samedi 13 septembre 2014

Le milliardaire qui compte Fleurette au Congo-Kinshasa

La RDC a beau se traîner dans les tréfonds des classements mondiaux sur le développement, pour très peu elle demeure un eldorado…



Petit exemple illustré. 
 
La piscine lorgne de loin vers l'art déco. Elle prend naissance aux abords de la première batisse, destinée à la sentinelle et aux chauffeurs. Ce petit personnels, dès lors que le salaire le permet, se révèle indispensable à Kinshasa, mégalopole d'au moins 10 millions d'habitants à la circulation aussi anarchique qu'erratique. 

Alternent les boulevards bitumés, les rues défoncées qui ont enfoui le goudron sous les cratères et les pistes. Dans tous les coins de la ville. Anarchie éprouvante. La route qui a mené vers ce rendez vous s'est révélée correcte. Sans trop de trous. Donnant à ce quartier résidentiel une impression de quiétude. 

Là, pas de tout à l'égout parfumant la ruelle, ni de tas d’immondices, décorum banal de l'ancienne Léopoldville. 

Dans la salle d'attente de la maison du maître des lieux, des photos de l'hôte avec les présidents de la sous-région. Angola, Ouganda, République démocratique du Congo évidemment et même Rwanda. La climatisation n'est pas poussée, l'hiver australe baigne l'autorise.

Le sphinx replet de Kinshasa

Excellence, honorable, le visiteur peut se perdre dans les titres dont s'affublent les hommes politiques congolais. Celui-là est passé par tous les états depuis deux décennies, à l'instar de son pays, traversés par deux grandes guerres, baignant toujours dans des conflits de faible intensité. 

Et de grands drames. 5, 7, 10 millions de morts dus aux conflits depuis 1996. Les spécialistes se perdent dans leurs calculs, les médias se détournent, et le Congo demeure, comme son fleuve, impétueux, peu navigable, gigantesque.



Il propose un café, demande l'anonymat. Puis, parle librement. Intime du président Kabila, au pouvoir depuis 2001, il l'a vu évoluer. Un sphinx replet. 

Là où ses prédecesseurs Mobutu ou son père ont aimé à parler, enivrant le peuple de grandes tirades, Joseph se tait. Son visage se contente d'orner bien les affiches 4x3 du boulevard du 30 juin, la plus grande avenue de la ville, assurant que le pays fait cap vers l'émergence. 

Alternant dernière et avant dernière place du classement de l'indice de développement humain du Pnud, le défi semble relevable…

En 13 ans de pouvoir, Kabila a grossi, son emprise sur le pays ne s'est pas vraiment renforcée. Et l'opposition lui montre la sortie, avec un appui de taille les Etats-Unis. John Kerry en personne s'est rendu en RDC. 

Le secrétaire d'Etat américain a insisté sur la nécessité de ne pas changer la constitution de 2006, qui interdit plus de deux mandats consécutifs. Elu en 2006 puis 2011, Kabila doit passer la main ou tordre la loi fondamentale.

Derrière la constitution, le pétrole

«C'est ce qui vous amène? demande le maitre des lieux. D'accord mais après nous parlerons d'un vrai sujet.» L'homme entonne le refrain du 2 poids 2 mesures. Que le Congo voisin où sévit depuis 1997 Denis Sassou Nguesso, ou le Togo, ou le Rwanda se retrouvent peu ou prou dans la même situation. 

«Pour que leurs présidents se maintiennent il faudra qu'ils changent leurs textes. Vous entendez les Etats-Unis parler contre eux». 

L'interlocuteur déroule. «Que le président se représente n'est pas la meileure solution mais en existe-il? 

La peur de la vengeance si l'alternance se réalise fige un peu les choses. Même dans la majorité présidentielle, l'émergence d'un dauphin inquiète.» 

Alors? «Nul ne sait si le président va se représenter». Le ton est un peu las. Une teinte de regret pointe. « Ce n'est pas nécessaire de changer la constitution, ni que le président se représente. On pourrait, qui sait, opter pour un modèle russe, où le président devient chef de gouvernement avant de reprendre le poste. Mais pour l'heure nul ne songe à cela, on s'interdit même la réflexion.» 

Le sujet ne le passionne guère. Peut-être sait-il l'issue inévitable. C'est un autre thème qui le passionne, l'agace. Le pétrole. Le dernier trésor du scandale géologique congolais. 

Riche de tous les minerais possibles et imaginable, de l'or au diamant en passant par le cuivre, le coltan si nécessaire aux téléphones portables. 

Des minerais de sang qui alimentent les guerres du Congo. Ne manquait que la matière première par excellence. Le pétrole. «C'est l'avenir du pays». Ses yeux s'enflamment, les mots sont plus appuyés. Et l'ennemi désigné. Un financier israélien, basé en Afrique du sud et très actif en RDC. Dan Gertler.

Gertler, roi de la bascule congolaise 


En début d'année Global Witness révéle que, l'hommes d'affaires a revendu à l'Angola des permis pétroliers raflé sur la Zic, la zone d'intérêt commun entre Angola et Congo. 

« Luanda a payé la facture avant de rendre l'exploitation à la compagnie pétrolière congolaise, assure notre interlocuteur qui a participé aux négociations. Ils étaient furieux.» 

Et un peu honteux pour leurs voisins. Vendus 500 000 dollars en 2006, ces permis ont été rachetés «150 millions de dollars» fin 2012. «Il a fait la bascule sans commencer ni l'exploitation ni la structuration de la production, seulement quelques études pour faire monter la sauce». 

Un superbe coup, agrémenté en début d'années de communiqués et papiers vengeurs à l'encontre de Global Witness qui a osé évoquer les dessous de la transactions. Que les détails donnés à Bakchich par ce négociateur confirme… 

«Et la manoeuvre se répète. Vous avez lu ses déclarations à la presse sur les blocs du lac Albert». 

A la frontière avec l'Ouganda, à l'est du pays, le pétrole affleure. Là aussi, Dan Gertler, dont la holding consacré à la RDC porte le joli nom de Fleurette, dispose de deux blocs pétroliers encore inexploités.

Début août Gertler s'est répandu dans la presse mondiale pour assurer qu'il était assis sur 3 milliards de barils… «Il veut nous refaire le coup», pronostique le négociateur, prêt à repartir en mission. 

Selon cette source présidentielle, les blocs du Lac Albert ont été vendus à Gertler pour moins d'une dizaine de millions d'euros. «Il veut nous refaire le coup de la ZIC sans même faire de forage».

Piller le pétrole congolais sans même en sortir une goutte. Du grand art, impossible sans muse...Deux ombres accompagnent les cessions de ces permis à Gertler. 

L'ancienne éminence grise du président, Augustin Katumba Mwanke, disparu dans un accident d'avion en 2012, a été ciblé par un cable de l'ambassade américaine de 2009, révélé par Wikileaks.  

Proche de l'homme d'affaires israélien, il aurait joué un grand rôle dans la signatures de ces contrats. 

Difficile dès lors de ne pas pointer la responsabilité du chef de l'Etat, Kabila lui-même dans l'imbroglio. «C'était une autre époque, défend son fidèle. Il faut désormais que les entrepreneurs comprennent que le Congo évolue.» Voeu très pieu... A moins que le Sphinx ne soit vraiment replet. 
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Xavier Monnier

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