Afrique de démocratie sans démocrates !(Ph -DR)
(Libre Opinion) — La démocratie ! Voilà un mot passe partout accommodé aujourd’hui à toutes les sauces africaines. Les dictateurs africains l´ont présenté et le présente encore comme une panacée, allant jusqu´à faire croire qu´il suffit de l´évoquer pour réaliser ce type de régime politique en Afrique, ou de le décréter pour l´obtenir. Le vent de liberté – qui a soufflé sur les pays de l´Europe de l´Est et a prétendu balayer les tocs en peau de zèbre ou de léopard et les cannes de certains tyrans, présidents-fondateurs des partis uniques en Afrique – a de difficultés énormes pour changer l´ordre des choses dans le système politique africain où tout repose sur un homme ou un groupe d´individus restreint, à un libéralisme sauvage souvent synonyme d´anarchie. Les führers africains brûlent les étapes et le peuple – qu´ils prétendent défendre les intérêts – reste meurtri, désorienté et ne sait plus à quel saint se vouer pour se libérer et sortir des crises génératrices de ruine, de malheurs, de désolation et, bien souvent, de mort. En Afrique, le peuple cherche partout le diable pour tirer sa queue, car il (peuple) a cédé à la magie du verbe en prenant le placebo de la démocratie pour des réalités et en faisant confiance aux marchands d´illusion qui lui a promis des lendemains meilleurs.
Partout en Afrique, la démocratie est en panne sèche. Les institutions censées la faire fonctionner sont en crise, en même temps que naissent, ici et là, des organisations socio-politiques informelles dont la principale ambition est de plonger la société dans une ambiance de guerres civiles ou des conflits armés à grande échelle. Ce beau désordre permet aux régimes despotiques en place de développer un discours sur la nécessité de la paix à tout prix, et d´étouffer dans l´œuf l´embryon de démocratie économique. La manifestation la plus évidente de la crise des institutions officielles est à craindre dans l´absence de représentativité dans le parlement issu des élections législatives et présidentielles de 2011 en RD Congo. En effet, si l´on observe la composition de la future Commission Electorale Nationale « Indépendante » congolaise, on est frappé par la super-représentation des partis politiques réputés proches du régime en place et, à cela, il faut ajouter les représentants de quatre institutions publiques notamment un représentant du cabinet du Président de la République, de l´Assemblée Nationale, du Sénat et du Cabinet du Premier Ministre [4) Il convient de renforcer les mécanismes actuels de suivi du processus électoral (…) représentation du Cabinet du Président de la République, de l´Assemblée Nationale , du Sénat et du Cabinet du Premier Ministre : La Prospérité : Novembre 2010]. Bref, on peut observer que le pouvoir en place au Congo Kinshasa s´arroge le droit d´organiser les élections en confiant à une commission dite « indépendante » – dont les membres ont chacun de bonnes raisons de se montrer reconnaissants à son égard – le soin d´élaborer un code électoral sur mesure, et de jongler ensuite avec les fichiers, les kits électoraux et les listes dont nul ne connaît la validité.
En Afrique, les statistiques des recensements de la population sur lesquelles on s´appuie pour effectuer le découpage des circonscriptions électorales sont toujours floues, et aucune contestation n´a de chance d´aboutir à un vrai débat sur la question. Conséquence des conséquences, des « élections » sont organisées sans possibilité d´alternance, la techno-structure installée par le pouvoir en place a généralement pour mission essentielle de réaliser une alchimie ethmo-politique qui assure la majorité absolue des sièges à l´ancien parti unique toujours au pouvoir, mais qui monte en même temps un parlement multipartiste ; celui-ci est ensuite présenté comme le cadeau du chef de l´État, et la preuve que le processus de démocratisation conduit avec doigté et réalisme par la « haute » hiérarchie ou le « père de la nation » est véritablement en marche.
1. Vers une catastrophe démocratique en Afrique ?
Pour piéger la démocratie en Afrique, deux techniques existent : soit on laisse entrer dans la nouvelle Assemblée nationale un petit groupe de députés représentant le principal parti d´opposition, juste pour se donner une caution aux yeux des « amis » occidentaux les plus regardants – c´est ce qui s´est passe actuellement en RD Congo – ; soit on ne s´embarrasse pas du moindre scrupule, et on s´offre le luxe de faire « élire » comme députés de l´opposition une poignée d´hommes à la solde du régime en place, émanant de partis alimentaires et chargés de jouer les opposants au sein de la nouvelle Assemblée (c´est ce qui s´est passé au Congo Kinshasa de 1991-1997). Assurément, le peuple n´est plus dupe de ces subterfuges comme en témoignent les forts taux d´abstention que l´on enregistre partout, alors que ces premières élections dites pluralistes depuis quasiment les indépendances auraient dû susciter un engouement populaire assez exceptionnel. Ces faibles taux de participation traduisent la frustration et une très nette désaffection populaire par rapport aux illusions démocratiques.
Les partis politiques africains portent une part de responsabilité dans cet effritement de la richesse spirituelle de l´idée démocratique. Si l´on utilise la loi Duverger – principe qui affirme que le scrutin majoritaire uninominal à un tour tend à favoriser un système bipartite – pour observer le fonctionnement des nos partis politiques en Afrique, on s´aperçoit que ce sont généralement des structures sans programme de gouvernement connu, centralisées, rigides, personnalisées, bâties autour d´un individu, et se présentant carrément, de par leur organisation interne, comme des répliques caricaturales de nos anciens partis uniques. Mais comme ils ne disposent ni de moyens financiers – les caisses de l´État leur étant fermées – ni de la force de l´armée pour vendre leurs slogans creux et leurs professions de foi, la légitimité des chefs en place est toujours discutée. Thierry Michalon a raison quand il écrit : « il faut carrément remonter au début des indépendances pour percevoir les raisons de cette fragilité » ; car la décolonisation avait été « mal préparée, et la pédagogie républicaine dont les partis politiques africains auraient dû s´imprégner fut bâclée » (Quel État pour l´Afrique ? : 1984). Comme les partis politiques d´hier, ceux d´aujourd´hui sont précaires, et ne parviennent ni à assumer ni à intégrer dans leurs actions le poids du transfert de devoirs et de souveraineté qu´implique le multipartisme. Cela est vrai d´autant plus que la majorité des hommes qui composent la classe politique sont d´anciens fonctionnaires aigris, que le « père de la nation » avait transformés en politiciens par un coup de signature. Écartés du pouvoir, ils se découvrent des âmes de défenseurs intrépides de la liberté, et brûlent aujourd´hui ce qu´ils adoraient avec ferveur hier.
Déboussolé par la faillite des institutions censées gérer la démocratie, le peuple africain se rue vers toutes sortes d´exutoires. Des sectes politico-religieux fleurissent, et des charlatans politiques dament le pion aux sorciers traditionnels. Des associations aux buts les plus divers se créent, sans que l´on puisse évaluer les ambitions des hommes qui les animent. Mais même lorsqu´elles se veulent culturelles ou régionales, elles ont une constante : le recours permanent à un discours d´exclusion visant à désintégrer le tissu social national, et à concevoir chaque pays non pas comme un élément du puzzle africain, mais comme un conglomérat d´ethnies prêtes à se faire la guerre. Malheureusement les chefs d´État africains ne semblent pas encore mesurer le danger d´une telle situation. Enivrés par ce triste tableau, qui reflète à leurs yeux la division des forces naguère liguées contre eux, et donc leur victoire sur des apprentis révolutionnaires, les hommes au pouvoir se montrent presque triomphalistes : c´est ainsi qu´il faut interpréter la volonté des Paul Kagamé, Ali Bongo, Joseph Kabila et autres Denis Sassou-Nguesso qui ont trépigné d´impatience à organiser le plus rapidement possible des élections présidentielles, élections dont ils ne doutaient et ne doutent pourtant pas d´être les « vainqueurs », malgré le bas niveau de leur côte de popularité. Et, pour conforter leur assurance, ils se contentent non pas de produire des idées nouvelles ; car ils en sont incapables, mais d´entretenir la peur. Du coup, les discours officiels célèbrent la morosité ambiante, et les dirigeants en place ne cessent de développer les vertus de la « paix », entendez par là celles du statu quo ante. Nul n´a plus le droit de manifester son mécontentement face à une injustice quelconque, parce qu´il est accusé de mettre en danger la « précieuse » paix sociale que le pays a conquise après tant de sacrifices. Comédie de l´ histoire, la paix est ainsi prise en otage par des dictateurs dont la gestion a sécrété des tensions sociales insolubles, et créée les conditions objectives de la guerre civile
2. Trahison démocratique ou démocratie sans démocrates
Quand le politologue Patrick Quantin s’interroge sur les caractéristiques actuelles des démocraties africaines, c’est pour affirmerer qu´à défaut d’un modèle unique, il y a la prédominance de régimes hybrides, tiraillés entre deux pôles, c´est-à-dire d´une part, la « démocratie électorale » et l’« autoritarisme électoral » de l´autre (Voter en Afrique : L´Harmattan, 2004). L´auteur constate avec amertume que les anciens chefs d’Etat africains ont en effet opéré une conversion réussie à la démocratie formelle, mais avec eux l’autoritarisme l’a emporté, combinant des « éléments de démocratie (…) avec des pratiques autoritaires » : on a alors un certain degré de compétitivité électorale, mais sous l’égide d’un contrôle efficace du pouvoir. Si efficace, d’ailleurs, qu’« une victoire de l’opposition (n’est) pas impossible, (mais) requiert un degré de mobilisation, d’unité, de compétence et d’héroïsme qui surpasse de loin ce qui serait normalement nécessaire dans une démocratie ». Cependant, il y a lieu de préciser qu´il manque sans doute un élément à l´analyse de Patrick Quantin, notamment le fait que, même dans les pays ayant acclimaté de longue date le pluralisme – exemple du Sénégal – on a du mal à distinguer aujourd’hui un « modèle » positif, caractérisé par un leadership fondé sur des valeurs et des pratiques dignes de respect. Et où la justice, cette composante fondamentale de l’Etat de droit, ne ferait pas – comme c’est le cas – l’objet d’une défiance généralisée.
Le juriste Thédore Holo examine ainsi le rôle de la justice constitutionnelle, en prenant l’exemple du Bénin où le rôle de la Cour constitutionnelle apparaît comme crucial, au point d’inspirer davantage confiance que la justice ordinaire (Émergence de la justice constitutionnelle, la démocratie en Afrique : avril 2009, Pouvoirs n° 129). Ce modèle démocratique, pourrait-on toutefois le trouver en Afrique du Sud ? [Droit constitutionnel étranger, L’actualité constitutionnelle dans les pays de common law et de droit mixte : Afrique du Sud, Irlande, Royaume-Uni (juillet-décembre 2001) ]. Certes, il existe des aspects très positifs : telle la constitution d’Afrique du Sud, très détaillée pour ce qui concerne la mise en œuvre des droits fondamentaux, et relayée par une Cour constitutionnelle active ; le régime se singularise aussi par une réelle répartition des pouvoirs et l’existence d’un parlement fort ; enfin par l’existence d’autorités indépendantes dans des domaines très divers, qui constituent un véritable « quatrième pouvoir ». Un constat plutôt optimiste : celui de banquier d´affaires béninois Lionel Zinsou, qui voit moins de démocratie en Afrique que de « preuves de démocratie ». Y compris au milieu des troubles. D´après lui, de tels indices encourageants sont apportés par la montée en puissance des forces démocratiques, notamment en 2007 et 2008 au Kenya et au Zimbabwe. Enfin demeure un enjeu, celui du développement, si l’on admet qu’il y a une correspondance entre les avancées, ici et là, de la gouvernance et les progrès de l’économie. Or, par delà les « preuves » de pauvreté, le continent connaît depuis au moins une décennie une croissance à reculons.
3. Afrique de démocratie au pied cassé !
Les fantasmes du prince ont beau coûter cher au budget de l´État, en Afrique, on trouve toujours des fonds pour les assouvir : alors que plus de deux millions de jeunes africains sont exclus du système éducatif chaque année, un certain nombre des dirigeants africains font transférer au profit de leurs comptes ouverts à l´étranger d´importantes sommes d´argent et même ne sont pas du tout gênés de disposer dans les différentes villes européennes de somptueuses résidences. « Celui du Congo Kinshasa s´offre une ferme de loisirs à Menkao sur la route de Bandundu alors que l´hôpital public construit à quelques kilomètres de là manque cruellement de médicaments ! ».
Ce genre d´attitude, qui dénote un souverain mépris pour ce peuple que l´on prétend incarner, a eu pour conséquence économique de retirer toute légitimité aux recettes de l´État. Car le citoyen moyen, qui lui n´est pas en panne d´imagination, a choisi de se venger en refusant désormais de s´acquitter de ses devoirs civiques, notamment les impôts. On peut le voir dans tous les pays africains : la notion d´intérêt public a perdu toute crédibilité, et la part des recettes fiscales dans le budget de l´État diminue inexorablement. Or, même si la baisse du niveau général de l´activité économique peut expliquer une diminution des impôts directs, les experts officiels s´étonnent que les augmentations de taux de taxes et autres impôts indirects n´aient pas compensé ce manque à gagner. Ils ont tort d´être surpris, car, si l´assiette fiscale n´a pas diminué, les comportements des africains ont radicalement changé ; et cela, même le génie John Maynard Keynes ne pouvait pas le prévoir. En effet, s´il avait eu affaire aux africains noirs que nous sommes, il aurait compris que chez nous en Afrique, les taux de taxes augmentent lorsque l´on gaspille les fonds publics au sommet de l´État pour entretenir le train princier des « tyrans », lorsque les routes sont en mauvais état et que les dispensaires et les hôpitaux manquent dans les villages alors qu´au même moment les chefs d´État affrètent des avions super jet pour aller placer de l´argent dans des banques à l´étranger et flamber dans des les casinos. Le citoyen moyen s´engage dans une forme de désobéissance civile polie qui peut se manifester par le refus de payer ses impôts à l´État farceur ; il le fait d´autant plus facilement que le fonctionnaire chargé de collecter cet argent – inspecteur des impôts, douanier, agent des finances – est lui-même placé dans une situation où il n´a aucune raison objective pour ne pas approuver, c´est-à-dire se rendre complice de cette attitude. Telle est l´une de raisons de la crise des finances publiques en Afrique aujourd´hui. En tout cas, ne cherchons pas d´autres explications à la chute de la rentabilité de nos recettes fiscales en Afrique.
Alors, que faire lorsque l´impôt a perdu toute légitimité, et que les leaders politiques auxquels on s´en remet ne paraissent pas mentalement outillés pour engager un vrai processus de changement ? Comment parvenir à réintégrer le peuple, pour lequel chacun prétend se battre, aux débats actuels, qui hypothèquent notre place dans le concert des Nations ?
Pour y parvenir, l´un de moyens est la réorganisation de la société civile notamment en rétablissant l´importance des syndicats, des organisations socio-professionnelles, y compris les plus corporatistes. Il paraît urgent de codifier autrement les passions collectives, actuellement dispersées dans des activités inutiles, pour en faire des forces centrifuges capables d´élaborer des règles de jeu acceptées par tous ; tel est d´ailleurs l´objectif suprême de la démocratie.
En effet, si toutes les énergies que les jeunes kinois (RD Congo) mettent à conceptualiser la danse « Etshubele » ou « Sima Ekoli » était investie dans l´organisation d´une simple association de défense de leurs droits, on saurait mieux ce qu´ils pensent, et les hommes politiques tiendraient plus souvent compte de leurs avis. Si les organisations estudiantines étaient mieux structurées, les pouvoirs publics en place ne pourraient pas présenter leurs doléances en vue d´un meilleur enseignement comme de simples sautes d´humeurs d´enfants gâtés. Le désarroi actuel aura au moins eu le mérite de désillusionner le peuple sur les vertus des hommes providentiels. Tous ceux qui entretiennent autour de certaines « autorités morales » ou les « hautes hiérarchies » un cortège de rêves insensés auront compris que la politique est finalement une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls politichiens. Mais si ces « malades » qui nous gouvernent ne parviennent pas à susciter à nouveau l´intérêt des couches les plus larges des populations africaines pour la liberté, on aura construit dans chaque pays du continent une démocratie sans démocrates, génératrice de foyers de tension et des guerres contre les vagins.
Par Dr. & Habil., Prosper Nobirabo Musafiri
Lecturer and senior researcher at University
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