lundi 31 mars 2014

Quelle vérité pour le Rwanda

Samedi 29 Mars 2014
 
Charles Onana, journaliste franco-camerounais, vient de publier un livre sur la tragédie rwandaise, son quatrième sur ce sujet sur lequel il enquête depuis de nombreuses années. 


Pour Marianne, il revient sur le rôle plus qu’ambigu des Etats-Unis durant cette période et celui de la France que des accords de coopération militaire liaient au régime de Juvénal Habyarimana.


Rwanda, 1995, premier anniversaire du génocide - RENAVAND/SIPA

A quelques jours du vingtième anniversaire de la tragédie rwandaise-un génocide selon les critères de l’ONU, visant essentiellement la minorité tutsi- diverses manifestations sont organisées, notamment en France et en Belgique, l’ancienne puissance coloniale.

Ouvert par Paul Quiles, ancien ministre et président de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda, un colloque réunira ainsi divers intervenants le 1er avril au Palais du Luxembourg. 


Parmi eux, Jean-Marie Micombero, ancien officier tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), entré depuis en dissidence avec ses anciens camarades de combat et accessoirement en exil.

Cette semaine, Marianne révèle en exclusivité son témoignage, accablant pour Paul Kagamé, le chef du FRP et actuel président de la République, puisqu’il accuse ce dernier d’avoir commandité l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, événement prétexte ou déclencheur, selon les points de vue, des massacres qui ensanglantèrent le pays pendant près de trois mois.

Parallèlement, le journaliste franco-camerounais Charles Onana vient de publier un livre* sur la tragédie, son quatrième sur ce sujet sur lequel il enquête depuis de nombreuses années. 


Pour Marianne, il revient sur le rôle plus qu’ambigu des Etats-Unis durant cette période et celui de la France que des accords de coopération militaire liaient au régime de Juvénal Habyarimana.

Marianne.
Selon vous la France n’a cessé de défendre l’option d’un règlement pacifique et politique du conflit entre le FPR et le régime d’Habyarimana alors que les Etats-Unis auraient été constamment dans le double jeu ?

Charles Onana.
Dès l’offensive du FPR contre l’ état rwandais à partir de ses bases de guérilla en Ouganda, en 1990, le président Mitterrand a considéré qu’il fallait à tout prix empêcher la déstabilisation du Rwanda et, plus largement, celle de la région des Grands Lacs. Dans le droit fil d’une politique initiée par son prédécesseur Valery Giscard d’Estaing, il a donc décidé de soutenir Habyarimana et d’assumer les accords de coopération militaire qui liaient les deux pays. Les Américains, eux, suivaient une toute autre logique. Habyarimana était allié à Mobutu, le président du Zaïre (désormais la République démocratique du Congo, RDC, ndlr), partenaire privilégié des Etats-Unis pendant trente ans car considéré comme un rempart efficace contre le communisme mais devenu inutile et encombrant à leurs yeux. En 1990, les Américains ont fait mine d’être surpris par l’offensive du FPR (soldée par des milliers de morts et des dizaines de milliers de déplacés, ndlr). Or en réalité ils n’en ignoraient rien.

Et pour cause : Kagamé a été formé chez eux, à l’Académie militaire du Kansas comme d’ailleurs bien d’autres cadres du FPR. Le Pentagone et la CIA savaient parfaitement qu’il prendrait la direction de la guérilla, connaissaient, et en réalité soutenaient, son projet: renverser Habyarimana par la force et envahir l’est du Congo-Zaïre. Au moment de l’attaque du FPR, Habyarimana se trouvait d’ailleurs aux Etats-Unis où les autorités lui ont proposé de rester, afin bien sûr de laisser le champ libre au FPR. Ce qu’il a refusé… Quand il est revenu à Kigali, Mitterrand n’a eu de cesse de le pousser à négocier avec le FPR, d’exiger la démocratisation du pays et de mettre en place un gouvernement ouvert à l’opposition non armée. Habyarimana a accepté sans sourciller car il avait besoin de l’aide de la France…

De 1990 à 1993, François Mitterrand n’a pas ménagé ses efforts pour aboutir à un accord entre les deux parties. A plusieurs reprises il a dépêché des émissaires auprès du président ougandais Yoweri Museveni pour le pousser à faire pression en ce sens sur Kagamé et les membres du FPR, purement et simplement intégrés dans son armée et ses services. Bruno Delaye, le conseiller de Mitterrand à l’Elysée et le ministre de la Coopération Marcel Debarge ont ainsi fait le déplacement à Kampala. Officiellement, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne appuyaient ces démarches mais, en sous-main, ils soutenaient la guérilla depuis 1988.

Marianne. Y compris militairement ?

Ch.O. En fait l’appui résolu de Washington à la rébellion tutsi s’est dessinée dans la seconde partie de l’administration de Georges Bush père. Dès 1992, à Orlando en Floride, les enquêteurs des services douaniers US ont découvert un important trafic d’armes, des missiles et des hélicoptères, destinés à l’Ouganda et dont le pilier n’était autre que le directeur de cabinet de Yoweri Museveni. Or à cette époque l’Ouganda n’était pas en guerre et le président avait éliminé toute forme d’opposition sur son sol. Ces armes devaient servir d’une part aux rebelles sud-soudanais de John Garang, en guerre contre le régime du général el-Béchir dont les Américains voulaient se débarrasser et d’autre part…au FPR de Kagamé.

Marianne.
Sont-elles arrivées à destination ?

Ch.O.
Quand la justice américaine a établi que ce trafic était ancien et que Museveni en était la cheville ouvrière, la CIA et le Pentagone ont tout fait pour étouffer l’affaire. Et d’une certaine manière ils y sont parvenus puisque l’administration Bush a finalement débloqué, très officiellement, un budget spécifique d’aide attribué à l’Ouganda c’est à dire en réalité à la rébellion tutsi. Plus tard, lors de la signature des accords de paix d’Arusha, des observateurs de l’ONU identifieront dans les mains des combattants du FPR de grandes quantités d’armes venant du « stock » ougandais. 


Marianne.
Aux yeux des Américains, Habyarimana avait comme principal défaut d’être un proche de Mobutu, écrivez-vous.

Ch.O. Les deux hommes étaient effectivement très proches or, je le répète, les Etats-Unis voulaient débarquer Mobutu. L’ambassadeur du Rwanda à Washington m’a raconté comment, à l’époque, Herman Cohen, le chargé des affaires africaines au département d’Etat, lui avait un jour exposé le plan de déstabilisation que les Etats-Unis entendaient mener à bien. Pour cela ils avaient besoin qu’Habyarimana leur accorde le passage sur le territoire rwandais. Il n’a jamais accepté et n’a jamais vraiment compris que l’offensive contre le pré-carré français et l’espace francophone était inscrit dans la politique américaine et déjà largement avancée.

Lorsque Clinton est arrivé à la Maison-Blanche, cette politique s’est amplifiée, notamment sous l’influence de Madeleine Albright, alors l’ambassadrice américaine à l’ONU et Susan Rice, alors au Conseil national de la sécurité (NSC).

Marianne.
Mais les Etats-Unis appuyaient les accords de paix d’Arusha entre le FPR et le régime d’Habyarimana ?

Ch.O. Absolument. Mais de manière très tordue. J’ai découvert un document du département d’Etat adressé à Herman Cohen évoquant très explicitement les pressions qu’il faut exercer sur Habyarimana, via le Français Paul Dijoud (directeur des affaires africaines au ministère des Affaires étrangères en 1992) et le Belge Willy Claes (alors ministre des Affaires étrangères dans son pays) pour qu’il accepte la totalité des accords d’Arusha. Tout en reconnaissant que les termes en étaient inacceptables pour les Hutus.

Marianne.
Quelle sera l’attitude des Etats-Unis au lendemain du 6 avril 1994 ?

Ch.O.
Pendant les trois mois que dureront les massacres, ils ne se mobiliseront jamais en faveur d’une véritable opération de pacification qui aurait pu y mettre un terme. Il fallait éviter que les Français n’interviennent en force à Kigali puisque le FPR exigeait leur départ du sol rwandais…Tant que les troupes françaises demeuraient à Kigali, le FPR ne pouvait pas prendre le pouvoir. En juin, quand l’ONU a demandé à la France de monter ce qui deviendra l’opération Turquoise, officiellement ils ont appuyé mais ne l’ont pas soutenu logistiquement alors qu’ils avaient promis des avions. Puis ils vont monter leur propre opération humanitaire, Support Hope, à partir de Kampala (la capitale ougandaise, ndlr) mais il n’y avait alors plus personne à sauver au Rwanda...

Les Britanniques ont procédé pareillement avec une opération baptisée Gabrielle. En réalité tous ces militaires, parmi lesquels également des Israéliens, se sont empressés de former les nouvelles forces armées rwandaises passées sous contrôle du FPR. 

Avant même la fin des massacres, le département américain a exigé la reconnaissance des nouvelles autorités. Et quelque temps plus tard, le Français qui était langue courante avant même la colonisation sera supprimé de la vie administrative…

Marianne. Mitterrand a-t-il saisi le double jeu anglo-américain ?

Ch.O.
Oui, notamment grâce à son chef d’état-major particulier, le général Christian Quesnot qui avait parfaitement analysé la stratégie du FPR et de ses soutiens à Washington et à Londres. Mais Mitterrand était déjà malade et, face à la violence de la campagne anti-française dans les médias hexagonaux, il n’a pas pu ou su s’y opposer.

Marianne.
François Mitterrand, ami et complice des génocidaires…L’accusation figure encore dans une récente bande-dessinée parrainée par le journaliste Patrick de Saint-Exupéry. Qu’en pensez-vous?

Ch.O. C’est absurde ! Sur le plan personnel, politique, médiatique, quel intérêt cet homme, dont même ses ennemis s’accordent à reconnaître l’intelligence, avait-il à encourager un génocide ? Parmi ses détracteurs qui assimilent le génocide rwandais à la Shoah -et cela n’a aucun sens sur le plan historique- certains règlent un compte personnel avec lui.

Marianne. Mais ne s’agit-il pas tout de même d’un génocide prémédité ?

Ch.O.
Si c’était le cas, vous ne pensez pas que le FPR, les institutions internationales, les Etats présents d’une manière ou d’une autre dans la région auraient tiré la sonnette d’alarme bien avant le 6 avril 1994 ? Or, il n’y a aucune trace documentée d’un tel processus. Et c’est bien la raison pour laquelle le Tribunal international pour le Rwanda (TPIR) éprouve tant de difficultés pour l’établir. 


Marianne.
Le seul rapport d’expertise établi à ce jour, sous la responsabilité des juges Marc Trévidic et Nathalie Poux désigne sans les nommer les extrémistes hutus comme auteurs vraisemblables de l’attentat du 6 avril, à partir du camp de Kanombé sous contrôle des Forces armée rwandaises (FAR), fidèles à Habyarimana…

Ch.O.
D’abord, l’instruction de ces magistrats est loin d’être terminée. Et, à mon avis, elle montre encore de nombreuses failles. Comment se fait-il par exemple que le commandant du camp de Kanombé n’a jamais été entendu. Il a pourtant écrit au juge Trévidic en ce sens, tout comme un capitaine des FAR qui avait recueilli de nombreux témoignages à chaud parmi les troupes du camp. Idem pour des observateurs de l’ONU présents sur place ou encore le général Roméo Dallaire, le commandant de la Minuar. Tous ces gens pourraient apporter des éléments fort enrichissants à l’instruction.

Marianne. Après quatre livres et des années d’enquête, quelle est votre conviction ?

Ch.O.
Je reste persuadé que Kagamé et ses hommes sont les auteurs de l’attentat. Je l’ai déjà écrit et il m’a poursuivi en justice avant de retirer finalement sa plainte. Etrange non ? 


Le TPIR a tout fait pour exclure l’attentat de son champ d’investigation. Si, documents et témoignages à l’appui, le tribunal était convaincu que les Hutus sont coupables de l’attentat, pensez-vous qu’il agirait ainsi ?
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Recueilli par Alain Léauthier
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*La France dans la terreur rwandaise, de Charles Onana. Edition Duboiris.

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