jeudi 13 novembre 2014

Lassina Ouédrago: "Au moment précis, je ne pensais à rien"

10 novembre 2014

Lassina Ouédraogo affirme qu'il ne lui était pas question de reculer parce que l'enjeu était énorme. (Crédit photo: Joe Penney/Reuter)

Le matin du 30 octobre, Lassina Sawadogo savait qu'il courrait un grand risque d'être tué dans les rues de Ouagadougou, ne serait-ce que par une balle perdue.

Il ignorait en revanche qu'avant le coucher du soleil, il deviendrait une vedette.

Lassina faisait partie des milliers de manifestants qui se sont soulevés les 30 et 31 octobre à travers tout le Burkina Faso pour s'opposer à l'amendement de la constitution qui aurait permis à Blaise Compaoré de briguer un cinquième mandat en novembre 2015.

"[…] On est sorti avec détermination ; le peuple était sorti pour ne rentrer qu'après la victoire," déclare Lassina à la BBC.

Désinformation

Il nous fallait progresser pour prendre la télévision qui pourrait être un outils de désinformation pour le pouvoirs en place Lassina Sawadogo, manifestant

Près de deux semaines après le soulèvement, cet inspecteur des impôts, 40 ans, s'est acquis le statut d'une idole, malgré lui.

A Ouagadougou, Lassina est régulièrement sollicité, soit par de curieux admirateurs soit par des professionnels de la presse qui s'intéressent à son « histoire ».

Mais Lassina aurait pu rester anonyme comme ces milliers d'autres manifestants qui ont pris d'assaut la rue pour défendre les principes d'une alternance démocratique au sommet de l'Etat.

Mais grâce à la magie de l'image – un cliché de camera-photo pris sur un coup de réflexe – Lassina est sorti de son anonymat.

Courage

Le matin du 30 octobre, le jeune inspecteur était dans les rangs d’une foule rugissante qui mettait le cap sur le siège de la radio nationale, RTB.

C’était après que les manifestants ont envahi, mis à sac et incendié l'Assemblée Nationale ; les manifestants qui demandaient alors plus que l'annulation du vote.

"Il nous fallait progresser pour prendre la télévision qui pourrait être un outil de désinformation pour le pouvoirs en place," explique Lassina.

Quand la foule s'est lancée en avant, des éléments des forces de sécurité, avec leurs accessoires de protection chevillés au corps, font partir des tirs de sommation et de gaz lacrymogène. L'effet est négligeable, puisque les manifestants maintiennent le cap.

At cet instant, Lassina est ciblé dans un face-à-face par deux soldats. Casques vissés sur la tête et gilets protecteurs parant la poitrine, ils prennent leur élan pour asséner le coup qui était censé le restreindre.

Au lieu de prendre peur et de replier, Lassina s'avise de réserver du répondant aux deux soldats.

Le photojournaliste de Reuter, Joe Penney, présent dans la rue pour couvrir la manifestation avait armé son appareil photo. Il déclenche et prend un cliché de la scène.

Le cliché qui deviendra "viral" sur les réseaux sociaux est analysé comme le symbole la hardiesse de ces manifestants qui disaient en avoir marre de Blaise Compaoré.

"Franchement, je ne sais pas comment le photographe a pu nous prendre, parce que c'est quelque chose qui s'est passé très vite," dit Lassina.

Lassina explique qu'il n'y a eu aucun échange verbal entre lui et les anti-émeutiers; qu'il y a eu seulement un échange de quelques coups – des coups qu'il a reçus.

"Au moment précis, je ne pensais à rien. Je ne pensais pas à ce qui pouvait arriver, surtout qu'il y avait déjà des morts dans notre camp. Les gens étaient là, c'était vraiment pour aller jusqu'au bout," se souvient Lassina qui affirme qu'il n'était pas question de reculer.

Ça passe ou ça casse Romuald Ouédraogo, en s'offrant en cible, dit que son intention était d'envoyer un message fort au président. (Crédit photo : Songoti José)

Le jour de la manifestation, tôt le matin, d'un autre quartier de Ouagadougou, Romuald Ouédraogo, un étudiant en génie civil de 27 ans, fait irruption dans la rue après s'être préalablement transformé en panneau ambulant, émettant un message de défiance à destination des forces de sécurité.

"Le matin, lorsque je me suis réveillé, je tenais à faire passer un message fort pour qu'il soit vu par qui que ce soit. La peur de mourir ou pas ne m'animait surtout pas; je me suis réveillé ce jour avec un courage inhabituel," se confie Romuald à la BBC.

"Ça passe ou ça casse; c'était ça le mot d'ordre."

Tout comme Lassina, Romuald est devenu aujourd'hui une sorte de vedette à Ouagadougou. Il est salué comme l'un des héros du soulèvement, et là aussi, grâce au pouvoir de l'image.

Contre l'arrière-plan d'un horizon de Ouagadougou rendu gris, sans doute, par le trop de fumée dans l'air, Romuald est immortalisé par un photographe amateur alors qu'il se dirigeait vers le théâtre des manifestations.

Sur le cliché, on le voit lever un poing fermé en guise de défiance. Sur son tee-shirt blanc, les traces d'un marqueur bleu délimitent un point de mire, faisant de lui une cible volontaire.

Le pictogramme est rendu plus dramatique par un message qui laisse deviner le martyr: "Tirez! La patrie ou ma mort !"

"Ce n'était pas vraiment préparé. C'était un réflexe. Je l'ai fait en moins de dix minutes," explique Romuald.

"J'avais déjà vu dans les marches précédentes les messages qu'on envoyait au président. Je comptais aussi pour ma part contribuer en apportant ma pierre."

Décamper

Le soulèvement qui a duré deux jours – 30 et 31 octobre – a couté la vie à quelques 32 personnes. Des centaines de blessés sont toujours soignés dans des hôpitaux à Ouagadougou et en province.

Depuis la fuite du président pour la Côte d'Ivoire, un processus est enclenché pour une transition qui sera pilotée par un civil.

"Blaise Compaoré devait partir parce que, tout simplement, après 27 ans de règne, le peuple en avait marre," martèle Lassina pour soutenir sa décision de risquer sa vie en bravant la police anti-émeute et les soldats.

"Tout tournait autour de la famille Compaoré; c'était devenu la patrimonialisation du pouvoir. Et certains responsables du CDP disaient même que si Djamila, la fille du président, le voulait, elle serait présidente."

Comme on le dit, une frustration encourue au cours de longues années engendre la révolte. C'était la soif de la liberté, et l'envie d'une expérience du changement. Romuald Ouédraogo, manifestant

Romuald Ouédraogo est aussi saisissant dans sa condamnation du régime déchu de Blaise Compaoré.

"On se rendait compte que c'était un pouvoir dirigé par une trentaine de personnes qui s'enrichissaient sur le dos du peuple," soutient Romuald.

"Comme on le dit, une frustration encourue au cours de longues années engendre la révolte. C'était la soif de la liberté, et l'envie d'une expérience du changement. Parce que c'était un pouvoir qui ne favorisait pas l'épanouissement de la jeunesse burkinabé."

Lassina et Romuald sont loin de déclarer "mission accomplie" avec la fuite de Compaoré.

Cependant, le jeune inspecteur des impôts affirme se réjouir à l'idée que son idole politique, Thomas Sankara renversé dans le sang en 1987, a été vengée en partie.

Il indique qu'il restera sur ses gardes pour veiller à ce que le président qui sortira de la transition passe les aspirations du peuple avant tout.

Et à l'intention de ce leader éventuel, Romuald envoie un avertissement sans concession: "Je me considère comme un soldat du peuple. […] Celui qui viendra après Blaise Compaoré, s'il ne fait pas ce que nous voulons, nous lui demanderons simplement de décamper."

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