vendredi 10 juin 2011

Nafissatou Diallo et les mystères de sa famille

Tandis que l'entourage de Nafissatou Diallo reste muet, la communauté peule de New York n'est pas tendre avec sa situation.

Sur la 116e rue, au cœur de la communauté ouest-africaine. © Sabine Cessou, tous droits réservés.

Voilà une dizaine de jours que les proches et la famille de Nafissatou Diallo, qui accuse Dominique Strauss-Kahn «DSK» d’agression sexuelle, peuvent lui rendre visite. La jeune femme de chambre, âgée de 32 ans, employée par Sofitel à New York, bénéficie toujours d’une protection policière et vit à l’abri des médias, dans des lieux tenus secrets.
Beaucoup de gens voudraient la voir, des officiels guinéens notamment, mais leurs demandes auraient toutes été rejetées. Nafissatou Diallo, qui ne semble pas entretenir pas de bons rapports avec sa famille ni sa communauté, les Peuls du Bronx, ne souhaite pas de récupération politique autour du procès qui va commencer.
Les enjeux sont très élevés, y compris financiers: alors que la presse internationale est prête à payer cher pour une photo de Nafissatou, l’argent que pourrait rapporter toute l’affaire à la victime présumée fait beaucoup jaser dans la communauté guinéenne.
Dans ce contexte, les changements récents dans la composition de l’équipe de la défense de la jeune femme prêtent à bien des interrogations: Jeffrey Shapiro, le premier avocat de renom sollicité pour la défendre, serait désormais marginalisé depuis l’arrivée dans l’équipe de l’ancien procureur noir Kenneth Thompson, avocat aguerri des grands procès médiatiques.
La grande question consiste à savoir qui dans l’entourage de Nafissatou Diallo a engagé cette pointure, et à qui profite la mise à l’écart de Shapiro, d’abord sollicité par Blake Diallo, un Sénégalais ami et confident de la victime…

Un entourage qui reste muet

Les amis de DSK et des détectives privés sont par ailleurs à la manœuvre pour récolter toute information susceptible de nuire à la plaignante et ternir sa réputation. La famille de Nafissatou aux Etats-Unis, son frère aîné Mamadou (un fin connaisseur du Coran, par ailleurs chauffeur de camion dans l’Indiana), sa sœur Hassanatou et le mari de cette dernière, Abdoulaye Lamban (chauffeur de taxi dans le Bronx), se montrent extrêmement rétifs à tout entretien, même avec de solides introductions dans la communauté guinéenne. Ils ont donné des consignes pour que leurs numéros de téléphone ne soient communiqués à personne.
S’exprimer publiquement, pour des gens qui n’en ont pas l’habitude et sont dépassés par les événements, ne serait pas sans risque. Aux Etats-Unis, toute personne faisant des déclarations sur une affaire judiciaire en cours peut en effet être citée à comparaître en tant que témoin au cours du procès. S’il s’avère que ses dires sont mensongers, les fameuses greencards (cartes vertes), des permis de séjour difficiles à décrocher, peuvent être retirées et des procédures d’expulsion engagées.
En attendant le procès, la famille directe de Nafissatou Diallo n’a toujours pas pris la parole pour la défendre. Une attitude qui pourrait laisser planer le doute. Beaucoup, y compris parmi les proches, se posent les mêmes questions que tout le monde. Etait-ce un piège? La jeune femme ne serait-elle que l’objet d’une manipulation qui tombe trop à pic, dans la politique française, pour n’être qu’un banal fait divers? Aucune des associations peules de New York n’a volé au secours de la femme de ménage. Pourtant, Nafissatou Diallo se trouve empêtrée dans une affaire qui a bouleversé sa vie.
Ils sont très peu, chez les amis de la famille, à connaître personnellement cette jeune femme qui ne fréquentait guère sa communauté —et on comprend vite pourquoi, une fois sur place. Il suffit d’une après-midi passée à discuter autour d’un plat de couscous au lait, avec une dizaine de compatriotes masculins de Nafissatou Diallo, dans un pavillon du Bronx, pour que les persiflages les plus vils se répandent à travers l’arrondissement. Moi-même ai été traitée d’espionne et accusée d’avoir distribué beaucoup d’argent pour obtenir des informations, après quelques heures anodines de bavardage sur la situation politique en Guinée…
«Vous avez dit que vous êtes journaliste et vous allez gâter notre nom», se plaint au téléphone une amie de Hassanatou Diallo, la sœur aînée de Nafissatou. Rendez-vous avait été pris avec elle depuis Paris, mais cette Guinéenne sera finalement invisible. Mon tort: avoir refusé de me présenter, comme mes contacts me l’avaient recommandé au départ, comme une «ethnologue travaillant sur la communauté peule à New York»

Rumeurs

Sur un terrain miné par la suspicion, difficile de démêler le vrai du faux, et ce même pour la famille. Le frère, la sœur et le beau-frère de Nafissatou Diallo ne veulent bien réagir qu’indirectement, par personnes interposées, pour démentir certaines rumeurs, sans forcément désamorcer les fausses informations ni confirmer les vraies.
On apprendra ainsi, contrairement à ce que la famille avait d’abord laissé entendre, que Nafissatou Diallo n’est pas divorcée mais bien veuve, qu’elle n’est pas venue aux Etats-Unis en 1998 mais en 2003, qu’elle ne s’y est pas rendue via le Ghana mais directement depuis la Guinée, aux frais de sa grande sœur Hassanatou, déjà installée dans le Bronx.
La rumeur sur d’éventuels papiers ghanéens vient du fait qu’elle sous-louerait à une Ghanéenne son appartement situé dans un complexe en principe réservé aux personnes contaminées par le virus HIV, comme l’a révélé le New York Post. Toutes les rumeurs sur son éventuel statut de séropositive ne sont d’ailleurs pas éteintes. Certaines sources évoquent un suivi thérapeutique auprès d’une infirmière d’origine africaine, dans une clinique spécialisée de Harlem…

Une jeune femme indépendante

Selon un ancien employé du couple Hassanatou Diallo et Abdoulaye Lamban, qui tenait autrefois un magasin d’objets à prix discount dans le Bronx, Nafissatou Diallo a très vite pris ses distances avec sa sœur à son arrivée à New York en 2003. Hassanatou, plus âgée et plus belle selon certains membres de la communauté, a la réputation de «porter la culotte» dans son ménage et d’être dotée d’un caractère autoritaire.
Nafissatou a vite emménagé ailleurs, dans une chambre au-dessus d’un salon de tressage dans le Bronx, et cherché à se débrouiller seule, travaillant dans une herboristerie et un petit restaurant africain du quartier, pour se faire ensuite engager au Sofitel.
Elle a fait venir sa fille, expliquant aux services d’immigration qu’il fallait lui éviter un mariage à l’adolescence, comme ce fut le cas pour elle. Et pour mettre toutes les chances de son côté, elle s’est inscrite dans des cours d’anglais à l’université de Fordham, dans le Bronx.

Sabine Cessou, à New York
SlateAfrique

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