mardi 21 juin 2011

AFRIQUE: QUAND KOFI ANNAN DONNAIT DES LEÇONS DE DÉMOCRATIE À PAUL BIYA ET ABDOULAYE WADE

Pour l’ancien secrétaire général de l’Onu les chefs d’Etat camerounais et sénégalais ne devraient pas s’accrocher au pouvoir. 

I- Un jugement très sévère. 

Le 20 octobre 2008, le Ghanéen Kofi Annan, Secrétaire général de l’Onu de 1997 au 31 décembre 2006 accorde une interview à la Bbc au cours de laquelle il parle du processus électoral au Zimbabwe, du partage du pouvoir au Kenya entre le président Mwaï Kibaki et son Premier ministre Raïla Odinga, puis glisse sur l’alternance en Afrique.

Il prend les exemples du Cameroun avec Paul Biya et du Sénégal avec «Gorgui», le vieux Abdoulaye Wade âgé officiellement de 85 ans. Le jugement très sévère et critique de cet homme policé à l’endroit de ces deux chefs d’Etat surprend ceux qui le connaissent quand il lâche : «personne ne peut me convaincre qu’au Sénégal et au Cameroun il n’y a qu’un seul leader capable de gouverner (…) Je connais bien les deux chefs d’Etat et je pense qu’il n’est pas dans leur intérêt ni dans celui du peuple de s’accrocher au pouvoir… La constitution ne doit pas être modifiée à la convenance des individus. Elle doit être conçue pour les aspirations du peuple».

A Yaoundé comme à Dakar, les propos de l’ancien secrétaire général de l’Onu font couler beaucoup d’encre mais Kofi Annan n’en a cure, il enfonce plutôt le clou et précise sa position dans une interview accordée à Jeune Afrique dans sa livraison N° 2496 du 9 au 15 novembre 2008, P. 43 dans la rubrique Confidences de… que nous avons le plaisir de vous faire partager. A la question : sur la Bbc, vous avez critiqué les présidents camerounais et sénégalais, Paul Biya et Abdoulaye Wade, au sujet de l’alternance au pouvoir… Pourquoi ces deux chefs d’Etat en particulier ? Réponse : «Je répondais à une question les concernant. C’est pourquoi je les ai cités. Fondamentalement, c’est une question de principe : il ne faut pas modifier les textes constitutionnels uniquement pour satisfaire un individu. Toute modification doit être motivée uniquement par l’intérêt national, et non par celui d’une personne. En aucun cas on ne peut considérer qu’un chef d’Etat est irremplaçable. Celui qui pense qu’il ne peut quitter son poste parce qu’il est le seul capable de diriger le pays a échoué dans sa mission. Nous devons pouvoir compter sur des institutions qui protègent les intérêts de la nation et du peuple».

Paul Biya et Abdoulaye Wade ont-ils écouté Kofi Annan ? Non, pour la simple raison que les déclarations de l’ancien Secrétaire général de l’Onu sont postérieures aux modifications des constitutions camerounaise et sénégalaise. S’agissant du Cameroun par exemple quand Kofi Annan accorde ses interviews à la Bbc le 20 octobre 2008 et à Jeune Afrique le 30 octobre de la même année, le verrou de la limitation des mandats présidentiels a déjà sauté par la loi n° 2008/001 du 14 avril 2008. Au Sénégal également le pépé qu’est Abdoulaye Wade a également modifié la constitution pour s’éterniser au pouvoir. En réalité, les interviews de Kofi Annan n’ont pas besoin d’être commentées, elles disent tout sur les deux hommes politiques, les dinosaures que sont Paul Biya et Abdoulaye Wade. D’ailleurs ce dernier a créé la sensation jeudi dernier en déclarant au cours du conseil des ministres que la prochaine élection présidentielle qui aura lieu l’année prochaine pourrait se faire sur le modèle américain c’est-à-dire un tandem, un duo ou un ticket président – vice président. Ceci dans le but que son parti conserve le pouvoir si lui le président se retire en cours de mandat pour une raison ou une autre (maladie, incapacité quelconque, décès), le vice-président prend automatiquement sa place et achève son mandat. Voilà le lapin que Wade vient de sortir de sa manche. Et Paul Biya n’est pas très loin de là.
II- Ils font la sourde oreille

L’on sait en effet que Paul Biya a déjà arrêté une nouvelle modification de la constitution après celle qui vient d’être promulguée le 6 mai dernier. Il va créer un poste de vice-président, probablement avant ou après l’élection présidentielle d’octobre prochain. Les grandes lignes de cette modification sont connues mais que veut Biya ? Le système où le vice-président achève le mandat du président sortant comme c’est le cas aux Etats-Unis ou alors il va lui préférer le modèle nigérian selon lequel le vice-président occupe le siège laissé vacant par le départ du président mais organise des élections auxquels il prend part. C’est ce qu’a fait Goodluck Jonathan au Nigeria : il a remplacé le défunt président de la fédération nigériane Aladji Musa Umaru Yar’Adua et a organisé la présidentielle dont il est sorti vainqueur il y a quelques semaines. Selon certaines sources, c’est le système américain qui l’intéresse. Aujourd’hui Paul Biya suit de très près ce qui se passe au Sénégal où la tension est très vive depuis l’annonce d’Abdoulaye Wade dont certains analystes le voient mettre comme colistier son fils Karim.

Mais ce n’est là qu’une blague car Abdoulaye Wade sait très bien qu’en choisissant son fils comme colistier cela pourrait déclencher des troubles dans son pays et même dans son propre parti dans lequel Karim n’a pas que des amis. Wade a aujourd’hui 85 ans, ça c’est l’âge officiel, certains de ses compatriotes avancent qu’il pourrait avoir 90 ans. Et cela se ressent de plus en plus mais s’il a beau jeu de dire qu’il est en bonne santé du fait de sa bonne hygiène de vie (n’a-t-il pas déclaré un jour qu’il ne prenait pas de sucre) mais surtout de ses gènes ? (N’a-t-il pas déclaré un jour que la longévité était héréditaire dans sa famille, sa mère et sa tante seraient mortes centenaires). Paul Biya qui a 78 ans officiellement sait très bien que s’il prend et il va rempoter la prochaine présidentielle d’octobre faute de candidats et grâce au verrouillage du système électoral par son parti le Rdpc, il ne peut pas aller au terme de son septennat. Car sept nouvelles années après 29 ans de règne, ça use vraiment. Et comme nous l’avons toujours dit dans ces colonnes, le problème de Biya n’est pas de créer un poste de vice-président mais de rester au pouvoir.

Pour conclure, nous allons faire nôtre cette vision du président américain Barack Obama lors de sa visite au Ghana l’année dernière. Dans son discours à Accra la capitale ghanéenne le président américain avait déclaré : «l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes». Il louait ainsi la démocratie ghanéenne qui avait vu la victoire aux élections générales du 7 décembre 2008 la victoire à la présidentielle du candidat de l’opposition John Evans Atta Mills sur celui du parti au pouvoir Nana Addo Dankwa Akufo-Addo. Le président sortant John Kufuor avait même demandé au perdant, du même parti que lui de reconnaître sa défaite et la victoire de Atta Mills. En réalité, les hommes ne servent à rien car sinon Zine El Abidine Ben Ali de Tunisie au pouvoir depuis 1987 et Hosni Moubarak d’Egypte depuis 1981 après l’assassinat d’Anouar El Sadate ne seraient pas chassés du pouvoir par les soulèvements populaires.


© Aurore Plus : Michel Michaut Moussala

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