vendredi 7 janvier 2011

De la dégradation à la réhabilitation de l’Enseignement en RDC

Où vont l'enseignement et l'éducation en République Démocratique du Congo? Comment en redorer encore le blason en cette période de fortes turbulences sociopolitiques et après cinquante ans d'indépendance politique?"



""Where are teaching and education heading in the Democratic Republic of te Congo? How to restore their image in this period of sociopolitical turmoil, fifty years after the independence?"
La situation de l’enseignement et de l’éducation en RD Congo est devenue alarmante. Abandonné par l’Etat, qui s’est pratiquement désengagé de ses responsabilités depuis belle lurette, le système éducatif public s’est fortement gangrené. Des personnes très autorisées, notamment les prélats catholiques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), n’ont cessé de le relever et de stigmatiser la grave cacophonie qui règne au sein des Ministères de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnelle (EPSP) et de l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU). Et leur « cri d’alarme » -qui ne semble pas percer les oreilles presque sourdes des autorités du pays- continue de se faire de plus en plus strident, à travers leurs « Messages ». Cette situation provoque, dans les couches moins nanties de la population congolaise, des sentiments non seulement d’angoisse, mais aussi d’abandon et de grande frustration.
Globalement, le peuple congolais (de basse et moyenne classe) est caractérisé aujourd’hui par des salaires bas ou le non paiement des salaires, la diminution du pouvoir d’achat, la concentration excessive des richesses au profit de quelques nantis du régime, l’analphabétisme, la malnutrition et l’insuffisance des ressources sanitaires, l’insécurité croissante, etc. Les possibilités d’accès à une bonne éducation et à l’apprentissage des métiers, pour beaucoup de nos compatriotes, sont maigres. L’inversion de la hiérarchie des valeurs, le trafic d’influence, les points ‘sexuellement transmissibles’, le détournement du denier public pour les poches privées, sont devenus monnaie courante dans notre société. On remarque que la trajectoire mène clairement vers le ravin. La grave question qui se pose toujours et qui ne trouve pas encore de réponse satisfaisante est : où vont l’enseignement et l’éducation en RD Congo ? Et comment en redorer encore le blason, en cette période de fortes turbulences sociopolitiques… après cinquante ans d’indépendance politique? Ces questions appellent une brève analyse sans complaisance de la situation.
 De la noblesse à la dévaluation du métier d’enseignants !
 L’enseignant était considéré, hier, comme un homme de grande valeur dans la société zaïroise. C’était presque un ‘ministre’, un ’honorable’. Dans tous les cas, un homme respectable et respecté. Il était bien rémunéré par l’Etat et bien considéré socialement. D’aucuns disent -avec un réel regret- que c’était la belle époque pour l’enseignant zaïrois/congolais, étant donné qu’il exerçait, avec une conscience professionnelle presque irréprochable, ce que l’on appelait alors « le beau métier ». La RD Congo, alors Zaïre, était-elle plus riche et mieux outillée économiquement ? Peut-être.
Aujourd’hui, l’image que tout le monde se fait de l’enseignant s’est édulcorée en en faisant un quasi ‘quémandeur insatiable’ sur le dos des pauvres ‘enseignés’ (écoliers, élèves, étudiants) pour sa survie quotidienne. Le maigre salaire lui octroyé par le gouvernement ne lui permettant plus de nouer les deux bouts du mois, il lui faut du ‘surplus’…la fameuse ‘motivation’ ou « prise en charge par les parents ».Ainsi enregistre-t-on des abandons et désertions dans l’enseignement pour des métiers mieux rémunérés (spécialement dans les ONG, les ONGD et les Organismes des Nations Unies). Et tout le monde, à commencer par les nantis du gouvernement, de se demander comment sortir de la poudrière ? Pourtant la solution est claire et limpide : il s’agit impérativement d’assurer aux enseignants un salaire décent et une prise en charge conséquente, en plus d’une carrière sûre. Car, il n’y a pas d’autre alternative pour rendre l’enseignement plus attractif.
Même si les pauvres parents sont pratiquement sommés de prendre en charge les enseignants, pour que leurs enfants ne traînent pas à la maison à cause des grèves incessantes, ils en ont marre jusqu’au cou. Mais, que peuvent-ils faire d’autre quand l’environnement politique les y oblige ? Ceci montre, en fait, que si l’enseignement - auquel on reconnaît partout ailleurs une utilité capitale- ne parvient plus à attirer et à retenir un nombre suffisant de personnes qualifiées, c’est qu’il y a anguille sous roche dans sa gestion et son organisation.
Au niveau de l’enseignement supérieur et universitaire, beaucoup de questions se posent avec acuité et restent encore à résoudre, notamment la problématique du lien entre les enseignements dispensés et les débouchés envisagés pour la société, le processus de développement de la nation, y compris. La formation aujourd’hui dispensée répond-elle vraiment à un objectif utilitaire précis? Nous soucions-nous réellement du genre d’hommes et de femmes que nous formons, de la finalité de leur formation et desbesoins auxquels ils devront quotidiennement répondre ? Notre université ne court-elle pas le risque d’être une fabrique des chômeurs, alors qu’elle est appelée à être le lieu de l’excellence et un vivier intellectuel pour le développement de toute la nation ?
Plusieurs analyses soulignent, à ce niveau, une dérive infernale consommée depuis la décennie 1990 : la création complaisante et l’agréation à l’emporte-pièce des établissements (privés et publics) d’enseignement supérieur et universitaire qui ne tiennent compte ni des dispositions légales ni des conditions académiques et pédagogiques de viabilité. Du reste, plusieurs ne disposent même pas d’infrastructures, ni d’un corps enseignant assez compétent, ni de moyens financiers ou d’équipement didactique, et parfois même de voies d’accèsi ! C’est, en fait, la conséquence de la faillite et de la déliquescence de l’Etat, le règne de la corruption organisée et de l’anarchie, qui ont planté leur tente dans l’administration publique et dans notre société. Et l’on peut légitimement se demander si notre enseignement ne serait pas alors en train de produire des « porteurs des diplômes », incapables de défendre ce qu’ils sont supposés être, et non des vrais « diplômés » (ceux qui ont un ‘back ground’reflétant effectivement ce qu’ils ont appris et enrichi)! Les témoignages glanés ci et là dans les conversations, semblent donner une réponse affirmative à notre interrogation- inquiétudeii.
Compte tenu compte du sombre tableau ci-dessus décrit, il sied de saisir exactement la profondeur du lien de sens entre les termes « enseigner » et « éduquer ». Car ceux-ci ne semblent plus s’imbriquer, comme jadis.
 Faiblesse de connexion entre « enseignement » et « éducation » !
 On reconnaît que l’éducation a pour objectif principal de conférer des connaissances et des capacités utiles à former l’homme et la société en vue d’une humanité responsable, solidaire et respectueuse de son environnement. Chez les Grecs antiques, l’on sait que l’éducation (paideia) était pensée comme une tâche essentielle et incessible de la «polis » (cité, Etat). Car, le débat autour de l’éducation engage véritablement le type d’hommes ou de citoyens qu’on cherche à promouvoir, le type de société qu’on se propose de réaliser, pour le bien de la communauté nationale tout entière.
L’analyse étymologique du terme « éducation » peut nous donner un petit éclairage utile. Le terme « éducation » provient du latin « e-ducĕre » qui signifie  « conduire hors de ». A l’époque où Rome était champêtre, et le latin une langue de berger, le terme « e-ducĕre » signifiait simplement « marcher en tête de son troupeau pour le mener dehors ». C’est d’ailleurs le sens qu’il conserve dans les évangiles où l’on dit que le bon Pasteur appelle chacune de ses brebis par son nom et les « fait sortir dehors » pour les paître.
« Eduquer », c’est donc conduire hors de l’état d’enfance, caractérisé par l’absence de la parole (‘infans’= le ‘non parlant’) vers cet autre état du sujet capable de communiquer, d’entrer en relation avec les autres, de s’opposer, de travailler et capable d’aimer. Il devient aisé de comprendre que « éduquer », c’est conduire un individu de son « point d’origine » à son « point d’arrivée ». L’éducation relève ainsi plus del’art que de la science. Il ne doit pas être plus question de « savoir » que de « savoir faire ». Le but visé reste le bien total de l’homme, un passage à la condition de sujet capable de communiquer et d’aimer. L’éducation doit assurer et permettre le « devenir adulte » en développant en l’enfant des qualités morales et politiques. De ce fait, l’éducateur devient un véritable « passeur  de gué ». Il accompagne le jeune sur le gué qui sépare la rive de l’enfance et celle de l’adulte. L’éducateur devient d’abord et avant tout un ‘accompagnateur’.
« Eduquer », signifie aussi conduire un jeune, un adolescent, du monde et de la société d’où il tire son origine vers le monde et la société de demain, dans lesquels il est appelé à vivre et qu’il devra contribuer à construire. L’éducation ne fait pas de nous seulement ce que nous savons, mais plus ce que nous sommes : un citoyen, avec ses sentiments, son intelligence, sa moralité. Dans ce sens, « éduquer », c’est également donner à l’homme la conscience de sa place dans le monde, lui donner conscience de ce qu’il doit au passé et de ce qui fera le monde de demain. C’est cela une éducation intégrale, complète ; celle qui a comme préoccupation essentielle d’apprendre à ceux qui nous sont confiés que l’avenir est entre leurs mains et qu’il leur appartient de rester maîtres de leur destin. C’est l’homme qui engendre l’homme et c’est l’homme qui éduquera l’homme. C’est l’homme qui découvre en lui-même les principes universels orientant vers son humanité à venir. L’éducation est ainsi pouvoir décisif d’influence au point qu’elle mérite toute attention des dirigeants politiques. Elle donne à l’homme le savoir, le savoir- être et le savoir -faire. C’est le tout de l’homme.iii Aujourd’hui, il est fort regrettable que le terme « éducation » occupe une place minime dans vocabulaire de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnelle, et soit pratiquement rayé dans celui de l’Enseignement supérieur et universitaire. Il s’agit d’une terrible séquelle de l’idéologie du mobutisme…qui avait remplacé purement et simplement l’appellation « Ministère del’Education nationale» par celle de « Ministère de l’Enseignement ». Ainsi l’aspect « éthique » et « religieux » a-t-il été graduellement dévalorisé dans la constitution de l’  « être zaïrois/congolais ». Cette séquelle reste encore imprimée (hélas !) dans la mentalité de plusieurs Congolais !
 De la décadence à la grandeur : pour une nouvelle vision éducative !
 Etant donné que l’école (à tous les niveaux) est une institution éducative importante à laquelle la société moderne s’attache, elle constitue, pour l’individu, une occasion non seulement d’élargir ses relations, mais aussi d’acquérir de nouvelles connaissances.
En effet, l’école enseigne des valeurs qu’on ne trouve pas toujours en famille, cette autre institution éducative qui forme les habitudes, les émotions, les impressions de l’individu et le prépare à une éducation scolaire ultérieure. Si, en ce moment, l’école congolaise était ce qu’elle doit véritablement être, le fait de la fréquenter constituerait une éducation morale et intellectuelle véritable.
La moralité dans l’éducation permettra à l’homme de se sentir effectivement membre participant aux valeurs d’une humanité raisonnable. Par la morale, l’homme se dépasse lui-même, se dépouille de son « animalité » pour se rapprocher toujours davantage de « l’humanité ». C’est d’abord l’éducation aux valeurs qui doit présider à notre action éducative. Elle doit certes armer le citoyen des connaissances, mais plus encore des qualités de conscience pour qu’il se sente obligé dans son agir et se servir des moyens mis à sa disposition pour son profit et celui de ses semblables.
Le projet congolais d’éducation doit avoir pour but de former des Congolaises et Congolais qui ne vivent pas pour eux-mêmes, mais pour les autres. La morale est plus que nécessaire ; elle doit exister, impérativement, dans chacun des actes où l’individu se situe face à l’autre. Et elle devra, comme le suggère aussi le prof. Ngoma-Binda, être enseignée à tous les niveaux de l’éducation pour que la vertu prenne racine dans tout le corps social de la nation congolaise.iv
La Congolaise et le Congolais nouveaux que nous voulons former, doivent être ordonnés à leur fin ultime et au bien de la société. Ils ont le devoir de s’engager dans la lutte pour la justice, au-delà des intérêts égoïstes et partiaux, armés d’un solide sens critique. Ils doivent apprendre à « quitter la politique del’immédiateté pour celle de la vision »v, et une vision à long terme ; apprendre à respecter les droits de l’homme ; s’initier à ce qui perdure, au-delà de toutes les péripéties et les turbulences. Aussi doivent-ils « apprendre à apprendre », de façon à pouvoir nourrir continuellement l’esprit par de connaissances nouvelles ; apprendre à penser d’une manière critique et apprendre à s’épanouir grâce au travail productif et créateur. La nouvelle éducation doit être créatrice, et à partir de la morale, mettre en question et dénoncer tout ce qui est en désharmonie avec la vocation intégrale de l’homme et de la société. Elle doit préfigurer le type nouveau de société congolaise que nous recherchons tous et éveiller, chez nos jeunes, leurs capacités à créer une RD Congo revêtant une nouvelle robe.
Nos énergies et notre attention devraient être dorénavant orientées vers la nouvelle et dure bataille à gagner pour la RD Congo, notre pays : la bataille de l’éducation et de la culture qui nous permettra de forger une nouvelle personnalité congolaise. Il faudra, pour cela, miser sur une solide redynamisation de la vie intellectuelle dans tous ses aspects. Cette bataille est à préparer, hic et nunc, avec des nouvelles bases éthiques, spirituelles, intellectuelles.vi Et nous sommes tous tenu à ne pas la perdre…si nous ne voulons pas nous perdre nous-mêmes. Sans redorer le blason de « l’éducation » en profondeur, nous ne pourrons certainement pas la gagner. L’enjeu est de taille pour la construction de l’avenir du pays et des générations congolaises futures qui risqueront de nous condamner en nous taxant (avec raison ?) de «génération pernicieuse, fourbe et tortueuse », ayant mené l’héritage de nos ancêtres à l’hypothèque et à la déchéance !
Abbé SHANYUNGU Aloys, Grand Séminaire Mgr Busimba (Goma) , RDC

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