mardi 26 juillet 2011

Analyse: L’enlisement dans l’est de la RDC risque fort de gâcher les élections


Photo: Aubrey Graham/IRIN
Les attaques et les affrontements dans les deux Kivu ont déplacé plus de 1,7 millions de civilsGOMA, 25 juillet 2011 (IRIN) - Il y a plus de trois ans, les accords de paix signés à Goma, la capitale provinciale du Sud-kivu, étaient censés mettre fin à la violence et aux déplacements dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Toutefois, alors que le pays se dirige vers des élections générales [présidentielle et législatives] prévues en novembre, les factions armées continuent de déstabiliser le pays. IRIN passe en revue les points noirs d’un conflit qui n’en finit pas et qui a déplacé des centaines de milliers de civils :

La période post signature

En janvier 2008, 22 groupes armés des provinces du Nord-Kivu et du Sud-kivu ont signé un accord de paix à Goma : celui-ci comprenait un cessez-le-feu immédiat, l’intégration des groupes armés dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et l’arrêt du soutien gouvernemental aux milices militaires. Cet accord faisait suite à un accord de 2007 entre le Rwanda et la RDC, destiné à démobiliser les milices hutues qui terrorisaient la population civile. Mais comme l’a écrit le Pole Institute: « L’accord de paix de Goma n’était qu’un panneau indiquant en gros la direction à suivre et la distance à couvrir. Tout le reste dépendait des choix des voyageurs et de leur volonté de mettre l’accord en application. »

Protection des civils

Le nombre de citoyens déplacés dans les deux Kivu est très inquiétant. Selon le Bureau de la Coordination Humanitaire des Nations Unies (OCHA), plus de 1,7 million de civils avaient été déplacés à la date du 31 mars 2011, suite aux attaques et aux affrontement armés. Le Fonds des Nations Unies pour la population estime que chaque semaine, 60 femmes sont victimes de violences sexuelles. D’autres incidents au cours desquels les groupes armés congolais et étrangers collectent des taxes illégales, mettent à sac, brûlent des villages et commettent toutes sortes d’atrocités, ne sont même pas comptés. OCHA a documenté 142 attaques concernant des travailleurs humanitaires depuis le début de 2010.

Et pourtant, depuis le 1er juillet 2010, la région est officiellement dans une phase de « stabilisation », comme l’atteste le changement de nom et de mandat de l’ONU en RDC. La nouvelle Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation de la République démocratique du Congo (la MONUSCO) a deux priorités, qui sont énoncées dans la résolution 1925 du Conseil de sécurité : la « protection des civils » et la « stabilisation et le renforcement de la paix » en RDC.

Les Rwandais en RDC

Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) sont une milice formée d’extrémistes hutus qui ont fui le Rwanda après le génocide de 1994, ainsi que de membres hutus de l’ancienne armée rwandaise et d’autres Hutus rwandais déplacés. Comme d’autres groupes rebelles, les FDLR et leurs groupuscules, « ont été responsables de terribles atrocités dans l’est du Congo, notamment de violences généralisées et systématiques, » indique Enough Project.



Photo: Les Neuhaus/IRIN
Le leader rebelle, Laurent Nkunda
Les FDLR disposeraient aujourd’hui d’un millier d’hommes, contre 7 000 en 2008. Malgré la réduction des effectifs, leur présence continue à poser de graves problèmes sécuritaires. Leur présence est également la raison d’être des groupes rebelles congolais, dont le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dirigé par le Tutsi Laurent Nkunda, qui a été arrêté en janvier, alors qu’il était sous mandat d’arrêt international et est actuellement assigné à résidence à Kigali, la capitale du Rwanda.

Malgré les opérations Amani Leo et Amani ya Kweli lancées en collaboration contre les FDLR par la MONUC, l’ancienne mission de l’ONU dans le pays, et l’armée congolaise en 2010, le groupe poursuit ses exactions dans la province du Sud-Kivu. Les opérations Amani ya Kweli (« Paix durable ») I et II contre les FDLR ont commencé en mai-juin 2011.

Intégration

Un accord signé le 23 mars 2009 a remis à l’ordre du jour l’intégration du CNDP dans l’armée congolaise et la transformation de l’aile politique du groupe en un parti politique officiel. Mais la présence de membres de l’ancien CNPD à des postes militaires et économiques essentiels dans le gouvernement pose des problèmes.

Ainsi, l’ancien général du CNDP, Bosco Ntaganda, est commandant dans les FARDC, malgré son inculpation pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale. Il est aussi soupçonné d’être impliqué dans le commerce des minéraux dans l’est du pays et pourrait être concerné par l’enquête actuelle concernant la saisie de 400 kilos d’or et de 1,8 million de dollars à l’aéroport de Goma en février dernier.

Le Front Républicain Fédéraliste (FRF) était le second groupe résiduel restant quand le CNDP a eu rejoint l’armée congolaise après avoir déposé les armes en janvier 2011. Selon un spécialiste de la région, Jason Stearns, le groupe est passé de 50 à 500 membres ; il « a eu un impact humanitaire considérable dans la région des Hauts Plateaux et a formé une série très complexe d’alliances avec les FDLR, divers groupes Maï-Maï et les Tutsis au Burundi ».

Le Major Venant Bisogo (FRR) et le Major Michel Rukunda Manika ont été nommés à des postes importants dans les FARDC, mais le reste des soldats du groupe attend toujours du travail.

Une petite frange du FRF, dirigée par le colonel Richard Tawimbi, poursuit ses expéditions militaires illégitimes. A ce jour, nul n’a été capable de convaincre M. Tawimbi de rejoindre l’armée officielle. D’autres groupes armés, mécontents de leur sort, ont déserté les camps de formation des FARDC.

Selon la journaliste belge Colette Braeckman, « si les groupes armés perdurent en tant que groupes, ils gardent leur capacité de faire pression. S’ils sont dispersés, ils ne sont plus que des individus isolés. » Rares sont les chefs qui acceptent de perdre leur pouvoir en laissant leurs hommes intégrer l’armée nationale.

Les FARDC ne sont pas suffisamment puissantes pour les y obliger. « Sans une armée forte, il est difficile d’intégrer les éléments extérieurs les plus importants, » a jouté Mme Braeckman. « Pour obtenir ce genre d’armée puissante, il faut former de nouveaux éléments, bien protégés, bien rémunérés, bien soignés. Cependant, à ce jour, personne ne veut prendre le risque de réformer l’armée congolaise. »



Photo: Les Neuhaus/IRIN
La MONUSCO est autorisée à « utiliser tous les moyens nécessaires » pour mener à bien son mandat de protection des civils (photo d’archives)
Le rôle de l’ONU

Entre janvier et mai 2011, le programme des Nations Unies Désarmement, démobilisation, rapatriement, réintégration et réinstallation (DDRRR) a rapatrié 388 combattants étrangers, c’est-à-dire à peu près 150 de moins que durant la même période en 2010.

Pour la MONUSCO, ces chiffres pourraient s’expliquer par le fait que la frange résiduelle refuse résolument de retourner au Rwanda par crainte de représailles liées au génocide. En outre, selon un responsable de ce programme des Nations Unies, « la sensibilisation ne peut marcher que si elle va de pair avec une forte pression militaire, des opérations qui sont du ressort des FARDC. »

Deogratias Buuma, secrétaire exécutif de l’organisation non gouvernementale (NGO) Action pour la Paix et la Concorde (APC), a indiqué : « Les Nations Unies, avec leurs politiques sécuritaires et leur arsenal logistique, n’ont pas réussi à communiquer avec les éléments les plus éloignés des FDLR. Cette situation crée un climat de méfiance et de malentendu entre la MONUSCO et la population locale. »

Depuis les opérations Amani, le changement du mandat de l’ONU limite le rôle de la MONUSCO à un soutien et à une assistance logistiques, qui est « conditionnée à une série d’exigences, notamment le respect des droits humains, » a dit Dirk Druet de la branche responsable de la politique de la MONUSCO à Bukavu.

La question des élections

Quatre mois avant les élections prévues pour le 28 novembre 2011, l’est du pays est inquiet. Confronté à une armée divisée et à la perspective d’élections, la population du Kivu craint, selon l’APC, que « la neutralité politique n’existe pas dans l’armée ».

Le leader politique local, Vital Kamerhe, veut mener le parti de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) à la présidence. Il est soutenu par une vingtaine de signataires de différents partis, de la société civile et des personnalités politiques indépendantes. Ancien partisan de M. Kabila, M. Kamerhe a remporté entre 94 et 98 pour cent des votes aux deux Kivu en 2006. Mais les temps ont changé : les habitants sont las de leurs conditions de vie et d’autres partisans de M. Kabila comme les FDLR sont poursuivis par le gouvernement rwandais.

Les deux Kivu vont sans aucun doute constituer un problème électoral. La situation qui y règne montre que l’accord post Goma est toujours aussi difficile à gérer.

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