mercredi 4 juin 2014

L’autre face des expulsions de Brazzaville

le 4 juin 2014

 

La patate chaude

Kinshasa et Brazzaville se sont invités les 2 et 3 juin 2014 autour d’une « commission spéciale défense et sécurité » pour régler le différend né des expulsions des Congolais de la RDC vivant de l’autre côté du fleuve Congo. 


Après une période de fortes turbulences, les expulsions de Brazzaville livrent leurs secrets. Si Brazzaville s’est débarrassé d’un trop plein d’indésirables, se dit-on dans les milieux spécialisés, à Kinshasa, l’on craint que ces événements n’aient dressé le lit à une vaste opération d’infiltration. Un travail de fond s’impose pour parer à toute éventualité.

L’effet de surprise passé, les expulsions massives et brutales des ressortissants de la RDC du Congo-Brazzaville livrent petit à petit leur secret. Avec le temps, des analystes sont parvenus à décrypter les vraies motivations de cette opération de Brazzaville.

En effet, après la grande vague d’expulsions des Congolais de Kinshasa vivant à Brazzaville, l’on a eu du mal à s’expliquer ce brusque revirement de Brazzaville, alors que des accords garantissant la libre circulation des personnes et des biens liaient les deux pays. 


Curieusement, Brazzaville a fait fi de tous les instruments juridiques conclus avec Kinshasa, en décrétant manu militari une vaste opération de reconduite à la frontière des ressortissants de la RDC.

Tous - même ceux en séjour régulier - ont été victimes de ces expulsions. Et parfois, ces opérations tournaient à l’hécatombe, certains expulsés ayant subi des tortures et sévices de tous genres au moment de leur reconduite à la frontière.

Ce qui n’était qu’apparent à ses débuts a pris les allures d’une crise lorsque Brazzaville a décidé d’imposer à tout ressortissant du Congo-Kinshasa un passeport à la traversée du fleuve Congo. 


Réponse du berger à la bergère, Kinshasa a enjoint à ses voisins l’obtention d’un visa pour fouler son sol. Ce jeu de passe-passe a refroidi les relations entre les deux pays frères.

Il était donc temps que les deux capitales les plus rapprochées du monde mettent de l’eau dans leur vin, en tempérant les ardeurs. 


D’où, la convocation à Kinshasa, les 2 et 3 juin 2014, d’une Commission spéciale défense et sécurité. Pour la circonstance, Brazzaville a dépêché à Kinshasa son ministre de l’Intérieur.

De cette réunion, l’on retiendra essentiellement que les deux parties se sont mis d’accord autour d’un projet de convention sur la circulation et l’établissement des personnes et des biens entre le gouvernement de la RDC et celui de Congo/Brazzaville. La convention ne devait cependant entrer en vigueur qu’après la procédure de ratification par les Parlements de deux pays.

Par ailleurs, les deux parties ont convenu de régler le différend qui les a opposés par la mise sur pied d’une équipe mixte de la Commission spéciale défense et sécurité qui va permettre, selon Richard Muyej, ministre de l’Intérieur de la RDC, « d’avoir une compréhension commune de cette délicate situation et d’envisager la réparation des préjudices subis par mes compatriotes ».

Les dessous des cartes

Si les deux capitales s’engagent désormais dans une dynamique d’apaisement, l’on ne peut cependant pas s’empêcher de comprendre la logique qui a amené Brazzaville à décréter, de la manière la plus arbitraire, les expulsions des ressortissants de la RDC.

C’est vrai que Brazzaville a motivé ces expulsions par la mise en œuvre d’une vaste opération de police, dite « Mbata ya bakolo » ; opération dont la plus importante motivation aura été de traquer les criminels, communément appelés « kuluna », qui écumaient les rues de Brazzaville et ses environs. Il n’est pas pour autant exclu que d’autres motivations aient entouré ces expulsions.

En fait, Brazzaville s’est débarrassé d’une patate chaude, sans avoir assuré le service après-vente de ceux-là même qui avaient fait la décision entre Pascal Lissouba et Denis Sassou. 


Dans le lot des expulsés se mêlent aussi des colis encombrants constitués des « Oies sauvages » rwandais indésirables partout. La partie immergée de l’iceberg de ces expulsions est bien là.

A ce jour, la comptabilité des expulsions s’élève à plus de 130 000 Congolais de Kinshasa reconduits à la frontière. 


Usant ainsi de sa souveraineté, Brazzaville nettoie son territoire de tous les éléments qui mettent en mal la quiétude de sa population. Jusque-là, rien d’anormal pour un Etat souverain et ayant des comptes à rendre à sa population lors de prochains scrutins.

Les autorités de Brazzaville ont donc identifié le mal et elles sont déterminées à l’extirper. A première vue, l’on serait tenté de soutenir la thèse d’une sécurisation tous azimuts du territoire congolais. 


Mais, le discours qui a accompagné l’opération « Mbata ya bakolo » contre principalement les ressortissants de la RDC lui confère une autre symbolique. Selon des sources crédibles et des analyses des géostratèges indépendants, l’opération va au-delà de sa version apparente.

Pressés comme du citron

Le caractère massif et brutal de l’opération principalement contre les RD Congolais n’est pas le fait du hasard. L’effet de surprise recherchée constitue, à lui seul, un indice qui ne trompe pas sur des objectifs stratégiques cachés de cette opération. 


La bataille engagée entre Lissouba et Denis Sassou qui s’était soldée par la victoire du second avait connu la participation active et déterminante des éléments des ex-Forces armées zaïroises (FAZ), des Hutu qui avaient fui l’avancée de l’AFDL en 1996, les ex-militaires du MLC… C’est un cocktail, particulièrement encombrant dont Brazzaville a voulu juste se débarrasser, sous couvert de l’opération « Mbata ya bakolo ».

En effet, se disent nombre d’experts, Brazzaville craint de ne plus avoir le contrôle de tous ces fugitifs qui ont pourtant été d’un apport estimable lors de la bataille de Brazzaville entre les troupes de Lissouba et celles de Sassou Nguesso. 


Des témoignages concordants renseignaient d’ailleurs que les ex-militaires des FAZ et bien d’autres, dont les ex-militaires MLC, avaient combattu du côté de Sassou lors de la prise de Brazzaville.

Aujourd’hui, ce sont tous ces gens qui paraissent particulièrement nuisibles pour le pouvoir en place à Brazzaville. N’ayant pas pu les gratifier à leur juste valeur, Brazzaville a trouvé mieux de passer par un stratagème, l’opération « Mbata ya Bakolo », en les renvoyant hors de ses frontières.

Pressés comme du citron, ces « Oies sauvages » ont été abandonnées à leur triste sort, obligées de vivoter. Le service-après vente n’étant pas assuré, couplé avec l’approche des échéances électorales à problèmes, Brazzaville redoute donc que cette main-d’œuvre disponible et bon marché puisse reprendre du service, mais au profit d’un autre maître. 


D’où cette stratégie qui consiste à déverser ce trop plein dans la poubelle du Congo Kinshasa, considérée comme un dépotoir pouvant recevoir n’importe quel détritus.

S’il est difficile de renvoyer à Kinshasa des réfugiés congolais, il n’est pas interdit de faire traverser les Hutu rwandais en RDC. Une sorte de relève est ainsi assurée aux FDLR qui se rendent en vue de leur démobilisation. 


Selon des observateurs, l’opération en cours à comme motivation ce transvasement en douceur des criminels, mais un vrai martyr pour d’innocentes populations.

Le tri systématique

Il y a véritablement des risques évidents d’infiltration de la ville de Kinshasa. Déjà, le nombre de Congolais impressionnent. Le dernier bilan rend compte d’un chiffre proche de 130 000 refoulés. Dire que la plupart de ces expulsés ont regagné Kinshasa sans aucune identité. 


Kinshasa n’a pas eu une marge de manoeuvre assez large pour mieux les identifier. 

Les refoulés de Brazzaville ont donc été accueillis dans un désordre indescriptible, si bien que tous y sont passés.

Les services d’intelligence congolais ont pris la mesure du danger dès le début. La Direction générale de migration (DGM) s’est ainsi attelé à opérer une identification systématique des expulsés. 


Les données recueillies doivent passer au crible les renseignements récoltés par la DGM. L’objectif est d’extraire parmi les Congolais expulsés tous les criminels disposés à semer la désolation pour leur survie.

Ce travail de fourmi ne peut pas se faire sans le concours de la population. La population congolaise en général, et kinoise, en particulier, doit se mettre à l’œuvre pour aider les services de défense et de sécurité en vue de prévenir le danger. 


Le plus urgent est de minimiser le risque réel de déstabilisation de la ville de Kinshasa.

Déjà, les premiers indices sont visibles, avec notamment une flambée de cambriolages et d’attaques à main armée. C’est dire le danger est réel. 


Et la population civile qui devait en payer le plus lourd tribut doit apporter sa contribution aux services de l’Etat pour mettre hors d’état de nuire ceux qui ont regagné Kinshasa avec l’intention de mettre la ville à feu et à sang.

En renvoyant de manière désordonnée des ressortissants Congolais vivant de l’autre côté du fleuve, Brazzaville a mis Kinshasa dans une situation délicate.

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Le Potentiel

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