mardi 9 décembre 2014

RDC : les ambiguïtés de l’aide européenne à la police congolaise

07 déc 2014

L’Union européenne (UE) et la France ont annoncé la maintient de leur aide à la réforme de police en pleine polémique sur les bavures de l’opération « Likofi ». 

Pour Clément Boursin de l’ACAT, « un gel de la coopération » aurait été préférable.


Des éléments de la police nationale congolaise cagoulés, pendant l’opération « Likofi » fin 2013 © DR

Deux rapports accablants avaient épinglé les méthodes expéditives de la police congolaise durant l’opération anti-délinquance « Likofi » à Kinshasa entre novembre 2013 et février 2014. 

Le premier rapport, publié en octobre par l’ONU, avaient recensé au moins 41 tués ou disparus pendant la lutte anti-gangs dans la capitale congolaise. 

Exécutions sommaires, disparitions forcées, tabassages en règle… la liste des bavures policières révélée par les Nations unies avaient jeté le trouble à Kinshasa. Les autorités congolaises avaient dénoncé une enquête « partiale », et fini par expulser le représentant du bureau des droits de l’Homme de l’ONU, Scott Campbell. 

En novembre, un second rapport très documenté d’Human Rights Watch (HRW), amplifiait le premier rapport de l’ONU, en dénombrant au moins 80 morts et disparus – voir notre article

Le ministre de l’Intérieur, Richard Muyej, était alors monté au créneau et avait dénoncé un « lynchage médiatique » et « un chantage éhonté contre le gouvernement », promettant toutefois « qu’aucun crime ne resterait impuni ».

11 millions d’euros sur 5 ans

Dans ce contexte polémique, l’Union européenne (UE) a annoncé la semaine dernière qu’elle maintenait son aide financière à la réforme la police congolaise (PNC). Et ce, malgré les graves exactions de l’opération Likofi. 

Dans un communiqué, Jean-Michel Dumond, l’ambassadeur de l’UE en RDC, a déclaré vouloir « soutenir les efforts de réforme des forces armées, des services de police et de la justice au travers de ses divers programmes ». 

L’objectif étant pour l’Union européenne de « mettre sur pied des forces de sécurité républicaines, professionnelles, respectueuses des droits de l’Homme et à éviter à l’avenir les dérapages et les comportements fautifs qui ont pu être déplorés ». Une aide de 11 millions d’euros (entre 2010 et 2015) qui ne semble pas être conditionnée.

« Répression politique » ?

La police congolaise n’en est pas à ses premiers dérapages. Sans remonter bien loin, on se souvient que pendant les élections chaotiques de 2011, la Légion nationale d’intervention (LENI) et le Groupe mobile d’intervention (GMI) sont à l’origine de nombreuses violations des droits de l’homme. 

Entre le 26 novembre et le 25 décembre 2011, au moins 33 personnes ont été tuées, dont 22 par balles, et 83 ont été blessées. Des faits documentés dans un rapport des Nations unies. 

Pour Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture), « la LENI et le GMI sont des organes sécuritaires qui sont régulièrement utilisés par la présidence de la République pour des opérations de répression politique ».

Pour un « gel de la coopération »

L’Union européenne est-elle assez exigeante sur l’utilisation de ses aides financières ? Visiblement non pour l’ACAT, qui fait remarquer que « l’expulsion abusive du chef du BCNUDH, Scott Campbell, auraient dû au moins geler temporairement la coopération de l’UE et de la France à l’égard de la police congolaise ». 

Autre requête de Clément Boursin : « la destitution du chef de la police, Célestin Kanyama, afin de permettre à la justice d’entreprendre une enquête véritablement impartiale et indépendante sur les allégations de violations graves des droits de l’homme commises durant l’opération Likofi ». 

Comme par le passé avec John Numbi, impliqué dans l’affaire Chebeya et écarté de son poste par Joseph Kabila, Célestin Kanyama semble avoir remplacé Numbi comme l’homme de main du président congolais au sein de la police congolaise.

« Non à la coopération avec la LENI et le GMI »

Pour justifier le maintient de son aide à la réforme de la police, l’UE explique « qu’aucune formation qui ait des répercussions en particulier en matière de maintien de l’ordre » n’est financée directement par l’Union. 

L’Europe n’interviendrait que « sur des projets de construction de bâtiments et de formation des policiers à l’entretien et à la gestion de ces structures ». 

Selon l’AFP, la France maintient elle aussi son aide à la PNC, mais a décidé de « reporter l’opération de formation de la police anti-émeutes, qui était programmée pour cette semaine » selon Luc Hallade, l’ambassadeur de France à Kinshasa. 

Le problème, selon Clément Boursin de l’ACCAT, c’est que « l’UE et la France n’ont reçu aucune assurance des autorités congolaises en termes de justice pour les familles de victimes et de punition des auteurs de crimes ». 

Pour autant, l’ACAT se déclare favorable « à une aide à la réforme de la PNC en termes de formation : aux droits de l’homme, aux techniques d’enquête des OPJ, à la création d’une police des polices… », mais dit non à la coopération avec la LENI et le GMI, « car il s’agit de polices politiques au service de la présidence de la République ». 

En attendant, il est urgent pour cette ONG « que la vérité sur l’opération Likofi soit établie par la justice civile afin de comprendre comment de telles dérives ont pu se produire et d’éviter leur répétition ». 

Pour l’heure, Kinshasa n’a toujours pas rendu public son enquête.
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Christophe RIGAUD 

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