lundi 17 février 2014

RD Congo – Kabila : Le garant de l’impunité

lundi 17 février 2014

C’est un débat assez étrange qui se déroule en République Démocratique du Congo autour de l’amnistie dont devraient bénéficier les membres du M23. 

Le régime de Joseph Kabila déploie une énergie débordante pour obtenir l’adoption d’une loi qui ouvrirait la voie au retour du M23 au Congo avec la certitude que ses membres ne répondraient pas de leurs actes devant les cours et tribunaux. 

Si le sénat a déjà adopté le texte, une certaine résistance s’est organisée à l’assemblée nationale, l’opposition allant jusqu’à suspendre sa participation aux travaux en commission. 

Mais tous ces efforts ne suffiront pas à empêcher la perpétuation de la culture de l’impunité. La faute au Président Kabila en personne.

 

En tout cas, pour se conformer à la volonté du "chef", la majorité présidentielle rivalise d’imagination pour justifier « la prime à ceux qui prennent les armes », selon la formule consacrée. 

De l’aveu même de nombreux parlementaires, cette loi finira par être adoptée, sauf grande mobilisation populaire à travers le pays. Pas évident.

La logique du Président

Il ne pouvait pas en être autrement, dès lors que Joseph Kabila s’était employé à « ressusciter » le M23 en se rendant à Kampala[1], au moment où la population saluait la victoire des FARDC. 

En contre-courant de l’opinion nationale, le Président va relancer les pourparlers de Kampala et pousser son gouvernement à signer les contestables[2] engagements de Nairobi[3] du 12 décembre dernier.

C’est en application de ces engagements que le pouvoir de Kinshasa se bat pour faire adopter une loi d’amnistie. 

Et ce, en dépit du dernier rapport des experts de l’ONU[4] alertant sur la résurgence du M23 ainsi que les recommandations des ONG (Human Rights Watch) insistant sur la nécessité de privilégier des poursuites judiciaires[5]. Silence radio du côté de Kabila.

Son régime s’emploie plutôt à obtenir une amnistie pour la majorité des combattants du M23 tout en se gardant d’exiger l’extradition des responsables de ce mouvement, fermement protégés par le Rwanda et l’Ouganda. 

En d’autres termes, pour le régime de Kinshasa, une partie des membres du M23 doit être amnistiée et ramenée au Congo afin d’exister en tant que « parti politique légitime », pour reprendre la formule des engagements de Nairobi. 

Une autre partie resterait protégée au Rwanda et en Ouganda à l’abri de poursuites, Kabila se gardant d'exiger à Kagamé et Museveni l'extradition des personnes mises en cause. Résultat du calcul : la totale impunité.

C’était l’enjeu des pourparlers de Kampala pour Museveni et Kagamé, les parrains du M23. Ils ont toujours exigé l’amnistie totale. Maintenant c’est fait !

Il y aura, bien entendu, et comme d’habitude, quelques effets de manche dans les médias autour de la nécessité de poursuivre les membres du M23. Rien que du vent. 

Les Makenga, Nkunda, Runiga, Mutebutsi, Ngaruye, Zimurinda et autres ont beau figurer sur des listes de sanction internationale (ONU[6], gouvernement américain[7], Union européenne[8]). 

In fine, seul un homme, Joseph Kabila, peut réellement leur créer des ennuis en mettant leur arrestation et leur extradition à son agenda. Mais il ne le fera pas. 

e Président Kabila veille à ne pas mécontenter ses homologues et parrains de longue date que sont Kagamé et Museveni. Une impunité qui laissera tout de même une blessure profonde dans la société congolaise.

Peut-on oublier ça et dormir tranquille ?

Ainsi ne saura-t-on jamais ce que sont devenues les victimes du M23 et son ancêtre, le CNDP. Le gouvernement n’a même pas cherché à les identifier ni à savoir dans quelles conditions elles se trouvent. 

Kinshasa va, en revanche, dépenser des sommes colossales au profit de leurs bourreaux, un mécanisme de réinsertion étant prévu au profit des membres du M23.

En l’absence de poursuites, on ne saura pas non plus où sont passés les 500 millions de dollars récoltés par le M23 sur le trafic d’or[9], en plus d’autres butins[10], ni l’usage que ce mouvement compte en faire. 

On ne saura jamais comment ce mouvement a pu se procurer son impressionnant arsenal militaire en violation de la Résolution 1533 (2004) du Conseil de sécurité de l’ONU imposant un embargo sur les armes dans l’Est du Congo[11]

On a, en effet, retrouvé plus de 300 tonnes de munitions et armes lourdes dans la seule localité de Chanzu[12] après la fuite du M23. 

Comment ces armes sont-elles arrivées là-bas alors que le Congo est quadrillé par plus de vingt mille casques bleus ? 

Qui étaient les complices ? 

Comment croire qu’une fois le M23 revenu au Congo, ces livraisons d’armes ne recommenceraient pas ? 

Autant de question dont le gouvernement aurait dû fournir les réponses longtemps avant d’envisager une loi d’amnistie qu’il sera trop tard de regretter.

Morts pour rien ?

Mais il faut bien se rendre à l’évidence. Joseph Kabila tient à ce que les membres du M23 reviennent au Congo et rentrent, d’une manière ou d’une autre, dans la vie institutionnelle. Ils avaient des revendications contenues dans les fameux accords du 23 mars 2009[13]

Les Congolais ont rejeté ces revendications et accepté le sacrifice d’une guerre atroce, perdant au passage de valeureux soldats. 

Mais au final, le M23 va, grâce à l’implication active de Joseph Kabila, obtenir quasiment tout ce que son ancêtre, le CNDP de Laurent Nkunda, exigeait les armes à la main.

Le fond du problème

Finalement, on revient toujours au parcours et au passé de Joseph Kabila. Il faut constamment avoir à l’esprit les relations « complices » qui le lient à Kagamé et Museveni, pour comprendre les évènements politiques au Congo sur fond de guerres, de crimes et d’impunité chronique.

En effet, dès son accession au pouvoir en janvier 2001, Joseph Kabila a tenu à donner des gages au titre d’allégeance au Président Kagamé, rompant avec la posture nationaliste de son prédécesseur de père, Laurent-désiré Kabila. 

Il va ainsi commencer son règne en posant un geste lourd de conséquences : renoncer aux poursuites contre le Rwanda et l’Ouganda devant la Cour Internationale de Justice (CIJ).

Pour la petite histoire, avant son arrivée au pouvoir, en janvier 2001, le Congo avait un dossier à la Cour Internationale de Justice où le Rwanda et l’Ouganda étaient poursuivis pour « actes d’agression armée » en violation de la Charte de l’ONU[14]

La procédure avait été engagée sur instruction du défunt Président Laurent-Désiré Kabila. Les poursuites seront abandonnées le 1er février 2001 suite à une rencontre à huit clos entre Joseph Kabila et Paul Kagamé[15], à Washington, quelques jours seulement après l’assassinat de Laurent Kabila.

Depuis, le Rwanda et l’Ouganda semblent assurés qu’ils ne risquent rien, quelle que soit la gravité des crimes qu’ils commettraient sur le sol congolais par groupes armés interposés. 

Que ce soit à Bukavu où, en juin 2004, la ville fut investie, endeuillée et pillée par les hommes de Laurent Nkunda et Jules Mutebutsi, soutenus par le Rwanda[16]

Ou à Kiwanja où, en novembre 2008, plus de 150 civils congolais ont été massacrés[17], certains dans leurs lits. Ou encore à Mushake où, en 2007, plus de 2 600 soldats congolais, désorientés par les trahisons et les ordres contradictoires, furent sauvagement massacrés[18].

Pas un seul agent rwandais ou ougandais n’a été poursuivi pour ces crimes, dont on peut raisonnablement croire qu’ils n’auraient pas pu être commis si seulement Joseph Kabila avait maintenu la logique des poursuites devant la Cour internationale de Justice et la Cour Pénale Internationale[19].

Le prix de l’impunité

L’impunité est telle qu’en août dernier, le Rwanda, sous couvert du M23, va carrément lancer des obus sur une ville comme Goma, forte d’un million d’habitants, causant des morts et des blessés dans les rangs de la population. 

Des maisons d’habitation seront éventrées[20] par les obus avec, parfois, des familles à l’intérieur. Actes d’agression, crimes de guerre, crimes contre l’humanité !

Mais à Kinshasa, pas le moindre début de dossier judiciaire contre les responsables des deux pays. A la place, on se prépare quasiment à dérouler le tapis rouge aux combattants rwando-ougandais maintenant assurés de revenir au Congo par la grande porte. 

A Kigali et à Kampala, on est tranquilles. Un homme, à Kinshasa, veille à ce que « les poulains de Kagamé et Museveni » ne soient jamais poursuivis en justice. Et il mobilise le gouvernement et le parlement « congolais » pour qu’il en soit ainsi.

Le garant de l’impunité.
__________________
Boniface MUSAVULI

[1] http://radiookapi.net/actualite/201...

[2] http://www.agoravox.fr/actualites/i...

[3] http://ambardcparis.com/Communique%...

[4] www.un.org/fr/documents/view...

[5] http://www.hrw.org/sites/default/fi...

[6] http://www.un.org/french/sc/committ...

[7] http://sdnsearch.ofac.treas.gov/Def...

[8] http://www.tresor.economie.gouv.fr/...

[9] L’ONG américaine Enough Project a indiqué qu’en douze mois d’activité, le M23 avait récolté plus 500 millions de dollars du trafic de l’or. Voir : http://www.enoughproject.org/files/...

[10] Le M23 avait pillé la ville de Goma en novembre 2012 en emportant au Rwanda, entre autres, des stocks de minerais.

[11] http://www.un.org/french/documents/...

[12] http://radiookapi.net/actualite/201...

[13] http://afrikarabia.blogspirit.com/m...

[14] http://www.icj-cij.org/docket/files...

[15] Pierre Péan, Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, novembre 2010, p. 413.

[16] http://www.rfi.fr/actufr/articles/0...

[17] http://www.rtbf.be/info/monde/detai...

[18] http://archives.lesoir.be/congo-la-...

[19] Noter toutefois que la plainte déposée le 23 juin 1999, par la RD Congo contre l’Ouganda, a abouti à une lourde condamnation de Kampala à une somme de 10 milliards de dollars le 29 janvier 2007. Mais Kinshasa peine toujours à recouvrer la somme.

Cf. http://lepotentielonline.com/site2/...

[20] https://www.youtube.com/watch?v=Yds...

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