Après l’Asie et l’Amérique latine, l’Afrique est devenue une destination privilégiée pour les touristes sexuels, attirés par le laxisme juridique ambiant et des mythes d’une sexualité africaine plus épanouie.
« La réticence à dénoncer le phénomène est motivée par la crainte de ternissement de leur image et la baisse de leurs chiffres d’affaires. »
Les safaris, le soleil, les plages et les paysages tropicaux ne sont plus les seules attractions touristiques en Afrique. A en croire un rapport publié récemment par le réseau africain de l’organisation non gouvernementale ECPAT (End Child Prostitution, Pornography And Trafficking of children for sexual purposes), les touristes sexuels jettent de plus en plus leur dévolu sur le continent, depuis le lancement, au début des années 2000, de plusieurs vagues de répression étatique dans les pays traditionnellement récepteurs de ces globe-trotters du sexe, comme la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam et le Brésil.
« Tomber sur de riches touristes blanches est, pour ces jeunes hommes, un sésame qui permet d’accéder à l’un des quatre V, en l’occurrence villa, voiture, virement et visa. »
L’ONG, qui dispose d’antennes dans quinze pays du continent, estime que le dixième des touristes qui ont visité le continent au cours des cinq dernières années (32 millions en moyenne par an) se sont prêtés au tourisme sexuel. Une estimation qui corrobore les conclusions d’une étude, publiée en 2003 par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), selon lesquelles environ 10% des touristes qui se baladent à travers le monde choisissent leurs destinations en fonction de l’offre qui s’y trouve en matière de sexe.
Intitulé Le tourisme sexuel impliquant les enfants (TSIE), le rapport d’ECPAT révèle également qu’une trentaine de destinations africaines sont concernées par le phénomène. Parmi les pays africains « les plus sexuellement touristiques » figurent la Gambie, le Sénégal, le Kenya, l’Ile Maurice, Madagascar, l’Afrique du Sud, le Bénin, le Maroc, la Tunisie et l’Egypte.
Gigolo, un métier d’avenir sur le continent
Outre le tourisme sexuel impliquant des enfants, qui est en général l’œuvre d’hommes en provenance de l’Europe, des Etats-Unis, du Japon ou encore des monarchies pétrolières du Golfe, l’Afrique est touchée de plein fouet par un nouveau phénomène : la croissance rapide du nombre de femmes occidentales à la recherche d’aventures sexuelles. « Le tourisme sexuel féminin augmente en Gambie et au Sénégal, où les femmes représenteraient jusqu’à 20% des touristes sexuels, contre 5% à 6% dans le reste du monde », indique la sociologue canadienne Mélanie Claude, dans un livre intitulé Prostitution et traite des êtres humains, paru en 2009.
Le sociologue tunisien Mehdi Mabrouk, qui travaille sur les circuits de l’émigration africaine vers l’Europe, estime, de son côté, que le tourisme sexuel féminin touche aussi plusieurs villes touristiques d’Afrique du Nord, comme Marrakech, Agadir (Maroc), Hammamet (Tunisie) ou encore Charm-el-Cheikh et Alexandrie (Egypte). « Au Maghreb, comme en Afrique subsaharienne, la rencontre d’une veille dame qui cherche à fuir la froidure et la solitude en Europe est désormais perçue par les jeunes Africains comme un métier d’avenir », précise-t-il. Et d’ajouter : « Tomber sur de riches touristes blanches venues chercher plus que le soleil, la mer et le sable chaud est pour ces jeunes hommes un sésame qui permet d’accéder à l’un des quatre V, en l’occurrence villa, voiture, virement et visa. »
Laxisme juridique et mythes bien entretenus
L’essor du tourisme sexuel en Afrique s’explique, selon les experts, par la pauvreté endémique qui sévit sur le continent. A la misère affective d’une bonne partie des touristes, qui arrivent la tête pleine de fantasmes et les poches remplies de devises fortes, s’oppose souvent une misère matérielle des jeunes Africains. A cela s’ajoutent des mythes bien entretenus par l’industrie de la pornographie sur la sexualité plus ouverte de la femme africaine ou de l’homme noir, dont le sexe serait surdimensionné. Le principal motif de la ruée des touristes sexuels vers le continent demeure, toutefois, le laxisme juridique ambiant qui y règne. Vu le poids important de l’industrie touristique dans les économies africaines, les pouvoirs publics ferment souvent les yeux sur le phénomène. « La cécité volontaire des autorités locales trouve son origine dans la manne financière de ce nouveau genre de tourisme, qui reste indissociable du tourisme traditionnel. Chez les professionnels du secteur touristique, comme les hôteliers et les gérants des discothèques, la réticence à dénoncer le phénomène est motivée par la crainte de ternissement de leur image et la baisse de leurs chiffres d’affaires », note le représentant d’un tour-opérateur européen au Maghreb.
Jusqu’ici, seuls le Maroc et Madagascar ont introduit dans leurs législations le terme de « tourisme sexuel ». Cinq autres pays ont adopté des plans nationaux de lutte contre le phénomène (Sénégal, Afrique du Sud, Angola, Maurice et Togo). Les autres pays du continent continuent à pratiquer la politique de l’autruche face à un phénomène associé essentiellement à l’Asie.
Du côté des ONG, la principale difficulté réside dans le silence qui entoure le fléau. Dans ces conditions, le tourisme sexuel, considéré comme le troisième commerce illégal à l’échelle mondiale, derrière la drogue et les armes, a encore de beaux jours devant lui en Afrique...
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