Pour un «mort», Blé Goudé est bavard. Entre discours stéréotypé et énigme colportée, il occupe l’espace médiatique —et un espace géographique qui suscite toujours supputations…
© Damien Glez, tous droits réservés.
Si Gbagbo le «boulanger» ne pétrit plus sa farine de blé, son Blé continue de fermenter les débats politiques. Et le scénario qu’il déroule est incontestablement romanesque. En véritable Comte de Monte-Cristo prêt à organiser froidement sa vengeance, le «général de la rue» ivoirienne est devenu le chouchou des médias internationaux —radios européennes qui veulent s’africaniser, comme publications panafricaines bien européanisées.
S’il pourrait être reproché à l’ancien ministre de la Jeunesse un sens immodéré des coups de théâtre, il faut lui reconnaître de la constance dans ses opinions. «Têtu», diront certains. Dans une lettre ouverte, il qualifiait de «postophiles» tous ceux qui avaient fait acte de contrition pour obtenir un poste.
Si les métaphores littéraires ne manquent pas pour décrire l’obstination exceptionnelle de Blé Goudé, celle du «dernier des Mohicans» est peut-être la plus pertinente. Combat désespéré? Peut-être. Mais au jeu du «S’il n’en reste qu’un», Blé Goudé remporte le concours des scores de visionnage sur YouTube.
Les allocutions sont solennelles et les certitudes ne semblent pas devoir défaillir: «Je serai le dernier à lâcher Gbagbo», répète inlassablement l’exilé —quand bien même Gbagbo semble s’être lâché lui-même. Enfilant les oripeaux d’un prophète en pleine traversée du désert, le christique Goudé déclare avec emphase «qu'un jour il fera jour». Comment un ressuscité médiatique ne serait-il pas sûr de lui, quand il déclare croire «en l’Eternel des armées et au Dieu de justice»? Qui peut trembler, quand il est persuadé d’avoir Dieu et YouTube avec lui?
À bien écouter, les interventions de Blé Goudé sont d’une grande banalité; même lorsque celui-ci ironise en acceptant, à l’avance, de s’asseoir dans un box d’accusé, à la condition qu’Alassane Ouattara s’y trouve aussi. Ses déclarations sont de sempiternelles resucées de discours rabâchés depuis dix ans.
Le buzz Goudé
Ces propos n’impressionnaient, avant, que par la violence qu’ils inspiraient à un public quasiment en transe. Ils n’impressionnent, aujourd’hui, que par leur caractère délictueux. Le 1er juillet 2011, en effet, la justice ivoirienne annonçait le lancement d’un mandat d'arrêt international contre l’ancien ministre et chef des Jeunes Patriotes. Nouvelle garantie de rester un «bon client» médiatique.Dans les mois à venir, le pouvoir de nuisance du fugitif sera proportionnel à l’intérêt qu’il suscitera. Et cet intérêt restera conséquent si la dramaturgie est à la hauteur. Outillé d’un fond idéologique rébarbatif, Charles «buzz» Goudé peut compter sur la forme: les sites de partage de vidéo, la publicité virale et le bouche-à-oreille. Le nombre et la variété des rumeurs le concernant sont le signe que, même absent, il se maintient au premier plan de l’actualité ivoirienne.
Blé Goudé craint sans doute qu’on dévoile sa localisation géographique, tout autant qu’il se plaît à entendre fleurir les supputations. Secret de polichinelle? L’actuel ministre de la Justice refuse d’apparaître comme le chasseur semé par sa proie.
«Blé Goudé pense se cacher, mais on sait où il est. Son extradition se fera», assurait-il.À observer son visage empreint de sérénité, on jugerait avoir lu «Ya foye» («Tout va bien») sur ses lèvres. Une source judiciaire n’affirmait-elle pas, cette semaine, que les services secrets américains et français étaient aux trousses de l’ancien ministre de la Jeunesse? En privé, les autorités ivoiriennes aiment répéter qu’il sera pris «le moment venu».
En attendant, l’Ivoirien moyen se contente de rumeurs qui mêlent fortune présumée, complicités supposées et itinéraire d’agent secret. Même lorsque les hypothèses sont formulées à l’imparfait du… subjectif. Dernière thèse en date: un exil gambien…
Gambian connection
Le 5 juillet dernier, le site Internet Connection ivoirienne affirmait que Blé Goudé se serait réfugié en Gambie en compagnie de Maho Glofiéhi, ancien président du Front de libération du grand ouest (FLGO). Les détails de l’article sont d’une précision prodigieuse.Le pseudonyme: Blé Goudé se ferait appeler Carlos Cada, étudiant.
L’itinéraire: il serait arrivé du Ghana via le Sénégal.
Son moyen de transport: le Boeing d’une compagnie basée en Afrique du Sud.
Son look: un grand boubou blanc.
Son point de chute: un hôtel rose de la commune de Sérécounda, où la Garde Républicaine gambienne l’aurait escorté.
Dans cette hypothèse que l’on précise confirmée par «une dame des services secrets» gambiens, les autorités du pays d’accueil seraient donc complices de l’exil de l’ancien «président de la rue» ivoirienne.
L’histoire des relations entre le président Yahya Jammeh et Laurent Gbagbo tend à étayer ce postulat. En mars 2011, le journal sénégalais Kotch affirme que le président gambien armerait le président ivoirien sortant. Il aurait été impliqué dans la livraison d’hélicoptères de combat. Dès 2005, Yahya Jammeh était accusé par le Sénégal de recevoir de l’Iran de grandes quantités d’armes, dont une partie aurait été destinée à Abidjan.
La complicité entre les pouvoirs de Banjul et d’Abidjan daterait du temps où Laurent Gbagbo avait mis le doigt entre l’arbre sénégalais et l’écorce gambienne, sur le dossier casamançais. En 2006, un bateau transportant des armes pour le Mouvement des forces démocratiques de Casamance était intercepté par la marine bissau-guinéenne. Il venait d’Abidjan.
Jusqu’à l’approche de la présidentielle ivoirienne, Modri Marie Delesse Schwisenberg, conseillère de Gbagbo, aurait été chargée d’entretenir la flamme de la lune de miel —et peut-être de placer quelques avoirs familiaux.
Après la chute de Gbagbo, le chef de l’Etat gambien ne reconnaît pas le président Alassane Dramane Ouattara, affirmant, le 10 mai, que «Gbagbo a été renversé par les puissances occidentales dont l’ONU, et remis à son ennemi juré pour être assassiné».
Dans une récente interview, Blé Goudé ne s’appropriait-il pas le propre amalgame de Jammeh, qui comparait la chute de Laurent Gbagbo à celle de Patrice Lumumba? Il pourrait donc se requinquer chez «tonton Yahya», en attendant que «le moment venu» l’oblige à un nouveau virage dans son échappée.
Le feuilleton peut continuer…
Damien Glez
SlateAfrique
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