L´aventure des animaux malades de la peste, de Jean de la Fontaine, est fort connue. Le lion tint conseil et dit : «Mes chers amis, je crois que le ciel (…) pour nos péchés cette infortune (…) que le plus coupable de nous se sacrifie aux traits du céleste courroux ; Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents. On fait de pareils dévouements : Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence ». Plus loin d´ajouter «J'ai dévoré force moutons ; Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense : Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le Berger (…) Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi (…) Que le plus coupable périsse. Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce. Est-ce un péché ? Non non (…) Et quant au Berger, l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux (…) Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples Mâtins (…) étaient de petits saints. L'Âne vint à son tour, et dit : « J'ai souvenance Qu'en un pré de Moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense Quelque diable aussi me poussant (…) A ces mots on cria haro (…) Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue (…) dévouer ce maudit Animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal (…). Manger l'herbe d'autrui ! Quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait (…)» (Jean-Baptiste Oudry : 1990).
Franz Kafka a représenté, dans son roman Le Procès, cette stupidité judiciaire en ces termes : «Ces interrogations du procureur Hasterer (…) n´avaient généralement pour but que d´amuser la société ; le procureur (…) surtout, le voisin de K., aimait à provoquer ainsi la confusion (…) Dès qu´il plaquait au milieu de la table, avec les cinq doigts écartés, sa grande main couverte de poils, tout le monde dressait l´oreille (…) » (Kafka : 1840).
Cette image de la justice humaine est-elle exacte ? Ont-ils raison ceux qui, depuis des siècles, ont prétendu et soutiennent encore que la justice – ici sur la terre des hommes – n´est pas autre chose que le droit des riches ou de plus riches ? La question sous-jacente est : à quoi servent les lois les meilleures et les plus justes, si seuls le « puissant » et le « riche » peuvent user de leur droit et que Floribert Chebeya, Fidèle Bazana et Armand Tungulu ne le peuvent par le cafouillage du procureur ou des conséquences du procès taillé sur mesure ?
1. Daltonisme judiciaire
Dans « la République de Platon », Thrasymaque expose à Socrate ses vues sur la justice :« Ecoute donc, dit-il. Voici ce que je déclare être la justice : rien d´autre que ce qui profite au plus fort (…) Or, les lois établies par chaque gouvernement le sont en vérité par rapport à son profit (…) Puis, ayant établi ces lois, ils ont fait voir que la justice pour les gouvernés consiste en ce qui est, pour eux-mêmes, leur profit et celui qui la transgresse, ils le châtient comme ayant enfreint la loi, comme ayant commis une injustice (…) j´entends qu´est la justice, savoir ce qui est profitable au gouvernement en place. Or c´est lui qui a le pouvoir (…), que partout c´est la même chose qui est juste, celle qui profite au plus fort » (Platon : 1993)
Qui a raison ? Thrasymaque, Frantz Kafka ou Socrate lorsqu´il dit : « La justice doit être vertu et sagesse ? »
En 1907, l´avocat socialiste Karl Liebknecht affirmait :
«Par justice de classe, j´entends le phénomène social selon lequel les sièges de juge ne sont occupés que par des personnes qui appartiennent à la classe ou aux classes dominantes ». Et de conclure : « Il est naturel que de tels juges ne puissent juger objectivement lorsqu´ils se trouvent en présence d´individus des autres classes sociales ».
Il n´y aurait jamais eu la preuve de la caporalisation de la justice au Congo Kinshasa, si Kutino Fernando Kutubila, cet homme de Dieu, dépeint si tragiquement par un tribunal militaire corrompu, n´avait été, au début de sa lutte pour le droit et l´équité, trompé dans son bon droit par un tribunal dont le juge s´était ligué avec les « forts » contre le droit des faibles.
Dans un méli-mélo médiatique, digne du roman « l´étranger » d´Albert Camus, le gouvernement congolais a démontré qu´il n´était pas du tout associé à la gestion des dossiers ! Toujours des dossiers ! Encore des dossiers ! Sales qui toucheraient la haute hiérarchie de la République. C´est ainsi, par exemple, le Mopap de la République a déclaré que le général Faustin Munene, porté disparu depuis des jours, se trouvait entre les mains de la « justice » militaire congolaise. Le Mopap était obligé de se dédire le lendemain et d’assurer que l’intéressé était plutôt en fuite. Le même Mopap venait, 24 heures auparavant, de vider de son substance – la version officielle de la mort d’Armand Tungulu – de mince crédibilité qu’elle avait. Là où le procureur général de la République a parlé de « suicide à l’aide d’une ficelle tirée de l’oreiller », le Mopap a, quant à lui, évoqué « le suicide à l’aide d’une nappe de fortune ».
Assurément, le Mopap national s’est levé le lendemain d’un mauvais pied. C’est d’abord la mémoire de feu Armand Tungulu qui en a fait les frais. M. la version officielle du gouvernement a mis pudiquement en doute la réalité de l´union conjugale du feu Armand Tungulu avec la mère de ses enfants qui vit en Belgique. Une incantation cynique autour d’un cadavre qui n’a même pas encore reçu les soins appropriés de la part de siens ; ni les obsèques auxquelles tout être humain a droit qu’il soit salaud ou sage. Pour ce même dossier sale ; un courageux juge belge a demandé au gouvernement congolais de restituer le corps à la famille du défunt. Selon le Mopap national, il semble que la Belgique, pays de résidence d´Armand Tungulu, sera punie d’une plainte de la RD Congo pour l’assassinat du premier ministre Lumumba. Sans doute, il s´agirait d´une « réponse du berger à la bergère » pour reprendre l’expression du Tabloïd kinois l´Avenir (www. groupelavenir.cd).
2. Stupidité, cupidité ou syndrome de Stockholm
Qu´un ivrogne de la rue de Kinshasa les immondices soutienne une telle bizarrerie (version officielle du gouvernement déjà citée) l´on comprendrait. Et quand c´est un officiel, de surcroit chargé de communication, qui oublie que la décision d’un juge saisi d’une plainte n’est pas un acte politique et n’engage nullement le gouvernement belge : Ça devient inquiétant. Inquiétant parce que si cette décision de la justice belge est une déviation judiciaire et si elle est réellement infondée et inopportune, il suffirait à la RDC d’utiliser les mécanises juridiques de recours adéquats. Ce qui permettrait au régime de Kinshasa de démontrer l’absurdité de ce jugement à la face du monde et de demander, bien évidemment la réparation du préjudice moral ou tout au moins des excuses appuyées et publiques de la part de la Belgique. Morale de l´affaire : il ne reste plus qu´au Mopap de la République de déclarer publiquement que le monde devrait être dirigé par la haute hiérarchie.Au Congo dit démocratique, il y a une sorte de fossé entre les gouvernants et les gouvernés ; entre les juges et les parties et que très souvent le plus faible renonce à lutter contre le plus « fort » parce qu´il dépend de lui d´une manière ou d´une autre et qu´il sait que même s´il gagne le procès, l´homme « fort » aura le dessous tôt ou tard. Si l´État congolais ne parvient pas à veiller à ce que le droit soit appliqué de façon uniforme et que tous puissent en faire usage, jamais il ne passera pour juste et aucun espoir ne sera fondé sur lui. Cette exigence n´est cependant pas nouvelle. Au siècle dernier déjà, un des plus grands juristes de l´époque, Rudolf von Jhering (Jurisprudenz des taglichen Lebens : 1870), déplorait, à propos de l´ancien droit romain, le peu de chances du pauvre de gagner son procès. Il en faisait de même pour le droit anglais au 19e siècle. Si en Occident les choses ont semblé bougé.
En Afrique, rien n´est fait pour humaniser le monde judiciaire. Donc, il est resté figé et empoussiéré ! Il importe, toutefois, que nous nous interrogions pour examiner si les juges, procureurs et les avocats africains se soucient-ils assez de faire disparaître l´image de l´avocat intrigant et cupide, encore fort répandue au sein de la population ? Dans nos universités, préparons-nous vraiment les jeunes juristes à affronter la réalité, à assumer leurs obligations sociales, à s´engager, sur le plan moral et professionnel, pour que la justice soit mieux distribuée ? Les juges africains, de leur côté, s´engagent-ils assez pour traiter équitablement les parties, qu´elles soient riches ou pauvres, puissants ou misérables ? Savent-ils se mettre un instant à la place de l´accusé, lui qui a grandi dans de tout autres conditions ? Ces questions nous indiquent bien ce qu´un État pourrait faire afin d´améliorer la situation juridique des classes sociales défavorisées. Mais cette exigence ne concerne pas seulement l´État. Les politiques, les juristes et les avocats, eux aussi, ont leur part de responsabilités.
3. Mise en jachère des droits humains en RD Congo ?
L´homme est le seul être qui peut prendre une décision pour ou contre quelqu´un ou quelque chose à partir d´arguments raisonnables. L´animal est, lui, contraint d´obéir à son instinct. L´homme peut examiner ses besoins et décider que ceux-ci lui sont, en définitive, utiles ou non. Il peut organiser rationnellement sa propre existence et son propre développement. Ce fait est fondamental. C´est sur lui qu´Emanuel Kant fonda son exigence d´équité, demandant la même liberté pour tous les hommes. La liberté, condition sine qua non de la dignité humaine, ainsi que l´épanouissement personnel caractérisent à plus d´un titre l´histoire humaine et la culture occidentale. Pour Aristote déjà, l´une des tâches essentielles de l´État consistait à permettre le libre épanouissement de l´homme : « Il ressort donc que toutes les constitutions ayant en vue le bien commun sont conformes au droit, tandis que ne le sont pas celles (…)ne visent que l´avantage des gouvernants (…) elles sont despotiques, alors que l´État (…) communauté de libres citoyens » (Éthique de Nicomaque : 1837). La liberté est le bien le plus précieux de l´homme. Toute absence de liberté conduit à l´esclavage, voilà ce que nous dit Euripide dans un dialogue entre Jocaste et Polynice : «- Qu´a l´exil de fâcheux ? – Le pire inconvénient : d´ôter le franc parler. – Voilà qui est d´un serf de taire sa pensée. – Du maître il faut savoir supporter les sottises. – Autre souffrance, d´être fou avec les fous. – Qui veut le gain doit s´asservir contre nature. Celui qui ôte la liberté à l´homme en fait un esclave, un animal » (Decharme, Paul : 1893).
Au Congo Kinshasa, l’histoire nous demandera demain ce que nous avons fait du sang du Cardinal Etsou, de l’archevêque Kataliko, du Pasteur Lukusa, des journalistes et hommes des médias Franck Ngyke (et son épouse), Louis Mwamba Bapwa, Serge Maheshe, Bruno Chirambiza, ainsi que du sang des activistes des droits de l’homme Pascal Kabungulu, Floribert Chebeya et son chauffeur Fidèle Bazana dont le corps n’a jamais été retrouvé, sans compter le sacrifice suprême des nombreux officiers et militaires congolais dont la liste est très longue. Oui ! L’histoire nous demandera : Qu’avez-vous fait du sang versé de vos martyrs? Et aujourd’hui, qu’allons-nous faire du sang encore frais d’Armand Tungulu qui crie vengeance ? Allons-nous une fois de plus le laisser couler et se noyer dans le fleuve de l’impunité et de l’indifférence populaire?
Par Dr & Habil Prosper Nobirabo Musafiri, Lecturer and senior researcher at University
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