mercredi 5 janvier 2011

Côte d’Ivoire : une épreuve pour la rupture avec la Françafrique

« L’ancien modèle de relations entre la France et l’Afrique n’est plus compris par les nouvelles générations d’Africains, comme d’ailleurs par l’opinion publique française, il faut changer ce modèle si l’on veut regarder l’avenir ensemble », avait lancé Nicolas Sarkozy il y a presque trois ans maintenant en Afrique du sud.
Aujourd’hui cette politique de rupture avec le passé de la Françafrique, tel que le suivaient tous ses prédécesseurs à l’Elysée, du Général de Gaulle à Jacques Chirac, est, une nouvelle fois, piégée dans la crise en Cote d’Ivoire. De fait, comme l’ont noté aussi nombre d’observateurs à l’étranger, la France est prise entre deux feux : sa volonté aujourd’hui de ne pas donner l’impression d’interférer dans les affaires politiques ivoiriennes et celle de protéger les ressortissants et les entreprises françaises présents sur place.
Mardi 4 janvier le président français a d’ailleurs bien pris le soin de préciser que les soldats français n’avaient pas vocation à s’ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Mais même si aujourd’hui il n’est pas question à Paris de lancer des militaires français à l’assaut de la résidence de Laurent Gbagbo, l’opération militaire Licorne, réduite par rapport à son premier déploiement lors de la crise de 2002, reste en place en parallèle à celle des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Ce qui place la France une nouvelle fois, qu’elle le veuille ou non, largement en première ligne. Avec la possibilité pour le président Gbagbo de jouer sur le ressentiment anti-français d’une fraction de la population ivoirienne.


"Le boulanger le plus célèbre de Côte d’Ivoire"


Le risque pour la France est que l’impasse politique actuelle risque de durer voire de dégénérer sans cesse. En Afrique, certains adversaires ont d’ailleurs désigné Laurent Gbagbo comme le « boulanger le plus célèbre de Côte d’Ivoire » pour son habileté à rouler ses interlocuteurs dans la farine. Mardi le président sortant ivoirien a en tout cas pratiqué son art de gagner du temps. Il s’est dit ainsi prêt à négocier une « issue pacifique » à la crise dans son pays. De plus, ont indiqué les émissaires de l’Union Africaine (UA) et de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans un communiqué après leur rencontre avec lui, il s’est engagé à lever le blocus terrestre autour de l’hôtel du Golf à Abidjan où est retranché le président élu _et reconnu par la communauté internationale _ Alassane Ouattara. Une offre de dialogue qui a été immédiatement rejetée par ce dernier. Il est vrai que cette proposition de Gbagbo, à la présidence depuis octobre 2000, répond essentiellement au renforcement des pressions internationales sur lui pour qu’il quitte le pouvoir. Car la question est, encore, non pas qui a remporté l’élection présidentielle du 28 novembre dernier mais plutôt si Laurent Gbagbo a décidé de concéder ou non sa défaite électorale, et donc de partir. Or il ne semble pas qu’il soit prêt à accomplir ce geste, pression internationale ou non. Et il possède encore de nombreux atouts, malgré l’isolement croissant de son régime sur la scène internationale. Le premier est d’avoir encore ses fidèles et chauds partisans. L’autre est encore de compter sur une bonne partie de l’armée ivoirienne. Et enfin, il peut compter aussi sur le fait que les autres pays africains de l’UA et de la CEDEAO, sans écarter cette option, sont encore réticents à intervenir militairement. Car cela serait au prix d’une guerre civile qui pourrait bien déboucher sur la séparation en deux de la Côte d’Ivoire. Ce que justement voulait éviter l’opération Licorne. Mais la conséquence de cette nouvelle crise sera sans aucun doute de mettre un terme, cette fois-ci quasi définitif, à ce que fut la Françafrique, cette interdépendance de réseaux entre la France et ses anciennes colonies. Pour Laurent Gbagbo, elle enterre définitivement sa brillante étoile gagnée comme célèbre, et courageux, opposant à Houphouët-Boigny. Une occasion ratée pour lui...
Source: Les Echos

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