dimanche 19 octobre 2014

L’Afrique face à la Cour pénale internationale

13 octobre 2014

Une première : le président du Kenya comparaît devant la Cour pénale internationale 


Equipes de télévision, groupes de partisans entonnant des chants patriotiques et arborant des foulards aux couleurs nationales : l’arrivée du président kenyan Uhuru Kenyatta à la Cour pénale internationale de La Haye a frappé les esprits. 

C’est la première fois en effet qu’un chef d’Etat en exercice comparaît devant la Cour, à titre personnel certes, mais entouré d’un cérémonial présidentiel spectaculaire.

Devant la Cour, M. Kenyatta s’est contenté de plaider son innocence, répétant qu’il avait sa conscience avec lui et l’audience a ensuite été ajournée. 

Les faits qui lui sont reprochés remontent aux élections présidentielles de 2007 : M. Kenyatta, qui appartient à la puissante ethnie des Kikuyus, était à l’époque un allié proche du président Mwai Kikaki dont le rival était Raila Odinga, appartenant au groupe ethnique des Luos. 

Alors que les deux candidats s’accusaient réciproquement de fraudes, la contestation électorale se transforma en affrontements ethniques, les pires depuis l’indépendance : durant plusieurs semaines, des civils furent arrachés de leur maison et traînés dans les rues, brûlés vifs ou attaqués à la machette. 

Ces violences interethniques ternirent considérablement l’image d’un pays souvent cité en exemple et elles se soldèrent par 1200 morts et 600.000 déplacés.

A l’époque, deux hommes, qui se partagent aujourd’hui les postes de président et vice-président, furent accusés d’avoir incité au meurtre les milices rivales. M. Kenyatta est mis en cause pour avoir soutenu la secte Kikuyu des Mungiki. 

Cette dernière, opérant dans la vallée du Rift, se vengea des exactions dont avaient été victimes les Kikuyus auxquels les autres groupes reprochent d’avoir, depuis l’indépendance, monopolisé le pouvoir et accaparé la terre. 

Quant à M. William Rufo, aujourd’hui vice président, il soutenait à l’époque M. Odinga et il avait lancé dans la bataille le groupe ethnique des Kalenjin, allié aux Luos. Lui aussi est accusé par la Cour pénale internationale d’avoir mis sur pied des milices décidées à attaquer les Kikuyus.

Alors que la justice internationale traite de faits commis en 2007, les politiciens kenyans ont, depuis lors, trouvé un terrain d’entente : grâce à la médiation de Kofi Anan, l’ancien secrétaire général de l’ONU, un accord de partage du pouvoir a été signé en avril 2008 entre MM. Kibaki et Odinga et, après les élections de cette année, remportées par M. Kenyatta, le même principe de partage du pouvoir a prévalu et son ancien rival William Rufo est devenu vice président.

Désireuse de faire un exemple et de démontrer qu’aucun chef d’Etat, fût il en exercice, n’est au dessus de la justice internationale, la CPI s’est montrée indifférente à cet « arrangement à la mode kényane » et elle entend poursuivre autant M. Kenyatta que son vice président Rufo. 

Mais ce faisant, elle s’est attiré la contre offensive du président kényan qui a dénoncé des mobiles politiques et des procès qui ne viseraient que des Africains.

Même si c’est une Gambienne, Fatou Bensouda, qui a succédé à l’Argentin Moreno Ocampo au poste de procureur de la CPI, l’Union africaine relaie la défense kenyane, dénonçant une justice internationale biaisée au détriment du continent noir. 

Les arguments ne manquent pas : non seulement les enquêtes menées au Kenya ont été entachées d’irrégularités mais surtout, alors que la CPI a été saisie de crimes contre l’humanité commis dans 139 pays, elle n’a émis jusqu’à présent que 30 mandats d’arrêt, tous dirigés contre des Africains. 

La comparution de M. Kenyatta à La Haye est lourde de dangers : elle pourrait attiser les passions sur le terrain et nuire à la crédibilité d’une institution dont la création avait été largement saluée en Afrique. 

A l’époque, le Kenya lui-même avait ratifié avec enthousiasme le traité de Rome en espérant qu’il mette fin à l’impunité de nombreux dictateurs africains. 

Mais aujourd’hui, Nairobi dénonce «la justice des Blancs « et la presse rappelle le procès infamant que le colonisateur britannique avait infligé, en 1952, au « fondateur de la nation » Jomo Kenyatta, père du prévenu et président actuel… 
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Le carnet de Colette Braeckman 

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