dimanche 5 février 2012

Libye: les pro-Kadhafi sont de retour

De nombreuses informations ont fait état dernièrement d'un renouveau des partisans de Mouammar Kadhafi dans la ville de Bani Walid, à 170 km au sud de Tripoli. Qu’en est-il vraiment?

Un soldat de l'armée libyenne montre un tatouage de Mouammar Kadhafi, le 16 mars 2011. REUTERS/Ahmed Jadallah

«Il est plus facile de faire la guerre que la paix.» Cette maxime de Georges Clemenceau prend aujourd’hui tout son sens au sujet de la situation en Libye. Affaiblissement du CNT, impossibilité de désarmer les milices, affrontements entre tribus rivales, tout concourt à faire du théâtre libyen une zone de chaos en Afrique du Nord.

Confusion entre le CNT et les autorités locales

Lundi 23 janvier, la nouvelle est tombée: Bani Walid est à nouveau entre les mains de partisans de Mouammar Kadhafi. Cette ville, dont les habitants sont majoritairement de la puissante tribu des Warfala, fut avec Syrte et Sabha, l’un des derniers bastions loyalistes lors de la guerre civile.

Ce jour-là, des responsables locaux affirment que des Kadhafistes ont pris le contrôle de la ville aux cris de  «Allah, Mouammar, la Libye, c'est tout», ancien slogan des partisans de l’ancien chef d’Etat libyen. Un jour plus tard, le CNT dément et, dans un commentaire laconique du ministre de l'Intérieur Faouzi Abdelali, explique «qu'il y a des problèmes internes entre les habitants de cette ville, et c'est la raison de ce qui s'est passé».

Alors que Mahmoud al-Warfali, l’un des porte-paroles du conseil militaire de la ville, expliquait que 150 soldats pro-Kadhafi avaient dressé le drapeau vert de l’ancien régime aux porte de la ville, Faouzi Abdelali dément et évoque un différend entre habitants au sujet des compensations destinées aux personnes affectées par la guerre.

Un affrontement entre milices rivales

Sur place, un commandant militaire va dans le sens du gouvernement et explique que la brigade du 28 mai, la katiba régentant Bani Walid, a instrumentalisé la peur du retour des partisans du dictateur déchu afin d’obtenir l’aide du reste des thowars (ex-rebelles) dans un conflit interne.

La plupart des témoignages sur place plaident en faveur d’un affrontement entre milices rivales, la brigade du 28 mai et celle du 93, toutes deux issues de la tribu des Warfala.

Depuis plusieurs semaines, la brigade du 28 mai, rattachée au ministère de la Défense, fait régner un ordre musclé dans la ville, suscitant l’ire d’une partie de la population. Celle du 93 (nommée ainsi en raison du putsch raté de 1993 contre Kadhafi, dans lequel figuraient de nombreux warfalas dont le chef de cette milice, le colonel Salem al-Ouaer) aurait une attitude plus conciliante avec la population, évitant de dénoncer le sentiment pro-Kadhafi de nombreux habitants.

Une population nostalgique et inquiète de l’après-Kadhafi

Car l’ancien bastion kadhafiste, qui n’est tombé que quelques jours avant la mort de l’ancien dictateur, concentre beaucoup de nostalgiques du Guide de la Révolution. «A Bani Walid, 99% de la population aime toujours Mouammar», affirme Boubaker, un étudiant en droit de 24 ans. «Mouammar est dans nos cœurs. Si quelqu'un ici vous dit le contraire, il ment», acquiesce Salaheddine el-Werfelli, 19 ans. «Une révolution? Quelle révolution? Ils représentent peut-être le président français Nicolas Sarkozy ou des pays européens, mais pas la Libye», ajoute-il.

Les violences des derniers jours seraient à attribuer au refus de la brigade du 28 mai de libérer deux proches de la brigade 93 et membres de la tribu des Tlatem, qu'elle avait «enlevés» quelques jours auparavant, alors qu’elle s’était engagée à le faire.

Certaines sources expliquent que ces deux hommes auraient longtemps combattus au sein des troupes de Mouammar Kadhafi au début du conflit. Les affrontements entre les deux brigades rivales ont vu la population soutenir celle de 93 et, pour certains, brandir aux fenêtres des drapeaux verts de l’ancien régime.

Les miliciens de la brigade du 28 mai sont accusés par la population de toutes sortes d'exactions, du vol aux arrestations arbitraires. «J'ai été arrêté à un barrage, ils ont fouillé ma voiture et la mémoire de mon portable. Quand ils ont vu que j'avais des photos de Mouammar dessus, ils l'ont confisqué et m'ont frappé», témoigne Abdelhamid al-Ghariani, 25 ans.

Plus globalement, les Warfala s’inquiètent de leur rôle dans l’après-Kadhafi. Cette tribu est la plus importante de la Libye en terme de nombre et de répartition géographique et compte environ un millions d’habitants.

«Si l'on met en place un système 'un homme, une voix', que cette tribu parvient à s'organiser avec quelques autres (..), les Warfala domineront la vie politique pendant les décennies à venir», confirme Moustafa Fetouri, écrivain et universitaire natif de Bani Walid.

Une représentation égale pour chaque zone administrative du pays avantagerait les régions désertiques faiblement peuplées et à l'inverse, une prime accordée aux centres urbains nuirait aux Warfallah, qui sont disséminés à travers le pays.

Des affrontements amenés à s’intensifier

Les événements de Bani Walid ont donc vu la brigade du 28 mai être chassée de la ville. Le pouvoir est à présent assuré par une coalition militaro-tribale: la brigade du 93, de Salem al-Ouaer et le «Conseil des anciens», formé de dignitaires Warfala. «Les miliciens de la Brigade du 28 mai peuvent revenir, mais seulement à titre individuel et sans leurs armes», a précisé Salem al-Ouaer.

De son côté, la brigade du 28 mai semble vouloir prendre sa revanche et en découdre. «C'est notre droit de retourner à Bani Walid et personne ne peut nous en empêcher», a dit Imbarak al Foutmani depuis son camp installé dans le désert près de Sadada, à une cinquantaine de kilomètres à l'est de Bani Walid.

Selon le milicien, le Premier ministre du gouvernement intérimaire, Abdel Rahim al Kib, lui aurait demandé de retenir ses hommes afin de laisser le temps aux civils de fuir la ville. Avant un terrible affrontement? «Nous avons tous les combattants révolutionnaires avec nous et nous pouvons prendre Bani Walid en quelques heures», explique-t-il.

Plus de 800 hommes seraient regroupés autour de la ville, prêts à attaquer après avoir reçu le renfort d’autres groupes révolutionnaires, avides d’en découdre avec les pro-Kadhafi de Bani Walid, en fait une population lasse des exactions des miliciens.

Le seul moyen pour cette brigade de reprendre puis de conserver le pouvoir à Bani Walid est de continuer à faire peser la menace des pro-Kadhafi et de laisser les armes circuler dans la ville.

On en revient toujours au même problème. Tant que les milices ne seront pas désarmées, les conflits se règleront à la Kalachnikov. De son côté, le CNT apparaît bien trop faible pour faire régner un semblant d’ordre et rassembler la population.

Pis, «le CNT a joué un rôle négatif à Bani Walid. Donner une leçon aux Warfallah serait sanglant et inutile. Les Warfallah ne cèderont jamais, même pas dans un siècle. Ils continueront d'essayer d'asseoir leur propre autorité», dénonce Moustafa Fetouri.

Dès lors comment éviter «l’irakisation» de la Libye ? Reconstruire une armée libyenne semble être une partie de la solution. Cependant, une armée trop nombreuse et trop puissante pourrait vouloir jouer un rôle politique.

Ne pas exclure une partie de la population est une nécessité. Rappelons-nous qu’en Irak, à la chute de Saddam Hussein, l’armée et l’appareil d’Etat avaient été dissous. De même, les membres du parti Baas avaient été empêchés d’exercer un rôle public. Cette politique avait fabriqué des milliers d’insurgés.

Aujourd’hui, les actes de tortures dans les prisons libyennes à l’encontre des pro-Kadhafi, les exactions commises contre certaines populations nostalgiques de la période d’avant la guerre civile renforcent l’impression d’une envie de vengeance de la part de certains miliciens.

Enfin, la question de la gestion de la manne financière sera à suivre de très près. Plus de 200 milliards de dollars auraient été placés à l’étranger par Mouammar Kadhafi. A eux seuls,  les gouvernements français, italiens, britanniques et allemands auraient saisi quelque 30 milliards de dollars. Lorsque ces sommes «reviendront» en Libye, leur redistribution sera à suivre de très près.

De même, les revenus pétroliers promettent d’attirer les convoitises.

Pour Global Witness, une ONG spécialisée dans la lutte contre le pillage des matières premières, la transparence dans le secteur du pétrole est l'une des clés du futur libyen.

Arnaud Castaignet
SlateAfrique

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