samedi 8 mars 2014

Rappeur, politilogue ou prélat... ils disent non à la modification de la Constitution burkinabè

07/03/2014


Idole des jeunes, le rappeur Smockey a créé un mouvement : le Balai citoyen. © Sophie Garcia pour J.A.

Ils sont contre une modification de la Constitution burkinabè et le font savoir. Chacun selon son style.

Qu'ont en commun un cardinal, un idéologue de la révolution sankariste sur le retour, un politologue à la mode dans la sous-région et un rappeur perçu comme une icône par la jeunesse du pays ?

Réponse : leur opposition à la modification de l'article 37 de la Constitution et, donc, à une nouvelle candidature du président sortant en 2015.

Cette alliance hétéroclite est, selon les termes de l'un d'entre eux, "à l'image de la société burkinabè, en pleine évolution", et montre, selon un autre, "que les frontières générationnelles, idéologiques et sociales s'effacent lorsqu'il s'agit de défendre la démocratie".

Certes, les mots qu'ils emploient ne sont pas les mêmes, le ton de leurs discours est plus ou moins mesuré, mais, dans le fond, Mgr Philippe Ouédraogo, le camarade Valère Somé, le professeur Augustin Loada et Smockey semblent d'accord sur une chose : il est temps que Blaise passe la main.

Dans le studio d'enregistrement qui lui sert de quartier général, où trônent récompenses musicales, portraits de Thomas Sankara et de Norbert Zongo, Serge Martin Bambara, alias Smockey, ne mâche pas ses mots. Pas son genre.

"Compaoré doit partir. Il est fragile. Il peut tomber." S'il tente de passer en force ? "Il nous trouvera face à lui." Et s'il va au référendum pour modifier l'article 37 ? Idem.

"Attention, nous ne sommes pas des militaires, nous prônerons alors la désobéissance civile, nous utiliserons les armes citoyennes", tient à préciser celui qui s'est fait connaître en 2005, année électorale, grâce à son clip décapant Votez pour moi.

"Nous", dans la bouche de Smockey, ce sont les jeunes, catégorie qu'il prétend représenter, même s'il est conscient qu'à 42 ans il n'en fait plus vraiment partie.

En 2013, avec le reggaeman burkinabè Sams'k le Jah, il a lancé Le Balai citoyen, mouvement qui revendique sa filiation avec les Sénégalais de Y'en a marre et prône l'action plutôt que la réflexion.

Depuis, ils sont de toutes les manifestations, et les balais sont partout. "Nous sommes persuadés qu'un mouvement citoyen peut nous débarrasser de Compaoré.

Cela fait des années que la jeunesse est décidée, mais, maintenant, elle n'est plus seule, explique le rappeur. Les commerçants sont en colère, les paysans sont conscients, même les chefs traditionnels et les religieux s'y mettent."

Tolé Sagnon tire sa révérence

Peut-on, quand on a lutté toute sa vie pour les droits des travailleurs, abandonner le champ de bataille avant que la nature en décide ?

À cette question, Tolé Sagnon n'a pas encore trouvé de réponse. Certes, début 2013, à 60 ans, le chimiste a pris sa retraite professionnelle.

En novembre, il a donné les clés de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), qu'il dirigeait depuis 1988, à l'un de ses fidèles, Bazié Balsoman, après avoir accepté d'endosser le costume de chef de canton que lui réservaient les habitants de sa province du Comoé.

Bientôt, il devrait aussi lâcher la présidence de son autre "bébé", la Coalition nationale de lutte contre la vie chère (CCVC), qu'il a créée au milieu des années 2000. Mais Sagnon n'en a pas pour autant fini avec la vie publique. "Impossible", admet-il.

Pour lui, les batailles sont encore nombreuses. À commencer par celle qui doit faire de son pays un État de droit démocratique, sujet sur lequel, dit-il, "on peut encore mieux faire".

Ce monument ouest-africain de la lutte syndicale, qui se définit toujours comme marxiste, a tout connu : les sous-sols de la sûreté, sous Sankara, quand il luttait pour le droit à se syndiquer ; les pressions, dans les années 1990, quand il dénonçait l'impunité dans l'entourage du président Compaoré ; des heures de négociations avec le gouvernement pour obtenir une augmentation salariale ou la baisse du prix de tel ou tel produit de base...

"Ma famille a subi les conséquences de mon engagement. Mais je n'ai pas à me plaindre, je suis en vie. D'autres camarades nous ont quittés trop tôt." Paradoxalement, c'est au moment où la société civile occupe une place prépondérante dans la vie politique nationale qu'il tire sa révérence.

La CCVC et la CGT-B, qui ont longtemps été en première ligne, ne sont plus à la pointe de la contestation. Si Sagnon affirme ne pas souhaiter la modification de l'article 37, il dit aussi se méfier de ces nouveaux mouvements de la société civile trop proches, à son goût, de certains partis.

"Moi, j'ai toujours fait attention de rester indépendant, je n'ai jamais fait de politique. Nous ne voulons pas l'alternance pour l'alternance, nous voulons l'alternative. Et nous luttons contre le libéralisme à outrance. Or quelle sera la politique de ceux qui sont dans l'opposition aujourd'hui ?"


Pour Tolé Sagnon, les combats sont encore nombreux. © Sophie Garcia pour J.A.

"Son arrivée à la tête de l'archevêché de Ouagadougou a tout changé"

Parmi ces religieux, il y a Philippe Ouédraogo. Dans le salon de l'archevêché de Ouagadougou, où il multiplie les réceptions depuis l'annonce de son élévation au titre de cardinal, Mgr Ouédraogo se garde bien de se ranger dans la catégorie de ceux qui veulent le départ de Compaoré.

Le pasteur de la communauté catholique burkinabè a suffisamment de bouteille pour ne pas tomber dans ce piège. Il n'appellera pas les chrétiens à descendre dans la rue et lui-même n'ira pas manifester, assure-t-il.

Pourtant, quand on aborde la question de l'article 37, il ne laisse guère de place à l'ambiguïté : "Nous souhaitons le respect de la Constitution. La cohésion sociale est perturbée... Nous sommes préoccupés pour la paix et la cohésion sociale, et interpellerons les acteurs de la scène politique chaque fois qu'elles seront menacées. Ma nomination n'y changera rien."

Le discours est aussi policé que l'homme est résolu. "Son arrivée à la tête de l'archevêché de Ouagadougou en 2009 a tout changé, souligne un acteur de la société civile.

Son prédécesseur était très proche de Compaoré, lui s'en est tout de suite démarqué. Il n'est pas actif dans la mobilisation, mais ses prises de position ont libéré la parole et nous ont bien aidés." 

En effet, dès 2009, les évêques du Burkina s'opposent au projet de modification de l'article 37, ce qui oblige Compaoré à le repousser.

Et en 2013, après que la rue s'était mobilisée contre le projet de création d'un Sénat et qu'ils avaient annoncé qu'ils refuseraient d'y être représentés, les évêques du Burkina, dans une lettre pastorale publiée le 15 juillet, ont dénoncé "le malaise social" et "la corruption", "une gouvernance de plus en plus déconnectée de la réalité", et évoqué pour la première fois "la patrimonialisation de l'État".

Des prises de position qui irritent le Palais de Kosyam, où l'on connaît le poids historique de l'Église catholique dans le pays, et où ladite lettre n'a toujours pas été digérée. "C'était un tract politique et rien d'autre", glisse, amer, un collaborateur du président.

Le politologue enchaîne les réunions de crise

Un tract que n'aurait sûrement pas renié Valère Somé, qui s'y connaît en ce genre littéraire. Cet intellectuel hors norme, que l'on considérait comme le "cerveau politique" de Sankara sous la révolution, s'était fait discret depuis qu'il avait choisi l'exil, en 1988, un an après l'assassinat de son ami.

Après son retour, en 1994, il avait tenté de créer son propre parti, sans succès. Depuis, il se contentait de donner des cours d'anthropologie dans un institut de recherche et de faire vivre la pensée sankariste dans des clubs où se pressaient quelques nostalgiques.

Mais à la mi-2013, il a refait surface à la tête du Comité d'action pour le peuple, un mouvement de la société civile - pas un parti -, dont le but n'est autre que d'obtenir le départ de Compaoré en 2015.

On ne le voit pas à la tribune, il reste au second plan, mais, selon l'un de ses anciens compagnons de lutte, "son retour sur la scène politique est un atout pour l'opposition".

Augustin Loada ne serait pas surpris de voir Somé rejoindre ses ex-camarades de l'Union de lutte communiste reconstruite (ULC-R) Roch Marc Christian Kaboré et Simon Compaoré, démissionnaires du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir).

Professeur de droit et de sciences politiques, directeur du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD, qu'il a fondé en 2000), Loada est considéré comme une sommité au Burkina et comme un interlocuteur fiable par la communauté internationale.

Quand il n'enseigne pas à Ouaga, il donne des cours aux États-Unis ou parcourt le Japon pour en étudier le système politique. Mais depuis quelques mois, le politologue enchaîne surtout les réunions de crise.

Le CGD est membre du Front de résistance citoyenne, l'un des trois mouvements de la société civile les plus actifs avec la Coalition nationale de lutte contre la vie chère (CCVC) et Le Balai citoyen.

Loada, 47 ans, physique de lutteur mais look de rat de bibliothèque, se bat donc lui aussi contre la modification de l'article 37. "Passer de l'analyse à l'action n'a pas été facile, convient-il.

Il y a eu des débats au sein du CGD, mais il faut se rendre à l'évidence : dans le contexte actuel, on ne peut pas se contenter de faire de la réflexion, il faut agir. Il en va de l'avenir de notre démocratie."


Mgr Philippe Ouédraogo (le 18 janvier à Ouagadougou). © Sophie Garcia pour J.A.

La Divine surprise

À sa création au rang de cardinal, annoncée le 12 janvier alors qu'il revenait d'un pèlerinage à l'église Notre-Dame-de-Yagma et qui s'est concrétisée le 22 février à Rome, Philippe Ouédraogo ne s'attendait pas. "Ce fut une surprise. Je n'avais pas d'ambition", explique-t-il dans la pénombre du salon de l'archevêché de Ouagadougou, qu'il occupe depuis 2009.

Et d'ajouter, confirmant la réputation de simplicité qui lui colle à la peau dans son pays - et lui a certainement valu d'être appelé auprès du pape François : "Je n'ai rien fait d'autre que mon travail de pasteur, je n'ai aucun mérite. Comme le dit le pape lui-même, ce n'est pas une promotion, mais un service. J'espère que cette nomination ne va pas m'éloigner de mon peuple. Et je vais continuer à être Philippe."

Il pourrait pavoiser pourtant. Lui qui aime porter le faso dan fani (tissu traditionnel) sous la soutane est, après Mgr Paul Zoungrana (décédé en 2000), le deuxième Burkinabè à rejoindre le collège cardinalice - qui ne compte que 13 Africains sur 122 électeurs.

Né il y a soixante-huit ans dans le département de Kaya (Centre-Nord), baptisé avant même ses parents - qui n'étaient pas chrétiens -, Philippe Ouédraogo a un parcours exemplaire.

L'école publique d'abord, puis le petit séminaire à Pabré (Centre) et le grand à Koumi (près de Bobo-Dioulasso). Le 14 juillet 1973, il est ordonné prêtre et rejoint sa paroisse de Kaya en tant que vicaire.

À la fin des années 1970, il part étudier le droit canonique à Rome, consacre son doctorat à la polygamie ("un grand défi pastoral au Burkina", dit-il aujourd'hui), puis redevient curé de Kaya. 

Nommé évêque en 1996, il est envoyé à Ouahi­gouya (Nord), jusqu'en mai 2009, où il devient archevêque métropolitain de Ouagadougou.  
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Rémi CARAYOL
Jeune Afrique

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