jeudi 7 juillet 2011

DSK-Nafissatou: un face-à-face peu probable

A New York, plus personne n’attend l’audience prévue pour le 18 juillet dans le procès contre Dominique Strauss-Kahn. Le procureur paraît décidé à abandonner un procès qu’il ne pourra pas gagner, malgré les pressions qui s’intensifient contre le non-lieu et la contre-attaque l’avocat de Nafissatou Diallo.

Supreme Court of the United States, by Phil Roeder

L’affaire DSK est plus compliquée que jamais. Mercredi 6 juillet, les avocats de Dominique Strauss-Kahn ont rencontré le procureur Cyrus Vance, pour plaider le non-lieu. Ce que le procureur n’est pas décidé à faire, en raison des pressions émanant de la défense de Nafissatou Diallo, la jeune femme de chambre guinéenne qui affirme avoir été victime d’une agression sexuelle de DSK.
L'avocat de Nafissatou, Kenneth Thompson, un ancien procureur connu pour son mordant, n’a pas baissé les bras. «Il continue de croire en Nafissatou Diallo, sur un plan professionnel», affirmait à SlateAfrique une source proche du dossier. Et ce malgré les fuites faites dans la presse par le bureau du procureur, concernant plusieurs éléments qui permettent de douter de la crédibilité de Nafissatou Diallo.
Les espoirs de victoire caressés par Cyrus Vance se sont envolés: il ne peut plus compter sur le «témoin clé» qu’aurait pu être Nafissatou Diallo si elle n’avait pas menti sur des viols en réunion qu’elle déclarait avoir subis en Guinée, si des sommes douteuses n’avaient pas transité sur son compte, si elle ne s’était pas empêtrée dans son récit du déroulé exact des faits, et si elle n’avait pas passé un coup de fil le 15 mai à un homme emprisonné pour trafic de cannabis, pour lui parler des profits à tirer d’une plainte contre DSK.

Objectif: réduire les charges contre DSK

Il n’y aura sans doute jamais d’audience publique en présence de DSK et de Nafissatou Diallo. Les négociations entre le procureur et les avocats de l’ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) porteraient en fait, selon les sources de SlateAfrique, sur la réduction des chefs d’inculpation pesant contre DSK.
Des «charges» qui pourraient être réduites à ce qu’on appelle aux Etats-Unis le misdemeanour —par exemple conduite en état d’ivresse, troubles à l’ordre public, vol à l’étalage ou tout autre délit décrit comme tel par le procureur, sanctionné par une amende ou une peine maximale d’un an de prison.
Dans ce cadre, un seul chef d’inculpation pour misdemeanour ne pèse pas lourd sur le plan juridique, mais des poursuites pour felony (le niveau de délit supérieur, sanctionné par des peines de prison) restent possibles à partir de trois chefs d’inculpation pour mauvaise conduite.
Toute la discussion porterait donc aujourd’hui sur le nombre de chefs d’inculpation, même allégés, qui pèseront encore contre DSK.

Mobilisation citoyenne et politique

Du côté de la défense de Nafissatou Diallo, on mobilise les troupes pour que l’affaire ne retombe pas comme un soufflé. Car aux Etats-Unis, la justice dépend aussi des médias et de l’opinion.
Ce jeudi 7 juillet, une conférence de presse était annoncée à New York pour 13 heures, sur les marches du tribunal, par la Coalition pour le soutien des femmes victimes de violences sexuelles (Coalition to Support Women Victim of Sexual Violence), pour «dénoncer l’abandon très anticipé par le procureur du procès du Peuple contre Dominique Strauss-Kahn» (l’intitulé officiel de la procédure en cours, «The People v. Dominique Strauss-Kahn»):
«Après avoir été sexuellement abusée, cette femme de ménage immigrée de Guinée voit sa crédibilité entachée par des fuites malveillantes émanant du bureau du procureur. Mais personne ne nie qu’elle a subi une violente agression sexuelle. Nous voulons connaître la vérité, nous voulons que la victime comparaisse au tribunal et puisse parler en son nom», annonce cette Coalition.
Bill Perkins, sénateur démocrate africain-américain de l’Etat de New York (qui représente les quartiers de Harlem, Upper West Side et Washington Heights à Manhattan), a adressé le 6 juillet une lettre ouverte à Cyrus Vance. Il regrette de voir les fuites orchestrées par le bureau du procureur faire passer la jeune femme pour une criminelle, alors que son mandat consiste au contraire à la protéger.
Comme si Vance cherchait une «justification pour abandonner prématurément le procès», note Perkins, alors que les preuves médico-légales d’une agression sexuelle existent. Le sénateur termine sa lettre sur une note morale, mais aussi politique et communautaire, qui pourrait marquer un début de mobilisation de la communauté africaine-américaine en faveur de Nafissatou Diallo:
«Selon les mots de l’un des chefs religieux de la communauté africaine, une fille de la Mère Afrique [«Mama Africa» dans le texte, ndlr] a été violée et sa dignité ébranlée… et voilà qu’elle tombe en disgrâce et trouve le déshonneur public par la voie des médias. Pas étonnant, ensuite, que les victimes de viols n’aillent pas porter plainte.»

Des doutes sur la compétence du procureur

De son côté, Kenneth Thompson a écrit le 6 juillet à Cyrus Vance pour lui demander de se dessaisir du procès, au profit d’un procureur «spécial». Une demande un peu vaine, selon les commentateurs judiciaires, mais qui n’aura pas été sans semer le doute dans l’opinion.
Thompson insiste sur le fait qu’une collaboratrice du procureur, Karen Agnifilo, n’est autre que la femme de l’un des avocats travaillant pour le cabinet Brafman & Associates —que s’est choisi DSK pour le défendre. Une information qui ne lui a jamais été transmise directement, regrette-t-il, mais qu’il a obtenue en lisant l’édition du 20 juin du New York Times…
SlateAfrique s’est procuré cette lettre, dans laquelle Kenneth Thompson précise également que Daniel Alonso, l’assistant en chef du procureur, l’a appelé le 30 juin au soir pour lui annoncer la décision de transmettre à la défense de DSK «certaines des fausses déclarations que la victime avait volontairement révélées aux procureurs».
C’est lors de cette conversation que pour la première fois, Kenneth Thompson a été informé de la fameuse conversation en peul qu’a eue Nafissatou Diallo avec un «individu incarcéré, au sujet des bénéfices possibles de poursuivre Mr Strauss-Kahn en justice».
Dans sa lettre, l’avocat de Nafissatou Diallo soupçonne fortement Daniel Alonso d’avoir été à l’origine des fuites dans la presse, les journaux ayant repris mot pour mot ses formules pour résumer la conversation en peul.
Une discussion dont la retranscription en anglais n’est d’ailleurs pour l’instant qu’un brouillon, une transcription détaillée par le traducteur se faisant encore attendre, a appris Kenneth Thompson après avoir demandé à plusieurs reprises qu’on lui transmette cette pièce —qu’il n’avait toujours pas reçue le 6 juillet.
L’avocat de Nafissatou Diallo termine sa lettre en rappelant à Cyrus Vance qu’un de ses collaborateurs, bien qu’ayant crié sur la victime lors d’un entretien avec elle, n’a pas été remercié ni muté, ce qui jette un doute sur la capacité du procureur à assumer son mandat de protection du témoin principal dans cette «affaire DSK».
Sabine Cessou
SlateAfrique

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