dimanche 29 décembre 2013

Rwanda : Un documentaire de 1996 sur les massacres du FPR sorti du frigo

le 20 août 2012 

Un documentaire canadien daté de 1996 portant sur les atrocités commises par le FPR et jusqu’alors inconnu du grand public a été présenté le 1er juillet 2012 à Bruxelles à l’occasion des cérémonies pour le cinquantenaire de l’indépendance du Rwanda. 


Ce documentaire intitulé « nous nous sentons trahis » est la troisième partie du documentaire « Chronique d’un génocide annoncé » dont les deux premières parties sont connues du grand public car diffusées à plusieurs reprises sur des grandes chaines de télévision, notamment Arte et TV5.

L’intérêt historique de cette troisième partie, à notre connaissance jamais diffusée sur aucune télévision, est certain car depuis la prise du pouvoir du FPR le 4 juillet 1994, les horreurs commises par lui ont été très peu documentées et peu de gens osent témoigner ou enquêter sur ces crimes car victimes aussitôt d’attaques d’une rare virulence de la part d’une machine bien huilée en matière de communication.

 


Ce documentaire tourné à Kigali et Nairobi donne la parole à des acteurs de premier plan des événements qu’ils venaient de vivre ou étaient entrain de vivre. 

On y voit notamment, tour à tour, Seth Sendashonga, Ministre de l’intérieur du Rwanda de juillet 1994 à août 1995, un militaire du FPR , Alison Desforges, l’Abbé André Sibomana ainsi que Théoneste Niyitegeka témoigner tour à tour au sujet de la situation de l’époque. 

Aujourd’hui, soit 16 ans après le tournage du documentaire, toutes ces personnes citées sont soit mortes (pour les 4 premières citées), soit emprisonnées (Théoneste Niyitegeka).

Le document commence par des images de Monique Mujawamariya, une militante canadienne des Droits de l’Homme d’origine rwandaise, retournant au Rwanda en septembre 1994 et y rencontrant des membres de sa famille.

Elle y rencontre sa sœur qui lui apprend le sort tragique subi par plusieurs membres de sa famille notamment ceux tués le 3 juillet 1994 par le FPR. Sa sœur lui raconte alors comment les Interahamwe tuaient des gens et lorsque le FPR arrivait sur les lieux, tuait ceux qui avaient survécu.

L’abbé André Sibomana, raconte pour sa part la peur des gens à cette époque, en raison des
massacres qui étaient en train d’être commis par le FPR. 
  


Dans certaines maisons, témoigne-t-il, « on pouvait trouver des centaines de cadavres ». Rien que dans sa commune d’origine, il affirme avoir personnellement dénombré plus de 200 personnes tuées par le FPR.

Seth Sendashonga, alors en exil au Kenya, montre à la caméra des listes compilées par des citoyens de Gitarama, listes transmises à Faustin Twagiramungu, alors Premier Ministre, il présente ces listes comme « une sorte de cri d’alarme poussée par les habitants ». 


Ces listes contiennent le nom des personnes tuées, leurs parents, le lieu et la date de leur assassinat. Dans la seule commune de Nyamabuye, 1723 personnes ont été tuées selon le décompte et sur la seule préfecture de Gitaramana, Seth Sendashonga estime que le FPR a tué un total de 18000 personnes.

« Le FPR voulait assoir sa suprématie et pour cela, il fallait absolument éliminer tout ce qui est concurrents potentiels»

Seth Sendashonga commente ces horreurs « J’ai été membre du FPR depuis avril 1991 et je connais beaucoup de choses au sujet des massacres commis par l’APR. 


Le FPR voulait assoir sa suprématie et pour cela, il fallait absolument éliminer tout ce qui est concurrents potentiels. On a connu surtout des cas ou l’armée va chercher des jeunes gens de 15 ans à 55 ans, les amène et ils ne sont plus revus. Ce sont des personnes assassinées par l’APR. 

Le « pattern général » était de s’en prendre aux jeunes gens et aux messieurs encore en âge d’activité. Les leaders, les instituteurs, les moniteurs agricoles, tout ceux qui pouvaient jouer un rôle quelconque au titre d’intellectuel ou de leader local, étaient visés de manière particulière. »

Dans la vidéo, un ancien militaire du FPR raconte le témoignage que lui a livré un de ses compagnons de l’armée qui lui a raconté comment chaque jour des gens étaient tués « d’abord on liait les bras en arrière, et puis les jambes et on frappait sur l’os frontal avec un marteau ». 


« Mon ami a travaillé là-bas pendant 5 jours et sur ces jours, il m’a dit avoir pu dénombrer au moins 6000 personnes tuées ». 

« Ensuite on brulait les gens grâce à du pétrole et du bois et nettoyait les restes à l’aide de tracteurs ».

A Gabiro, ajoute t-il, tous les soirs vers 6h, « on voyait la fumée qui brulait ces gens, chaque jour, j’avais cette sensation, je sentais cette odeur … personne ne pouvait protester, je connaissais des cas de gens qui lorsqu’ils montraient des signes de dépression mentale, étaient directement tués. »

« En un an j’ai eu l’occasion d’écrire 700 lettres, c’est-à-dire deux lettres par jour où je mettais en garde le général Kagame et le mettait au courant de ce que l’armée avait fait » témoigne ensuite Seth Sendashonga évoquant son action lorsqu’il était Ministre de l’intérieur durant l’époque de ces massacres.

« Je lui disais que si on ne faisait pas attention, les gens ne feraient plus la différence entre le régime que nous avions chassé du pouvoir et nous-mêmes … Face à une tentative de discuter sérieusement de ces problèmes, le Général Kagame a choisi la manière forte plutôt que de choisir le dialogue » avait-il conclu.

Images des prisons de Kigali et Gitarama en septembre 1994 et mars 1995

Le documentaire montre ensuite toute une série d’images tournées dans les prisons de Kigali et Gitarama respectivement en septembre 1994 et mars 1995.

A Kigali, on y voit Monique Mujawamariya partir à la rencontre de différents hommes emprisonnées et montrant chacune plusieurs blessures « fraiches » dues aux tortures infligées par les militaires du FPR avant leur emprisonnement.

Un des hommes raconte en montrant ses blessures « j’ai été attaché par derrière, suspendu au toit d’une maison et je tournais pendant qu’on tapait sur mon corps, j’ai perdu la sensibilité des pieds, et je ne sens plus ma main ».

Monique Mujawamariya, commente l’ensemble de la situation« Je me sens trahie, car je découvre beaucoup d’exactions commises par des gens en qui j’ai longtemps cru ».

Les images de la prison de Gitarama sont commentées par l’Abbé Sibomana « Au cours du 1er semestre 1995, on avait autour de 165 morts par mois, je suis moi-même allé visiter la prison, il y’avait 3 couches de personnes, ceux couchés qui étaient morts, ceux accroupis qui agonisaient, et ceux debout dont les tibias étaient entrain de fondre comme une bougie allumée. » 


« Ces gens étaient entassés, 5 au mètre carré, ils étaient debout, sans pouvoir bouger, les besoins naturels ils les faisaient là-bas et ils étaient obligés de se tenir debout dans leurs excréments ce qui occasionnait la pourriture des pieds ». 

Le Dr Thénoste Niyitegeka, montre, différents prisonniers, qui ont dû être amputés à la suite de cette pourriture.

« Un jour un officier de la MINUAR est venu et a annoncé être venu pour voir l’état des prisonniers, un prisonnier a arraché son gros orteil et lui a lancé à la figure, cet officier a vu. »

L’Abbé Sibomana raconte ensuite cette anecdote « Un jour un officier de la MINUAR est venu et a annoncé être venu pour voir l’état des prisonniers, un prisonnier a arraché son gros orteil et lui a lancé à la figure, cet officier a vu ».

« Bien sûr que dans ces prisonniers il y’a des tueurs, mais il ne nous appartient pas de condamner à mort et de déterminer les moyens de mises à mort des prisonniers qui n’ont d’ailleurs pas encore été jugés. » ajoute l’Abbé.

 


Alison Desforges, à l’époque chercheuse au Rwanda pour Human Rights Watch s’interroge 
« Combien de personnes veulent-ils sérieusement juger, combien de personnes veulent-ils exécuter ou garder en prison ? Parce que le gouvernement n’a pas encore répondu à ces questions, cela laisse la place libre à un groupe d’extrémistes d’utiliser le système judiciaire à leurs fins politiques. Ils emprisonnent des gens aux opinions différentes en les accusant de génocide ».

Le mot de la fin est laissé à l’Abbé Sibomana qui commente l’ensemble de la situation : 


« Nous avons vu pendant la génocide, des Hutu ayant pris des risques pour protéger des Tutsi menacés de morts, mais nous assistons à des comportements contre ces éléments ayant pris des risques pour protéger les gens, on les met en prison ou on les tue …

Ca démolit toute la confiance qu’on aurait pu avoir à l’égard du système, certaines personnes regrettent d’avoir protégé les tutsi et c’est très dangereux car ça risque de créer à nouveau un bloc Hutu, un bloc Tutsi et si jamais il y avait un semblant de soulèvement à caractère ethnique, je pense qu’on aurait beaucoup de morts ».

Ensuite, commentant le témoignage qu’il est entrain de livrer, il s’exprime « C’est dangereux, il faut savoir être très prudent et faire attention aux vocables qu’on utilise. » 


« Les détenteurs du pouvoir supportent très mal la moindre critique, ça peut les effaroucher et quand ils sont farouches, ils peuvent avoir la gâchette facile ».

« Qu’on nous tue en faisant notre travail, qu’on nous tue en faisant ce que nous devons faire, ce sera notre gloire, personnellement c’est ça qui me guide et de toute façon un jour je ne verrais pas le soleil se lever, nous avons choisi le chemin de la croix et avec un peu de chance on va nous pendre parce nous avons fait notre travail convenablement ». Termine-il.

Quel destin pour les témoins aperçus dans le documentaire ?

André Sibomana est mort le 9 mars 1998, d’une maladie rare et souvent mortelle. Après l’avoir privé de passeport durant plusieurs années, les autorités du FPR ont accepté de lui en fournir au moment où la fin approchait. 


André Sibomana a refusé ce passeport expliquant dans son Testament rédigé le 4 mars 1998 (http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_51.pdf) que « refuser ce passeport à la sauvette est une revendication très forte pour que les situations d’injustice puissent trouver leurs solutions dans les chemins les plus droits ».

Seth Sendashonga a été assassiné par balles le 16 mai 1998 à Nairobi avec son chauffeur. Après avoir survécu, à une première tentative d’assassinat par balles, perpétré deux ans plus tôt par un membre de l’ambassade du Rwanda au Kenya, selon la police kenyane. 


Patrick Karegeya, chef des services de renseignements extérieurs du FPR à l’époque des faits, a depuis reconnu à plusieurs reprises que cet assassinat avait été perpétré par le FPR, mais nie être impliqué en affirmant que cet assassinat avait été « perpétré dans son dos par Jack Nziza ». 

Il a déclaré, être prêt à témoigner en justice et fournir les preuves en sa possession. ( http://www.mo.be/fr/opinion/nous-avons-lutte-pendant-des-annees-contre-un-dictateur-et-nous-avons-mis-au-pouvoir-un-tyra)

Alison Desforges après avoir été une référence sur le génocide aussi auprès du gouvernement rwandais dirigé par le FPR, du TPIR, qu’auprès de diverses instances à travers le monde, est progressivement devenue la bête noire du régime de Kigali après avoir réclamé à plusieurs reprises que le TPIR enquête également sur les crimes du FPR. 


En décembre 2008 elle a été refoulée de Kigali pour la deuxième fois en l’espace de 3 mois, car désormais considérée comme Persona non Grata au Rwanda. Moins de quatre mois après son refoulement soit le 12 février 2009, elle est morte dans le crash d’un petit avion transportant une cinquantaine de personnes au-dessus de New York.

Théoneste Niyitegeka a quitté le Rwanda en 1999 pour une formation de 3 ans aux Etats-Unis. De retour au Rwanda en 2002, il a travaillé dans un cabinet médical privé à Gitarama et s’est progressivement consacré à la vie politique. 


Candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2003, il fut condamné le 5 février 2008 à 15 ans de prison ferme pour « complicité de génocide » ( http://www.ldgl.org/spip.php?article2091). Il est actuellement incarcéré à la prison centrale de Kigali où il ne devrait pas sortir avant 2023.

Les autres personnes témoignant dans le documentaire sont actuellement en exil.
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Ruhumuza Mbonyumutwa


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