lundi 3 février 2014

Crime de guerre : Rwanda - Ouganda obligés d’extrader les ex-M23 en RDC

02/02/2014

 
Bertrand BISIMWA [gauche], Sultani MAKENGA [milieu]

Le Groupe d’experts recommande aux Gouvernements rwandais et ougandais de procéder à l’extradition des membres congolais du M23, conformément aux mandats d’arrêt internationaux, et de mener des enquêtes sur les personnes qui ont fourni un appui au M23 à partir du Rwanda et de l’Ouganda et d’engager des poursuites contre elles. 

Le même Groupe recommande également aux sociétés de faire preuve d’une diligence raisonnable dans leurs achats de minerais dans la région des Grands Lacs, et d’investir dans des systèmes de traçabilité.

Comme prévu, le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a rendu public son rapport final du reste très attendu par l’opinion tant nationale qu’internationale. 

Ce rapport est une parfaite illustration d’une énième et éclatante victoire diplomatique du Président Joseph Kabila sur le Rwanda et l’Ouganda.

Selon le résumé dudit rapport fait par les experts, l’événement le plus important de l’année a été la défaite militaire du Mouvement rebelle du 23 mars (M23), qui s’est replié au Rwanda et en Ouganda. 

Le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo a constaté les violations des droits de l’homme commises par le M23 en 2013 et confirmé que le Mouvement recevait un appui du Rwanda, qui prenait diverses formes (recrutement, renforts militaires, livraisons de munitions et appui-feu).

Au moment de la rédaction du présent rapport, le Groupe avait reçu des informations crédibles selon lesquelles les dirigeants du M23 se déplaçaient librement en Ouganda et que le Mouvement continuait de recruter au Rwanda.

La victoire des forces armées congolaises (Forces armées de la République démocratique du Congo – FARDC) sur le M23, appuyées par la Brigade d’intervention de la Force sous commandement de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), a envoyé un message fort à d’autres groupes armés dans l’Est du pays.

S’il est vrai que certains de ces groupes sont devenus plus agressifs et ont adopté des positions défensives par peur d’être attaqués par les FARDC et la Brigade d’intervention, plusieurs autres ont commencé à se rendre et font savoir qu’ils voulaient s’intégrer dans l’armée et la police congolaises.

De nombreux groupes armés dans l’Est de la République démocratique du Congo – en particulier les Forces démocratiques de libération du Rwanda, les Forces démocratiques alliées et Kata Katanga – continuent de faire peser une menace sur la sécurité. Ces groupes sont responsables de graves atteintes aux droits de l’homme et de déplacements massifs de population.

L’exploitation des ressources naturelles alimente la guerre

Selon les experts, de nombreux groupes armés dans l’Est de la République démocratique du Congo se financent grâce à la production et au commerce des ressources naturelles. 

S’agissant de l’or, le Groupe note que de nombreux sites miniers se trouvent dans des zones sortant d’un conflit, mais que la production provenant de ces zones se confondait également avec celle des zones de conflit, notamment dans les grandes villes commerçantes à l’Est du pays et dans les pays de transit tels que le Burundi, l’Ouganda et la République-Unie de Tanzanie. Le commerce de l’or manquant de transparence, il est difficile de faire la distinction entre les deux.

D’après le Groupe, 98 % de l’or produit en République démocratique du Congo sort clandestinement du pays et pratiquement tout l’or échangé en Ouganda – principal pays de transit de l’or congolais – est illégalement exporté de la République démocratique du Congo. 

En conséquence, les Gouvernements congolais et ougandais perdent des millions de dollars par an en recettes fiscales et tolèrent un système qui finance des groupes armés en République démocratique du Congo.

Si, grâce aux initiatives de l’Organisation de coopération et de développement économiques et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, on a pu faire avancer la certification des sites miniers et améliorer le respect des normes internationales relatives aux modes de production non liées à des conflits et ne reposant pas sur le travail des enfants, les groupes armés et les FARDC continuent de contrôler nombre de sites miniers et de tirer profit de l’exploitation minière et du commerce des minéraux.

En 2013, les minéraux – en particulier l’étain, le tungstène et le tantale – ont continué à sortir en contrebande de l’Est de la République démocratique du Congo en passant par les pays voisins, ce qui nuit à la crédibilité et aux progrès des mécanismes internationaux de certification et de traçabilité. Le Groupe a enquêté sur l’abattage à grande échelle d’éléphants dans l’Est de la République démocratique du Congo, pour l’ivoire, une activité qui finance des groupes armés et des réseaux criminels dans la région.

Conformément à son mandat, le Groupe a également recensé les violations graves du droit international humanitaire, notamment le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, les exécutions sommaires, les violences sexuelles et les actes de violence dirigés contre des populations civiles. Bien que nombre de ces crimes aient été commis par des groupes armés, le Groupe a également constaté que les FARDC n’étaient pas en reste.

Des recommandations

Au regard de cette situation, les experts ont formulé plusieurs recommandations. Au Conseil de sécurité, le Groupe d’experts lui recommande de proroger d’un an le mandat de la Brigade d’intervention de la MONUSCO, pour appuyer les opérations menées par les FARDC contre les groupes armés dans l’Est de la République démocratique du Congo.

Le Groupe d’experts recommande également aux États Membres dans la région des Grands Lacs de donner la priorité à la mise en application de l’Initiative régionale de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, de renforcer et d’harmoniser les sanctions prévues pour le trafic d’ivoire et de coordonner les efforts menés pour identifier et démanteler les réseaux de trafic de l’ivoire.

La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs n’a pas été épargnée. Le Groupe d’experts lui recommande de créer une commission chargée de mener des enquêtes sur le trafic transfrontière de minerais et d’y mettre fin, conformément à la Déclaration de Lusaka de 2010, et de coopérer avec les États Membres pour harmoniser les taxes sur l’or dans la région afin de décourager la contrebande.

Le Rwanda et l’Ouganda pointés du doigt

Le Groupe d’experts recommande aux Gouvernements rwandais et ougandais d’établir une liste actualisée des membres du M23 qui se sont réfugiés sur leur territoire, et de partager avec le Comité les informations dont ils disposent à cet égard, notamment des renseignements biographiques concernant des personnes visées par les sanctions, afin de mettre à jour la liste des sanctions.

Le Groupe recommande également aux Gouvernements rwandais et ougandais de procéder à l’extradition des membres congolais du M23, conformément aux mandats d’arrêt internationaux, et de mener des enquêtes sur les personnes qui ont fourni un appui au M23 à partir du Rwanda et de l’Ouganda et d’engager des poursuites contre elles.

Plus particulièrement au Gouvernement ougandais, il doit communiquer au Groupe d’experts une liste des armes déposées par le M23, conformément à la demande faite par le Comité, et de montrer les progrès accomplis dans la lutte contre la contrebande d’or, la légalisation du commerce de l’or et la présentation au Comité de rapports à ce sujet.

Pour la République démocratique du Congo, le Groupe d’experts lui recommande de prendre les mesures suivantes : Lancer des mandats d’arrêt et d’extradition, selon le cas, contre tous les dirigeants de groupes armés qui ont commis des violations graves du droit international humanitaire ; Mener des enquêtes sur les commandants des FARDC qui ont collaboré avec les FDLR et d’autres groupes armés et engager des poursuites contre eux ;

Montrer les progrès accomplis dans la lutte contre la contrebande d’or, la légalisation du commerce de l’or dans la République démocratique du Congo et la présentation au Comité de rapports à ce sujet ; Examiner dans les trois mois suivant leur réception les rapports des équipes qui certifient que les mines ne contribuent pas à financer le conflit ; Recruter et entraîner un plus grand nombre d’agents des mines et de membres de la police minière pour superviser toutes les mines certifiées ;

Appliquer le plan d’action conclu en octobre 2012 concernant le recrutement d’enfants et d’autres violations du droit international humanitaire, notamment les sévices commis à l’encontre d’enfants ; Améliorer les efforts entrepris pour négocier avec les groupes armés en nommant de petites équipes de responsables chargées spécifiquement d’un groupe armé, qui auraient pour tâche d’assurer la liaison avec les autorités locales, la MONUSCO et les organismes des Nations Unies et de coordonner les mesures prises pour amener chaque groupe à se rendre ;

Acquérir les capacités techniques nécessaires pour pouvoir trouver plus facilement la source de tirs d’artillerie et de chars dans l’Est de la République démocratique du Congo, afin de résoudre les différends entre la République démocratique du Congo et le Rwanda concernant les allégations faisant état de tirs transfrontières ; Permettre aux agents des douanes, à l’Office congolais de contrôle et à la Société congolaise des transports et des ports d’avoir accès aux conteneurs transportant du matériel militaire.

La Tanzanie et le Burundi pas oubliés

Le Groupe d’experts n’a pas du tout oublié la Tanzanie et le Burundi. Il recommande au Gouvernement burundais de mener des enquêtes sur les progrès accomplis dans la lutte contre la contrebande d’or congolais au Burundi et de faire rapport au Comité à ce sujet.

Au Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie, il lui est recommandé de communiquer les statistiques concernant la production et le commerce de l’or, et de faire rapport au Comité sur les progrès accomplis dans la lutte contre la contrebande d’or congolais.

Concernant les Donateurs internationaux, le Groupe d’experts leur recommande de prendre les mesures suivantes : Financer et superviser sur le plan technique le plan de démobilisation et les centres de démobilisation des groupes armés congolais dans l’est de la République démocratique du Congo ; Appuyer et superviser sur le plan technique la réforme du secteur de la sécurité dans la République démocratique du Congo ; Financer le marquage des armes et la création d’un inventaire électronique de toutes les armes et munitions appartenant à la République démocratique du Congo ; Financer les déploiements au titre du désarmement, de la démobilisation, de la réintégration, du rapatriement et de la réinstallation avant et durant les opérations de la Brigade d’intervention de la Force contre les FDLR, dans les régions où ces forces sont déployées, afin de faciliter les redditions ; Fournir un appui technique et financier au Mécanisme conjoint de vérification élargi.

Quant à la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, le Groupe d’experts lui recommande de fournir une assistance au Gouvernement de la République démocratique du Congo pour l’enregistrement et le traçage des armes et des munitions prises aux groupes rebelles, de lui communiquer les données correspondantes et d’accroître les activités de supervision et de protection des droits de l’homme avant et pendant les opérations menées par la Brigade d’intervention de la Force contre les groupes armés.

De même aux sociétés ou multinationales, le Groupe d’experts leur recommande de faire preuve d’une diligence raisonnable dans leurs achats de minerais dans la région des Grands Lacs, et d’investir dans des systèmes de traçabilité.
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[L’Avenir]

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