jeudi 7 juillet 2011

Côte d'Ivoire: Malgré la fin de la guerre, on achète le cacao à vil prix!

Planteurs ivoiriens brulant leur cacao devant le siège de l
 
Planteurs ivoiriens brulant leur cacao devant le siège de l'Union européenne à Abidjan;
Le 07 juillet 2011 par Notre voie - Dans les zones de production, le cacao se vend à des prix dérisoires, obligeant certains planteurs à la contrebande avec les pays voisins.

Sale temps pour le cacao bord champ ivoirien ! Le kilo s’achète entre 200 et 300 FCFA. Au lieu du prix de 1.100 FCFA fixé sous le régime Gbagbo et qu’aucune décision officielle n’a annulé. 

Dans toutes les zones productrices, le constat est amer. «Quand le Comité de gestion, à l’initiative du Président Laurent Gbagbo, fixait le prix du cacao bord champ à 1.100 FCFA (contre 950 FCFA précédemment) pour la campagne 2010-2011, les gens voyaient en cette décision un acte purement politique. 

Certes, c’est bien la première fois que le prix d’achat bord champ du cacao atteignait un tel niveau. Mais c’était bien par rapport au cours international qui s’était envolé lui aussi jusqu’à 1700 FCFA. Et le Président Gbagbo voulait que les paysans profitent de cette situation et améliorent leur revenu. 

C’est vrai que sur le terrain, le cacao se prenait en fonction de la force de négociations des parties en présence. Il y en a qui vendaient leur cacao autour de 800 FCFA le kilo quand d’autres réussissaient l’exploit d’en tirer plus du prix fixé. Mais aujourd’hui, c’est la catastrophe», explique Kouaho.S., responsable de coopérative dans le Sud-Bandama.

«Catastrophe !», le mot est lâché ! Car c’est à une véritable catastrophe pour le revenu du producteur que nous assistons. «L’information est juste. Il faut préciser qu’avant la crise électorale, le prix bord champ du cacao se négociait à 700 FCFA dans la zone rebelle. 

En zone gouvernementale, à proximité, c’est-à-dire Daloa, Issia, Duékoué, le kilo de cacao se prenait entre 750 et 800 FCFA en fonction de la qualité du produit. Le prix officiel n’était pas toujours respecté, mais on s’en sortait tout de même. 

Actuellement, nous vendons notre cacao entre 200 et 300 FCFA, ici dans la Région des Montagnes.
Au départ, les acheteurs nous disaient que c’était à cause de l’embargo de l’Union européenne et qu’on n’avait pas le choix sinon nos stocks allaient rester entre nos mains. Depuis avril dernier, l’embargo est levé, la pratique n’a pas changé. 

Les acheteurs nous imposent leurs prix. Gare à celui qui va résister, il aura affaire aux Frci qui, en fait, contrôlent la filière ici», témoigne N. M., directeur financier de la CKTM.

P.C., responsable de la coopérative CTCC dans la Moyen-Cavally, renchérit : «On se bat pour qu’on nous achète au moins le cacao à 300 FCFA le kilo. C’est dire que ce n’est pas facile pour nous. Et on ne comprend pas cet acharnement à acheter notre cacao à vil prix. 

Pour cette campagne, le plus riche a touché 1 million FCFA net, là où on se faisait la concurrence entre 8 et 15 millions FCFA selon les saisons. On a l’impression qu’on veut humilier le paysan ivoirien».

Dans l’Indénié et le Zanzan, la situation est relativement bien meilleure. Puisque le cacao se prend à 500 FCFA. «C’est clair que le nouveau régime veut appauvrir davantage les paysans. On nous a imposé l’embargo sur les ports d’Abidjan et de San Pedro pour nous prendre notre cacao à des prix dérisoires. 

Aujourd’hui que l’embargo est levé, pourquoi ne pas acheter le cacao à un prix rémunérateur ? Les multinationales et leurs pendants achètent notre cacao à vil prix pour le revendre aux cours mondiaux. C’est méchant de leur part ! Le cacao est notre seule source de revenu, c’est notre survie qui est en jeu. On passe une année entière dans nos plantations pour récolter des miettes. 

Personnellement, je regrette l’ancien régime. C’est pour éviter toutes ces dérives que le régime précédent avait décidé de prendre le contrôle de la commercialisation. Là, on est sûr que le prix indicatif allait être respecté à la lettre et le paysan pouvait faire ses prévisions budgétaires. Hélas ! », se désole E. E., gros planteur de la région. Il indique, en sus, que les acheteurs ne veulent même plus commercer avec les coopératives. Ils vont directement dans les plantations et négocient avec les propriétaires directement.

Si les multinationales n’ont pas voulu s’expliquer sur le sujet, les petites entreprises exportatrices ont avancé quelques explications. Parmi celles-ci, on retient le coût du racket. «Il y a trop de taxes informelles que rien ne justifie. On paye de l’argent pour avoir un laissez-passer afin de charger nos camions. 

A cela s’ajoutent une taxe à chaque corridor et une taxe qui va jusqu’à 500.000 FCFA pour rallier les ports. Quand on ajoute les frais d’usinage, de conditionnement, le droit unique de sortie, l’entreposage, l’embarquement et le transit, il va de soi qu’il nous est impossible d’acheter le cacao à un prix qui ne nous arrange pas. C’est la loi du marché. On commerce pour faire des bénéfices. 

Que le nouveau régime discipline ses hommes armés et nos charges seront réduites. Alors, on pourra négocier avec les producteurs au mieux de nos intérêts respectifs», explique Issiaka Coulibaly, un opérateur économique de la filière. Et d’ajouter avec un brin d’humour : «On dirait que Kalach est mieux que daba». 

Et un peu plus sérieux : «Le paysan peut s’en sortir si l’Etat réduit la parafiscalité. C’est un vieux débat que tous les régimes précédents n’ont jamais pu trancher ». Un espoir cependant : le ministre de l’Agriculture a annoncé récemment que l’Etat pouvait renoncer au Dus si c’était nécessaire. Il faut donc aller au-delà des intentions.

Ruée vers les pays limitrophes

La conséquence majeure de ces prix d’achat non rémunérateurs, c’est la fuite du cacao ivoirien vers les pays limitrophes.

A l’Est, c’est le Ghana qui reçoit massivement le cacao ivoirien. C’est à une véritable hémorragie de fèves ivoiriennes vers le Ghana à laquelle on assiste du côté de l’Indénié et du Zanzan. 

C’est que dans ce pays, le Cocobod a fixé le prix d’achat du cacao à l’équivalent de 1.100 FCFA «Je ne peux pas dire exactement la quantité qui est sortie vers le Ghana. Je peux te dire avec certitude que beaucoup de camions Kia se sont dirigés vers le Ghana. Ce n’est pas nouveau. 

Mais cette fois, ça dépasse ce qu’on a vu jusque-là en 2004-2005. Ça fonctionne tellement bien surtout que les Frci prennent plaisir au trafic. A partir du moment où chacun en tire profit… », soutient B. K., Pca d’une coopérative.

A l’Ouest, ce n’est un secret pour personne que le cacao de cette région n’est jamais descendu sur Abidjan depuis le début de la rébellion en septembre 2002. Près de 100.000 tonnes de cacao sortent chaque année à destination du Burkina Faso, avant d’être acheminées sur les ports de Lomé au Togo et de Monrovia au Liberia. On annonce également des trafics vers la Guinée pour le port de Conakry.

«Nous sommes préoccupés par l’allure que prend cette fraude. Si on n’y prend garde, la Côte d’Ivoire va perdre sa place de premier pays producteur. C’est une question de statistique. Du point de vue économique, c’est une grande perte pour les caisses de l’Etat en ce moment de vache maigre. Au niveau du Comité de gestion, nous allons faire le point de la situation et rencontrer le ministre.

Les informations que nous avons dans la filière sont alarmantes. En plus de la contrebande des fèves, il se pose le problème d’entretien du verger. Durant la crise, les plantations ont été abandonnées. Jusqu’à aujourd’hui, il y a des planteurs qui n’ont pas accès à leurs plantations, d’autres sont en exil. Si les plantations ne sont pas entretenues, la production ne sera pas efficiente. 

Pis, si une maladie attaque un verger dont le propriétaire est absent, ce sera une catastrophe. Le dossier cacao mérite une attention particulière. C’est la principale recette de l’Etat», indique un membre du Comité de gestion qui a voulu garder l’anonymat (pour des raisons évidentes).

J-S Lia

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