7 février 2014
Humiliation. Le mot est dans toutes les bouches. On le confesse sans panache, mais surtout sans fard. Le coup, d'une violence rare, a été assené par l'ennemi là où ça fait mal.
De l'intrépidité légendaire de leur premier Premier Ministre Patrice Lumumba, mais aussi de la figure écrasante mais néanmoins charismatique du défunt Maréchal Mobutu Sese Seko, les Congolais ont hérité une grande fierté nationale, une fibre patriotique d'airain.
C'est indéniablement leur "plus grand commun rassembleur", sans lequel la balkanisation maintes fois annoncée d'un des plus vastes et riches pays d'Afrique serait déjà consommée.
La chute de Goma, capitale du Nord-Kivu tombée aux mains des rebelles tutsi Congolais du M23, ils sont nombreux à l'avoir vécu comme l'humiliation de trop.
"La perte de Goma nous a atteints en plein cœur", confiera au magazine Jeune Afrique, un diplomate congolais.
Depuis, les rebelles se sont retirés de la ville, non sans promettre qu'ils pourraient revenir aussi facilement qu'ils étaient venus. Des mots qui ont blessé autant que les balles.
Kagame, "roi des Grands-lacs"
C'est qu'en ouvrant leurs frontières aux réfugiés rwandais fuyant le génocide de 1994, les Congolais étaient loin de se douter qu'ils venaient d'offrir au nouveau pouvoir tutsi rwandais aux mains de Paul Kagame, le prétexte inoxydable pour déstabiliser leur pays et surtout, faire main basse sur les richesses minières de la vaste région des Kivu frontalière au Rwanda.
De rébellion en rébellion, toutes menées par la petite minorité des tutsi Congolais à qui certains déçus du pouvoir de Kinshasa prêtèrent naguère leurs visages avant de quitter le navire et de dénoncer l'entreprise prédatrice du Rwanda, l'Est du Congo aura payé ces seize dernières années un lourd tribut aux velléités hégémoniques du régime de Kigali.
Évoquer l'implication du Rwanda - souvent concomitante à celle du régime "siamois" de l'Ouganda - dans la tragédie de l'Est du Congo, c'est enfoncer une porte ouverte.
Le nombre des rapports de l'ONU qui en font état, preuves à l'appui, remplissent les tiroirs du Secrétariat général de l'organisation dirigée par Ban Ki-Moon.
Le tout dernier, présenté au Conseil de sécurité le mercredi 4 décembre, n'en finit pas de raviver l'ire des Congolais, en particulier la diaspora congolaise.
Palpable sur la toile, la colère des "bana mboka" semble proportionnellement inverse à l'incapacité conjuguée de leur gouvernement à engranger des succès significatifs sur le front diplomatique et celle de leur armée - les FARDC - à remplir ses missions régaliennes.
Un rapport des plus accablants
Depuis Toronto, The Globe and Mail se faisait, jeudi, l'écho du rapport en question. Où l'on apprend que les photos satellites contenues à l'appui des accusations portées par l'équipe des enquêteurs onusiens conduite par Steve Hege sont accablantes.
On y voit "dans la forêt dense, à l'ombre d'un volcan, un sentier bien tracé (...) menant directement à partir d'une base militaire rwandaise à la frontière à un quartier général de la milice rebelle congolaise M23."
Le sentier de 15 kilomètres, jusqu'à quatre mètres de large, aurait été utilisé pour transporter du matériel militaire et les recrues de l'armée rwandaise aux rebelles qui prirent Goma.
Ces images satellites sont parmi les dizaines de pièces à conviction recueillies par les enquêteurs et qui révèlent comment le Rwanda, en violation de l'embargo sur les armes, a pu fournir une aide directe au M23.
La charge ne s'arrête pas là. Le rapport signale qu'un bataillon entier des forces de défense rwandaise (FDR), soit entre huit cent et mille soldats, aurait été déployé dès la fin octobre sur les positions rebelles de Bukima et Tshengerero.
Sept compagnies des FDR auraient par ailleurs appuyé les hommes du M23 lors de la deuxième offensive sur Kibumba le 17 novembre.
Lequel M23, photos à l'appui, aurait reçu des uniformes de camouflage et aux couleurs similaires à ceux des FDR, afin de permettre aux soldats rwandais d'être moins repérables, notamment lors de la prise de Goma.
Il est également fait état de tirs d'artillerie, à partir du Rwanda, sur les positions des FARDC afin d'appuyer la progression du M23 sous les regards des casques bleus de la MONUSCO.
Mais il y a plus grave : le coordinateur du groupe des experts affirme que le commandement de l'offensive sur Goma aurait été une affaire rondement menée par les Rwandais.
Ainsi, le général rwandais Emmanuel Ruvusha, déjà cité dans le Rapport S/2012/348/Add.1, aurait supervisé sur place, l'exécution d'une attaque planifiée conjointement par James Kabarebe le ministre rwandais de la Défense et le chef d'état-major rwandais, Charles Kayonga.
Pendant ce temps, devant les caméras, les présidents rwandais et ougandais juraient leurs grands dieux qu'ils étaient étrangers à une guerre qualifiée d'"affaire congolo-congolaise".
Droit et rapport des forces
Face au jeu trouble du Rwanda et de l'Ouganda, deux pays dont l'agenda au Congo ne fait plus aucun mystère, les Congolais avaient espéré, sans trop d'illusion, un sursaut de leur armée.
Mais les FARDC, un assemblage pléthorique et hétéroclite de factieux de tous bords, se sont une nouvelle fois distinguées par leur inefficacité.
En fait d'armée, les FARDC sont minées par la présence en leur sein d'anciens rebelles responsables des pires atrocités contre les populations civiles, et qui doivent leur "immunité judiciaire" au crédo de la réconciliation nationale.
Ce même crédo est d'ailleurs en passe de renouveler un schéma qui a pourtant fait la preuve de sa nocuité : l'armée congolaise s'apprête à absorber de nouveau des affidés de Kagame et de Museveni l'Ougandais, les deux fauteurs de guerre responsables du chaos que l'on sait.
Comme lorsque la rébellion du CNDP, autre créature rwandaise et ancêtre du M23 (voir mon billet antérieur sur le sujet), avait réussi à injecter dans la haute hiérarchie des FARDC ses commandants.
Parmi ces derniers, l'ex-Chef d'État major des forces terrestres congolaises, le général Gabriel Amisi, limogé par Kabila après qu'un rapport de l'ONU eut établi que l'officier fournissait en matériel de guerre ses anciens compagnons du M23. Ceux-là-même qu'il était censé combattre sur le front !
Tels sont les méandres de la tragédie qui humilie les Congolais. Certes, ils ont le droit pour eux : tous les éléments constitutifs de "l'acte d'agression", un crime contre la paix consacré par les textes internationaux pertinents (articles 39 de la Charte de l'ONU, article 1 de la Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée Générale de l'ONU et article 5 paragraphe 1 - d) du Statut de Rome régissant la CPI).
Mais ils savent que l'alliance Washington - Kigali - Londres continuera encore longtemps à entraver tout traitement équitable par le Conseil de sécurité de la question congolaise.
Le représentant de la France au Conseil en a fait l'expérience, lui dont le pays s'est heurté plus d'une fois, au cours des dernières semaines, au refus des Américains de désigner de façon explicite le Rwanda et l'Ouganda comme co-responsables de la guerre dans le Nord-Kivu, ce malgré l'amoncellement des preuves fournies par des enquêteurs commis par l'ONU.
Le ni-ni des Congolais
S'ils n'attendent rien des parrains occidentaux de Kagame, s'ils clament leur attachement à l'intégrité territoriale de leur Etat, les Congolais sont paradoxalement peu nombreux à répondre à l'appel à l'union sacrée leur lancée par Joseph Kabila.
Mal réélu en 2011, très affaibli du fait d'une gestion calamiteuse de la guerre, celui que ses partisans appellent "le Raïs" est devenu la tête de Turc de ses contempteurs.
Son opposition parlementaire et extra-parlementaire va jusqu'à demander sa mise en accusation pour "haute trahison". Sans se faire d'illusion.
À Kinshasa, capitale de la "politique spectacle", le coup vise avant tout à marquer les esprits et à manquer volontairement au prince mal aimé.
Mais il ne faut pas s'y méprendre. Le rejet de Kabila épouse celui, encore plus vif, du mouvement rebelle qui tente, sur le tard, de s'attirer la sympathie de l'opinion nationale en réclamant que soient inscrites à l'agenda des pourparlers de paix qui viennent de démarrer, des revendications qui furent longtemps celles de la rue kinoise, de la diaspora et de l'opposition.
C'est qu'avec le M23, les Congolais savent à quoi s'en tenir. Ils savent surtout que derrière Jean-Marie Runiga, le chef rebelle, se dresse l'ombre de Paul Kagame.
Le même Kagame qui est à la manœuvre dans les négociations entre le gouvernement de Kinshasa et la rébellion, dans un scénario des plus incongrus où l'agresseur pourtant démasqué joue les médiateurs face à un pouvoir fragilisé politiquement, atone diplomatiquement et vaincu militairement.
Pour les Congolais désemparés, l'humiliation est à son comble.
Se méfier des vaincus
Concluant une tribune qui a fait des vagues dans les milieux congolais avant d'être relayée par Radio France Internationale, le philosophe Kä Mana, président de Pole Institute basé à Goma, a eu les mots suivants : "Un peuple humilié est un fauve. Et le peuple congolais l'est actuellement. De manière cruelle."
D'autres, que je croise ou dont je lis les écrits sur la blogosphère, se font carrément menaçants.
Ils ont la rage sourde de ceux que l'impuissance temporaire pousse à rêver de ce lendemain où la roue de l'histoire leur permettra enfin d'écraser les raisins de la colère contre ceux qu'ils érigent désormais en ennemis héréditaires : "Savez-vous pourquoi l'Allemagne nazie a déterré la hache de guerre après l'échec de 1914-1918 ?"
C'est dire si, avec sa liste des crimes de sang et autres crimes sexuels, le drame kivutien est devenu, dans l'indifférence relative de la communauté internationale, une bombe à retardement pour la coexistence des populations d'une région où il faisait bon vivre voilà seulement dix-huit ans.
Sur les décombres des conflits sanglants, la France et l'Allemagne ont fécondé l'Europe de la paix. J'aime à croire qu'une telle gageure n'est pas au-dessus des aptitudes congolaises, rwandaises et ougandaises. Mais cela ne se fera pas par l'opération du Saint-Esprit.
Pour le Congo, pays malade de sa gouvernance et d'une image qui le dessert gravement dans les instances décisionnelles d'un monde gouverné par les intérêts économiques et géostratégiques des États, le chantier est titanesque.
Il faudrait que se lève dans ce pays un vrai leadership capable de hisser cette puissance dormante à la hauteur des défis que lui impose son plein potentiel.
Il faudrait, pour leur part, que les régimes totalitaires du Rwanda et de l'Ouganda, ainsi que leurs parrains américains et britanniques, méditent l'avertissement du philosophe congolais.
Nul besoin, en 2012, de se tourner vers le Traité de Versailles du 29 juin 1919 pour réaliser qu'un peuple humilié qui rumine ses échecs récurrents est un réel danger pour la paix future.
Humiliation. Le mot est dans toutes les bouches. On le confesse sans panache, mais surtout sans fard. Le coup, d'une violence rare, a été assené par l'ennemi là où ça fait mal.
De l'intrépidité légendaire de leur premier Premier Ministre Patrice Lumumba, mais aussi de la figure écrasante mais néanmoins charismatique du défunt Maréchal Mobutu Sese Seko, les Congolais ont hérité une grande fierté nationale, une fibre patriotique d'airain.
C'est indéniablement leur "plus grand commun rassembleur", sans lequel la balkanisation maintes fois annoncée d'un des plus vastes et riches pays d'Afrique serait déjà consommée.
La chute de Goma, capitale du Nord-Kivu tombée aux mains des rebelles tutsi Congolais du M23, ils sont nombreux à l'avoir vécu comme l'humiliation de trop.
"La perte de Goma nous a atteints en plein cœur", confiera au magazine Jeune Afrique, un diplomate congolais.
Depuis, les rebelles se sont retirés de la ville, non sans promettre qu'ils pourraient revenir aussi facilement qu'ils étaient venus. Des mots qui ont blessé autant que les balles.
Kagame, "roi des Grands-lacs"
C'est qu'en ouvrant leurs frontières aux réfugiés rwandais fuyant le génocide de 1994, les Congolais étaient loin de se douter qu'ils venaient d'offrir au nouveau pouvoir tutsi rwandais aux mains de Paul Kagame, le prétexte inoxydable pour déstabiliser leur pays et surtout, faire main basse sur les richesses minières de la vaste région des Kivu frontalière au Rwanda.
De rébellion en rébellion, toutes menées par la petite minorité des tutsi Congolais à qui certains déçus du pouvoir de Kinshasa prêtèrent naguère leurs visages avant de quitter le navire et de dénoncer l'entreprise prédatrice du Rwanda, l'Est du Congo aura payé ces seize dernières années un lourd tribut aux velléités hégémoniques du régime de Kigali.
Évoquer l'implication du Rwanda - souvent concomitante à celle du régime "siamois" de l'Ouganda - dans la tragédie de l'Est du Congo, c'est enfoncer une porte ouverte.
Le nombre des rapports de l'ONU qui en font état, preuves à l'appui, remplissent les tiroirs du Secrétariat général de l'organisation dirigée par Ban Ki-Moon.
Le tout dernier, présenté au Conseil de sécurité le mercredi 4 décembre, n'en finit pas de raviver l'ire des Congolais, en particulier la diaspora congolaise.
Palpable sur la toile, la colère des "bana mboka" semble proportionnellement inverse à l'incapacité conjuguée de leur gouvernement à engranger des succès significatifs sur le front diplomatique et celle de leur armée - les FARDC - à remplir ses missions régaliennes.
Un rapport des plus accablants
Depuis Toronto, The Globe and Mail se faisait, jeudi, l'écho du rapport en question. Où l'on apprend que les photos satellites contenues à l'appui des accusations portées par l'équipe des enquêteurs onusiens conduite par Steve Hege sont accablantes.
On y voit "dans la forêt dense, à l'ombre d'un volcan, un sentier bien tracé (...) menant directement à partir d'une base militaire rwandaise à la frontière à un quartier général de la milice rebelle congolaise M23."
Le sentier de 15 kilomètres, jusqu'à quatre mètres de large, aurait été utilisé pour transporter du matériel militaire et les recrues de l'armée rwandaise aux rebelles qui prirent Goma.
Ces images satellites sont parmi les dizaines de pièces à conviction recueillies par les enquêteurs et qui révèlent comment le Rwanda, en violation de l'embargo sur les armes, a pu fournir une aide directe au M23.
La charge ne s'arrête pas là. Le rapport signale qu'un bataillon entier des forces de défense rwandaise (FDR), soit entre huit cent et mille soldats, aurait été déployé dès la fin octobre sur les positions rebelles de Bukima et Tshengerero.
Sept compagnies des FDR auraient par ailleurs appuyé les hommes du M23 lors de la deuxième offensive sur Kibumba le 17 novembre.
Lequel M23, photos à l'appui, aurait reçu des uniformes de camouflage et aux couleurs similaires à ceux des FDR, afin de permettre aux soldats rwandais d'être moins repérables, notamment lors de la prise de Goma.
Il est également fait état de tirs d'artillerie, à partir du Rwanda, sur les positions des FARDC afin d'appuyer la progression du M23 sous les regards des casques bleus de la MONUSCO.
Mais il y a plus grave : le coordinateur du groupe des experts affirme que le commandement de l'offensive sur Goma aurait été une affaire rondement menée par les Rwandais.
Ainsi, le général rwandais Emmanuel Ruvusha, déjà cité dans le Rapport S/2012/348/Add.1, aurait supervisé sur place, l'exécution d'une attaque planifiée conjointement par James Kabarebe le ministre rwandais de la Défense et le chef d'état-major rwandais, Charles Kayonga.
Pendant ce temps, devant les caméras, les présidents rwandais et ougandais juraient leurs grands dieux qu'ils étaient étrangers à une guerre qualifiée d'"affaire congolo-congolaise".
Droit et rapport des forces
Face au jeu trouble du Rwanda et de l'Ouganda, deux pays dont l'agenda au Congo ne fait plus aucun mystère, les Congolais avaient espéré, sans trop d'illusion, un sursaut de leur armée.
Mais les FARDC, un assemblage pléthorique et hétéroclite de factieux de tous bords, se sont une nouvelle fois distinguées par leur inefficacité.
En fait d'armée, les FARDC sont minées par la présence en leur sein d'anciens rebelles responsables des pires atrocités contre les populations civiles, et qui doivent leur "immunité judiciaire" au crédo de la réconciliation nationale.
Ce même crédo est d'ailleurs en passe de renouveler un schéma qui a pourtant fait la preuve de sa nocuité : l'armée congolaise s'apprête à absorber de nouveau des affidés de Kagame et de Museveni l'Ougandais, les deux fauteurs de guerre responsables du chaos que l'on sait.
Comme lorsque la rébellion du CNDP, autre créature rwandaise et ancêtre du M23 (voir mon billet antérieur sur le sujet), avait réussi à injecter dans la haute hiérarchie des FARDC ses commandants.
Parmi ces derniers, l'ex-Chef d'État major des forces terrestres congolaises, le général Gabriel Amisi, limogé par Kabila après qu'un rapport de l'ONU eut établi que l'officier fournissait en matériel de guerre ses anciens compagnons du M23. Ceux-là-même qu'il était censé combattre sur le front !
Tels sont les méandres de la tragédie qui humilie les Congolais. Certes, ils ont le droit pour eux : tous les éléments constitutifs de "l'acte d'agression", un crime contre la paix consacré par les textes internationaux pertinents (articles 39 de la Charte de l'ONU, article 1 de la Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée Générale de l'ONU et article 5 paragraphe 1 - d) du Statut de Rome régissant la CPI).
Mais ils savent que l'alliance Washington - Kigali - Londres continuera encore longtemps à entraver tout traitement équitable par le Conseil de sécurité de la question congolaise.
Le représentant de la France au Conseil en a fait l'expérience, lui dont le pays s'est heurté plus d'une fois, au cours des dernières semaines, au refus des Américains de désigner de façon explicite le Rwanda et l'Ouganda comme co-responsables de la guerre dans le Nord-Kivu, ce malgré l'amoncellement des preuves fournies par des enquêteurs commis par l'ONU.
Le ni-ni des Congolais
S'ils n'attendent rien des parrains occidentaux de Kagame, s'ils clament leur attachement à l'intégrité territoriale de leur Etat, les Congolais sont paradoxalement peu nombreux à répondre à l'appel à l'union sacrée leur lancée par Joseph Kabila.
Mal réélu en 2011, très affaibli du fait d'une gestion calamiteuse de la guerre, celui que ses partisans appellent "le Raïs" est devenu la tête de Turc de ses contempteurs.
Son opposition parlementaire et extra-parlementaire va jusqu'à demander sa mise en accusation pour "haute trahison". Sans se faire d'illusion.
À Kinshasa, capitale de la "politique spectacle", le coup vise avant tout à marquer les esprits et à manquer volontairement au prince mal aimé.
Mais il ne faut pas s'y méprendre. Le rejet de Kabila épouse celui, encore plus vif, du mouvement rebelle qui tente, sur le tard, de s'attirer la sympathie de l'opinion nationale en réclamant que soient inscrites à l'agenda des pourparlers de paix qui viennent de démarrer, des revendications qui furent longtemps celles de la rue kinoise, de la diaspora et de l'opposition.
C'est qu'avec le M23, les Congolais savent à quoi s'en tenir. Ils savent surtout que derrière Jean-Marie Runiga, le chef rebelle, se dresse l'ombre de Paul Kagame.
Le même Kagame qui est à la manœuvre dans les négociations entre le gouvernement de Kinshasa et la rébellion, dans un scénario des plus incongrus où l'agresseur pourtant démasqué joue les médiateurs face à un pouvoir fragilisé politiquement, atone diplomatiquement et vaincu militairement.
Pour les Congolais désemparés, l'humiliation est à son comble.
Se méfier des vaincus
Concluant une tribune qui a fait des vagues dans les milieux congolais avant d'être relayée par Radio France Internationale, le philosophe Kä Mana, président de Pole Institute basé à Goma, a eu les mots suivants : "Un peuple humilié est un fauve. Et le peuple congolais l'est actuellement. De manière cruelle."
D'autres, que je croise ou dont je lis les écrits sur la blogosphère, se font carrément menaçants.
Ils ont la rage sourde de ceux que l'impuissance temporaire pousse à rêver de ce lendemain où la roue de l'histoire leur permettra enfin d'écraser les raisins de la colère contre ceux qu'ils érigent désormais en ennemis héréditaires : "Savez-vous pourquoi l'Allemagne nazie a déterré la hache de guerre après l'échec de 1914-1918 ?"
C'est dire si, avec sa liste des crimes de sang et autres crimes sexuels, le drame kivutien est devenu, dans l'indifférence relative de la communauté internationale, une bombe à retardement pour la coexistence des populations d'une région où il faisait bon vivre voilà seulement dix-huit ans.
Sur les décombres des conflits sanglants, la France et l'Allemagne ont fécondé l'Europe de la paix. J'aime à croire qu'une telle gageure n'est pas au-dessus des aptitudes congolaises, rwandaises et ougandaises. Mais cela ne se fera pas par l'opération du Saint-Esprit.
Pour le Congo, pays malade de sa gouvernance et d'une image qui le dessert gravement dans les instances décisionnelles d'un monde gouverné par les intérêts économiques et géostratégiques des États, le chantier est titanesque.
Il faudrait que se lève dans ce pays un vrai leadership capable de hisser cette puissance dormante à la hauteur des défis que lui impose son plein potentiel.
Il faudrait, pour leur part, que les régimes totalitaires du Rwanda et de l'Ouganda, ainsi que leurs parrains américains et britanniques, méditent l'avertissement du philosophe congolais.
Nul besoin, en 2012, de se tourner vers le Traité de Versailles du 29 juin 1919 pour réaliser qu'un peuple humilié qui rumine ses échecs récurrents est un réel danger pour la paix future.
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