Par Pierre Haski | Rue89 | 18/03/2011
Scènes de liesse à Benghazi. La résolution rend possible des frappes ciblées contre les forces du dictateur, aux portes de la ville.
Les images sur la chaîne Al Jazeera disent le changement d'ambiance : à Benghazi, la capitale des insurgés libyens, des milliers de personnes célèbrent la nouvelle venue de New York. Certains brandissent des drapeaux français. Les opposants àMouammar Kadhafi ont repris espoir après l'adoption, au Conseil de sécurité de l'ONU, d'une résolution autorisant « toutes les mesures nécessaires » pour protéger les civils et imposer un cessez-le-feu à l'armée libyenne.
La résolution de l'ONU décrète en particulier une zone d'exclusion aérienne en Libye, clouant théoriquement au sol les avions qui assuraient la supériorité du chef de la Jamahirya libyenne.
Cherchant à gagner du temps, la Libye a affirmé jeudi soir qu'elle était prête à discuter d'un cessez-le-feu : c'est ce qu'a déclaré le vice-ministre des Affaires étrangères, Khalid Kaim, lors d'une conférence de presse à Tripoli.
La résolution de l'ONU, qui a fait l'objet d'intenses négociations, a été adoptée par dix voix pour, et cinq abstentions. Aucune nation n'a pris le risque de s'y opposer ou de mettre son véto, alors que Kadhafi, dans la soirée, menaçait de représailles les hommes qui s'étaient opposés à lui. La Chine et la Russie ont donc choisi de s'abstenir, ainsi que l'Allemagne, qui diverge ainsi radicalement de la position française.
Alain Juppé : « C'est peut-être une question d'heures »
Alain Juppé, qui s'était rendu à New York pour ce débat, a souligné dans sondiscours au Conseil :
« C'est une question de jours, c'est peut-être une question d'heures. Chaque jour, chaque heure qui passe alourdit le poids de la responsabilité qui pèse sur nos épaules.Prenons garde d'arriver trop tard, ce sera l'honneur du Conseil de sécurité d'avoir fait prévaloir en Libye la loi sur la force, la démocratie sur la dictature, la liberté sur l'oppression. »
La France devrait jouer un rôle actif dans la mise en œuvre de la résolution, à commencer par des raids aériens destinés à imposer la zone d'exclusion aérienne, avec la destruction des installations radar et de missiles libyens. Les Etats-Unis, l'Italie, et vraisemblablement des forces de pays arabes devraient également participer à ces actions. Des opérations qui pourraient commencer dans les heures qui suivent ce feu vert de l'ONU.
Jeudi soir, la chaîne panarabe Al Jazeera rapportait que l'armée égyptienne avait commencé à acheminer des armes pour les rebelles libyens pour aider à la défense de Benghazi, la première action concrète de soutien militaire d'un pays étranger à l'opposition libyenne.
La résolution permet des actions militaires contre la Libye, en invoquant le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, mais n'autorise pas d'opérations terrestres, ce qu'aucun pays, à ce stade, n'envisage.
Une résolution tardive et peut-être insuffisante
La question qui se pose est désormais de savoir si cette résolution tardive permettra réellement de sauver l'opposition d'une défaite qui semblait de plus en plus inscrite dans les faits après les victoires faciles successives des forces de Kadhafi sur la route de Benghazi. Jeudi soir, le rapport de force sur le terrain restait largement favorable aux forces fidèles à Kadhafi tant que la résolution de l'ONU n'entre pas en vigueur.
Le vote de l'ONU était devenu inévitable, malgré les réticences de plusieurs pays, à mesure que l'avance des forces de Kadhafi devenait irrésistible. Et que nul ne peut douter du sort qui attend les habitants de Benghazi, qui se sont soulevés contre le régime de Kadhafi, si ce dernier parvient à reprendre le contrôle de la capitale de l'Est.
Le résultat du vote montre bien pourquoi il a fallu autant de temps pour que le Conseil de sécurité, la seule instance susceptible d'autoriser une action militaire internationale, finisse par adopter une première résolution contenant du concret. Il a fallu avant ça que la Ligue arabe prenne position, un préalable posé par les Américains et des Occidentaux qui ne veulent pas être accusés d'avoir bombardé un pays arabe sans le soutien de l'organisation réunissant tous les Etats de la région. Il a fallu aussi vaincre les résistances russe et chinoise, ce qui a pris encore du temps.
Un air de défi à Tripoli
Au milieu de la nuit, le vice-ministre des Affaires étrangères libyen, Khalid Kaim, a convoqué la presse à Tripoli pour remercier les cinq pays qui se sont abstenus, y compris l'Allemagne : « Quelle surprise », s'est-il exclamé !
Le responsable libyen a donné une étrange interprétation de la résolution, en estimant qu'elle était un appel aux Libyens pour qu'ils cessent de s'entretuer. Il a toutefois dénoncé la menace de partition de la Libye contenue, selon lui, dans la position internationale. Il a prévenu que l'armée libyenne poursuivrait son action contre les « séparatistes » tout en se disant prêt à discuter d'un cessez-le-feu. Il a également redemandé, comme la Libye l'avait déjà fait, l'envoi d'une commission d'enquête de l'ONU, ignorant les accusations de crimes contenues dans la résolution onusienne.
Cette réaction, quelques heures après un discours extrêmement menaçant de Kadhafi lui-même, ne permet pas réellement de savoir quelles sont les intentions libyennes. Les prochaines heures et jours diront si l'air de défi qui règne à Tripoli était du bluff, ou l'assurance de pouvoir « finir le boulot » à Benghazi.
Illustrations : captures d'écran d'Al Jazeera, en direct de Benghazi et conférence de presse du vice-ministre des Affaires étrangères à Tripoli ; dessin de Baudry et Chimulus.
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