réalité, et on ne le dira jamais assez, dans un conflit d’une telle ampleur, il n’y a ni ange ni démon. Les choses sont toujours infiniment plus compliquées.

Ainsi l’ouvrage de Laure de Vulpian et Thierry Prungnaud, « Silence turquoise », qui ressasse la « responsabilité de l’Etat français dans le génocide des Tutsi », laisse difficilement indifférent.

Surtout après les récents évènements autour du M23 (combattants rwandais) dans l’Est de la République Démocratique du Congo.

Car si vraiment silence il y a eu, dans la tragédie de la région des Grands Lacs africains, ce n’est sûrement pas autour du martyre des « Tutsis ».


Un silence trop bavard ?

Ce silence-là, sur le génocide des « Tutsis »[1], qui fait autant de bruit, a fini par être exploité politiquement pour servir de masque sur une plus grande hécatombe : les millions de morts au Congo, victimes du régime des extrémistes « tutsis » au pouvoir à Kigali.

En tout cas, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que la communauté internationale s’est bel et bien émue des massacres dont les « Tutsis » ont été victimes au Rwanda, qu’un tribunal pénal international a été créé pour juger les responsables de ces atrocités, que partout au monde on continue d’arrêter de présumés génocidaires et que, par-dessus tout, les dirigeants « tutsis » ont été soutenus militairement pour prendre le pouvoir au Rwanda, en juillet 1994, et le conserver depuis.

Et ce, malgré les graves abus dont ils s’étaient rendus coupables durant la guerre (1990-94) et la façon dont ils se conduisent depuis (dictature paranoïaque, emprisonnement et assassinat d’opposants, guerres à répétition contre le Congo,…).

Bref, il n’y a jamais eu de silence sur la souffrance des victimes « tutsies » du génocide, même s’il faut bien admettre qu’on ne parlera jamais assez des victimes d’un génocide.

Les vrais silences

Il y a en revanche des silences qui devraient interpeler la conscience collective. L’un d’eux concerne les victimes des guerres que le régime de Kigali mène au Congo depuis 1996, avec l’aide de plusieurs pays occidentaux (Etats-Unis, Royaume-Uni).

Très peu de médias en France et en Europe parlent de cet effroyable conflit, le plus meurtrier du monde depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un bilan astronomique de plus de six millions de morts, la moitié étant des enfants.

Si l’on peut parler de silence sur une population martyrisée, il s’agit bien des Congolais. Le plus troublant est que les dirigeants rwandais qui continuent de parler de « silence » sur le génocide des « Tutsis » sont les principaux auteurs de massacres, de viols et de pillages dans l’Est de la République Démocratique du Congo.

Les Congolais ont découvert, qu’en l’espace de quelques mois, les victimes d’un génocide pouvaient se transformer en impitoyables machines à tuer, au point qu’ils sont, à leur tour, sous la menace de poursuites devant la justice internationale[2].

Avant même que les dirigeants « tutsis » rwandais n’entreprennent de s’en prendre aux populations congolaises, ils avaient réussi l’effroyable exploit de massacrer, en six mois, jusqu’à 400 mille de leurs compatriotes « hutus » qui s’étaient réfugiés au Congo.

Le rapport du Projet Mapping d’août 2010 évoque un possible génocide contre les réfugiés dans les forêts du Congo.

Les victimes de ces massacres ne pouvaient pas être les génocidaires rwandais de 1994.


Des recherches et des témoignages recoupés aboutissent au même constat. C’étaient des enfants, des femmes, des vieillards, des malades, des pères de familles, qui marchaient groupés, persuadés qu’ils n’avaient rien à se reprocher et qu’ils allaient être épargnés. Ils furent pourchassés et achevés l’un après l’autre dans les forêts du Congo.

Le génocide rwandais avait été commis par des hommes « jeunes ». Ceux-ci avaient eu le temps de fuir, longtemps avant que l’armée de Kagamé se mette à bombarder les camps des réfugiés et à pourchasser les survivants qui marchaient « à pas de tortue » vers l’Ouest.

C’est qui les massacreurs[3] ?

Et, depuis, l’armée de Kigali ne fait que massacrer au Congo, violer les femmes (plus de 500 mille femmes congolaises violées) et terroriser les populations obligées de fuir sans discontinuer pour abandonner leurs terres.

On ne sait même pas par quel massacre commencer tellement il s’en est produit au cours des deux dernières décennies. Celui de Mwenga où des femmes congolaises furent enterrées vivantes ?

Celui de Kindu où des dizaines de familles, fuyant les combats, périrent dans l’attentat au missile Sam-7[4] contre leur avion ? Celui de Kiwanja où les soldats rwandais, passant de porte à porte, exécutèrent jusqu’à 150 civils congolais, certains dans leurs lits ?

Celui de Makobola, de Kasika, de Butembo-Kikyo, de Kisangani ?…

Quasiment toutes les villes de l’Est du Congo portent les stigmates du passage de l’armée « tutsie » de Kagame qui, hallucinant, continue de parler de « silence » sur le génocide de 1994.

Parfois, ce discours sur le « silence » devient assez grotesque, lorsqu’on pense, juste une seconde, aux autres victimes, se comptant par millions, et qui, elles au moins, auront été véritablement des oubliés de l’histoire.

Comprendre ce qui s’est passé au Rwanda

Le plus important, dans tous les cas, et dans l’intérêt de l’histoire, est qu’on arrive à comprendre comment les gens ordinaires en sont arrivés à des excès d’une telle ampleur. Si on s’écarte du registre de l’émotion, on arrive assez facilement à comprendre les dessous de la guerre du Rwanda et la motivation de ses véritables instigateurs.

Il faut toujours se placer dans une perspective géostratégique de l’après-Guerre-Froide et les bouleversements géopolitiques que la nouvelle donne devaient provoquer en Afrique.

Ce ne fut pas seulement un conflit entre deux groupes ethniques se disputant les rênes du pouvoir. Ce fut, pour l’essentiel, une guerre entre grandes puissances (d’un côté les Français, de l’autre, les Britanniques, les Américains, les Canadiens et les Israéliens).

Le rapport des forces devint rapidement déséquilibré pour la France, qui avait sous-estimé la détermination de ses adversaires du cercle fermé des « grandes puissances », décidées à l’éjecter de la région stratégique des Grands Lacs.

Mais il faut toujours avoir l’honnêteté de rappeler que l’engagement de la France au Rwanda s’inscrivait dans le cadre de la coopération en matière de défense, et elle n’était pas seule dans son cas.

Le Rwanda avait signé des accords de coopération militaire avec plusieurs autres pays comme l'Allemagne, les États-Unis et la Belgique qui, jusqu'au mois d'avril 1994, continuait à former les unités d'élite des FAR.

Sur un autre registre, la France ne figurait même pas parmi les plus gros fournisseurs d’armes du régime d’Habyarimana compte tenu des critères régissant les marchés publics en la matière.

Ce fut, comme toujours, une guerre sur fond d’enjeux économiques

Après la chute du Mur de Berlin, et l’élimination de la menace soviétique, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et, dans une certaine mesure, Israël, tenaient fermement à prendre pied en Afrique centrale pour s’octroyer une part des immenses richesses minières du Congo. C’était à l’aube du boom des nouvelles technologies.

Celui qui contrôlait les gisements miniers devenait incontournable.

Le Congo détient plus de 70 % de réserves mondiales du coltan/tantale, indispensable à la fabrication des téléphones portables, ainsi que d’importants gisements d’autres minerais hautement stratégiques (cassitérite/étain, wolframite/tungstène, or, uranium,…).

Mais comment accéder à ces gisements en passant par le Président Mobutu, un « vieux dictateur » devenu alors infréquentable ? Ainsi le sort du Rwanda était-il scellé.

Il fallait impérativement que ce « petit pays » passe sous contrôle des Anglo-Saxons pour qu’il serve de base arrière à la conquête des régions minières de l’Est du Congo.

Les cessez-le-feu, les négociations d’Arusha, les casques bleus de la MINUAR, les diplomates par-ci, les négociateurs par-là,… tout cela n’était que « tralala » pour enrober une conquête militaire régionale, longtemps planifiée, et dont le Pays des Mille Collines n’était qu’une étape.

Attentat terroriste et stratégie du choc ?

C’est en explorant « La Stratégie du choc » de Naomi Klein qu’on comprend mieux le but caché derrière les pics des violences orchestrées au Rwanda. Il s’agissait de frapper durement les esprits par des actes d’une monstruosité inimaginable.

L’enjeu, dans la stratégie du choc, consiste à créer un vide dans la « tête des gens » pour permettre à l’instigateur (du choc) d’écrire, par la suite, l’histoire à sa guise.

Peu de gens, assommés par l’impact des horreurs, oseront contester la « version convenue » des faits et « l’histoire officielle ». D'autant plus que celle-ci est rapidement confortée par la frénésie du terrorisme intellectuel et des réactions typées d’une virulence pavlovienne.

Il fallait que le monde fût témoin d’actes impensables : un attentat terroriste rarissime[5], qui coûte la vie à deux chefs d’Etat à la fois, et des massacres, à la machette, « curieusement » filmés et diffusés en boucles.

Les esprits seront suffisamment « conditionnés » pour ensuite laisser se commettre, dans un silence assourdissant, les guerres et les massacres au Congo. Ils ne pourront même pas s’indigner face à sept fois plus de morts (six millions de morts) que le bilan du génocide rwandais (800 mille morts).

Naomi Klein évoque un processus de « zombification » des individus et des peuples qui, assommés par la brutalité du choc, et résignés, s’accommodent des situations aberrantes contre lesquelles ils se seraient normalement révoltés.

Génocide rwandais : des massacres « provoqués » mais pas « planifiés »

Ainsi le génocide rwandais fut-il un acte sûrement pas « planifié », mais tout à fait « provoqué ».

Le Tribunal d’Arusha ferme ses portes fin 2014 sans avoir réussi à apporter une seule preuve de la « planification ». Le fameux « fax du général Roméo Dallaire » était un faux[6].

En revanche oui, des massacres « provoqués » par l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, attentat dont les instigateurs étaient tout à fait conscients des conséquences sur la population. Qui sont-ils ? Qui a commandité cet attentat ?

Pour les alliés du régime de Kagamé, ce sont les extrémistes hutus. Pour ses opposants, c’est Kagamé.

Pour le juge français, Jean-Louis Bruguière, c’est Kagamé. Pour un autre juge français, Marc Trévidic, ce n’est pas Kagamé.

Pour le juge espagnol Fernando Andreu, c’est Kagamé, et une procédure est même en cours.

Pour Abdul Ruzibiza, c’est Kagamé,… puis, ce n’est pas Kagamé, et ensuite, c’est Kagamé[7]. Pour de nombreuses associations françaises (Survie) ce n’est pas Kagamé, mais pour les anciens compagnons d’armes de Kagamé (général Kayumba, général Karegeya[8]) c’est bien Kagamé. Pour… bref, on pourrait y passer toute une nuit.

On sait au moins que les grandes puissances (Etats-Unis, Royaume-Uni) qui soutenaient militairement le FPR, pour éjecter la France de la région, s’opposent toujours à l’idée d’une enquête internationale et observent un silence qui en dit long sur cet impensable attentat.

Vous avez dit « silence » ? En voilà des silences !
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Boniface MUSAVULI


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[1] De nombreux auteurs recommandent de parler de « génocide rwandais » et non de « génocide des Tutsis », les massacres ayant affecté toutes les communautés de la nation rwandaise. L’auteur met « tutsi » et « hutu » entre guillemet parce que les identités ethniques, même revendiquées, ne sont pas toujours certaines.

[2] L’ambassadeur américain chargé des crimes de guerre au Département d'Etat, Stephen Rapp, a affirmé au journal britannique The Gardian, que le Président rwandais pourrait être poursuivi devant la Cour Pénale Internationale.

[3] On a longtemps attribué les atrocités contre la population de l’Est du Congo aux seuls rebelles rwandais des FDLR. En réalité ces rebelles sont trop souvent manipulés par le régime de Kigali pour lui procurer un prétexte d’intervenir militairement au Congo. Ainsi, parmi les 287 éléments du M23, capturés au front, en octobre dernier, on a pu compter d’anciens combattants des FDLR (Hutu Rwandais), des Rwandais (Tutsis), des Ougandais et des Rwandais récemment refoulés de la Tanzanie. La lutte contre les « génocidaires hutus » fut, pour l’essentiel, un mensonge de guerre.

[4] Le même type de missile qui servi à abattre l’avion du Président Habyarimana. Le 10 octobre 1998, un commando de l’armée nationale rwandaise, sous couvert de la « rebellions congolaise du RCD », s’en servit pour abattre le Boeing 727 de la compagnie Congo Airlines (CAL). Tous les occupants (40 civils congolais) furent tués. L’affaire valut au Rwanda des poursuites devant la Cour Internationale de Justice.

[5] On sait maintenant que le Président Mobutu du Zaïre, en personne, faisait partie des chefs d’Etat qui devaient être assassinés ce soir du 06 avril 1994. Le sommet de Dar-es-Salam du 06 avril 1994, d’où revint l’avion du Président Habyarimana, aura été un guet-apens.

[6] Patrick MBEKO, Le Canada dans les guerres en Afrique centrale – Génocides & Pillages des ressources minières du Congo par Rwanda interposé, Le Nègre Editeur, 2012, pp. 154 et svts.

[7] Cet ancien officier du FPR (rebelles tutsis), avait chargé le Président Kagamé avant de se rétracter car il avait été menacé par le régime de Kigali. Mais avant de mourir, le 23 septembre 2010, il a confirmé devant le juge français que Paul Kagamé était le commanditaire de l'attentat. Voir Pierre Péan, Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, novembre 2010, p. 10.

[8] http://www.rfi.fr/afrique/20130708-...

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