vendredi 25 avril 2014

RD Congo : Ils ont eu Mobutu et abusé les Congolais

La dépouille de l’ancien président zaïrois va être rapatriée au Congo, a annoncé Joseph Kabila. 

Décédé en exil, au Maroc, le 07 septembre 1997, Mobutu reste un sujet complexe qui devrait alimenter pour longtemps la réflexion politique et le travail de conscience à l’intention des dirigeants congolais. 

L’homme, après avoir été l’« ami » indéfectible des Occidentaux durant la difficile période de la Guerre froide, sera l’objet d’un machiavélisme froid qui continue de faire des ravages dans la tête des Congolais.

 

Tout commence par le coup d’Etat du 24 novembre 1965 par lequel la CIA installe au pouvoir un certain « général Mobutu », après avoir orchestré l’assassinat de Patrice Lumumba quatre ans auparavant. 


Sous le regard complice de l’Occident, Mobutu se livre alors à un « nettoyage » de la classe politique héritée des luttes pour l’indépendance du Congo (enlèvements, assassinats, pendaisons, exil,…).

Les « amis » américains

Il s’agit, officiellement, de lutter contre le chaos et l’anarchie. En réalité, il s’agit de priver durablement les Congolais de tout espoir de démocratie, la seule parole politique ne tenant qu’à la propagande du Parti-Etat. 


Il s’agit surtout d’orchestrer le silence sur les véritables motivations des pays occidentaux au Congo. Le pays est mis en coupe réglée. 

Les Congolais vont s’appauvrir pendant que leur pays génère des richesses faramineuses tirées de ses immenses ressources minières. 

Ce que reçoivent les Congolais ce sont des discours tonitruants, des chants patriotiques, des parades militaires, la musique, la danse, la bière à flot,…. Le Zaïre prend les allures d’un vaste carnaval.

L’Occident est content, Mobutu est content, les Congolais ont pris acte. C’était ça le monde.

Jusqu’à ce que se produise en Europe un évènement inattendu. Le 09 novembre 1989, c’est la chute du Mur de Berlin. 


Mobutu n’en croit pas ses oreilles lorsqu’un jour de 1991, sur le Yacht présidentiel Kamanyola, l’ambassadrice américaine à Kinshasa, Melissa Wells, lui fait savoir que les Etats-Unis n’ont plus besoin de lui et qu’ils vont le « forcer à quitter le pouvoir »[1] s’il n’applique pas leur schéma. 

Le président zaïrois expulse l’ambassadrice. Il est loin de se douter des horreurs dans lesquelles ses « amis » s’apprêtent à plonger « son pays ».



Se faire poignarder dans le dos

La première guerre du Congo (1996) débute par quelques escarmouches dans la plaine de la Ruzizi (Sud-Kivu). On parle de la « révolte des Banyamulenge », un nom « exotique ». 


Pour les Zaïrois, c’est un non évènement. Mobutu lui-même n’a jamais été aussi sûr de lui lorsqu’il affirme : « Je connais Kabila (Laurent Kabila, ndlr), c’est un petit trafiquant ». Il voyait le vieil ennemi qu’il avait plusieurs fois écrasé durant les batailles de Fizi et de Moba. 

Le « vieux rebelle » est entouré de quelques paysans chaussés de bottes en caoutchouc et des gamins (les kadogo) sortis tout droit de villages ancestraux. 

Derrière eux, tout au plus, le « petit Rwanda » ruiné par la guerre et saigné par le génocide, deux ans auparavant. Le Maréchal n’en fera qu’une bouchée !

Le « vieux Léopard » mettra du temps avant de réaliser que ses alliés de toujours, les Occidentaux, le « poignardaient dans le dos », pour reprendre la mémorable formule. 


Les Zaïrois sont alors déroutés face à la fulgurante progression des « rebelles » encadrés par des stratèges « blancs ». Le machiavélisme dont le Congo est l’objet sera amplifié par la fabrication des mythes qu’on n’a pas fini de déconstruire.

La mystification

En effet, dans l’imaginaire collectif reste gravée l’image de ces adolescents rwandais qui marchaient péniblement dans les rues de Kinshasa avec des Kalachnikovs qu’ils avaient du mal à porter. 


Les « Tutsis congolais ». Ce sont eux qui avaient terrassé militairement un pays de la taille de l’Europe occidentale.

Il a fallu du temps pour lever une partie des mystères de la Première Guerre du Congo. 


Les recherches entreprises plus tard révèlent qu’en réalité, Mobutu fut renversé par une vaste coalition internationale regroupant, non seulement des Rwandais, mais aussi, et surtout, des Ougandais, des Burundais, des Angolais, des Zimbabwéens, des Sud-Africains, des Britanniques, des agents secrets israéliens, avec, en chef d’orchestre, les Etats-Unis d’Amérique.

Les Congolais sont restés longtemps focalisés sur la personne de ces « Rwandais » qui, en réalité, n’étaient là que pour orchestrer le lavage de cerveau. 


Le Rwanda et l’Ouganda n’ont pas les moyens autonomes de mener durablement la guerre contre le Congo. 

Les deux pays ne disposent ni de complexes militaro-industriels, ni de réserves stratégiques (pétrole, gaz), ni de réserves financières.

Ils servent essentiellement de masque derrière lequel se dissimulent les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour mener une atroce guerre de prédation contre le Zaïre et maintenant le Congo. Et la mascarade dure depuis 17 ans.

La gloire et le coup de grâce

Les Etats-Unis ont eu Mobutu mais ont aussi révélé ce qu’ils ont de plus sombre. Au-delà des tragédies générées par les bouleversements qu’ils occasionnent au Congo, de façon répétée, depuis l’assassinat de Patrice Lumumba, ils suscitent une angoissante question : « jusqu’où peuvent-ils aller » ?

Ce qui ne suffit pas à dissuader bien des prétendants à l’accession au pouvoir qui espèrent pouvoir régner en se faisant adouber par l’« Oncle Sam » sur fond d’inavouables agendas cachés.

La chute sera brutale. Le successeur de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila, finira ses jours dans un atroce scenario (assassiné dans le palais présidentiel)[2].

Son cas donne encore plus matière à réflexion.
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Boniface MUSAVULI

 
 

[1] P. PEAN, Carnage – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, 2010, p. 348.

[2] « Cette implication des services américains a été ébruitée par de nombreuses sources. Selon le journaliste américain Wayne Madsen dans un témoignage produit devant la commission des droits de l'homme du Sénat américain, l'opération décidée par la DIA avait été confiée à un service militaire d'assistance technique (PCMS). L'un de ses informateurs devait expliquer à Colette Braeckman que 36 millions de dollars avaient été débloqués pour mener à bien cette opération. Il semble que plusieurs « filières », toutes également hostiles à Kabila, ont été activées avec pour objectif de parachever l'opération avant l'arrivée à la Maison-Blanche du président Bush, fixée au 20 janvier 2001, jour de son investiture. » P. PEAN, op. cit., p. 410.

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