Socio-anthropologue, directrice de recherche au CNRS, éditrice et codirectrice de la revue Communications,Nicole Lapierre a notamment publié chez Stock Changer de nom (1995) et Pensons ailleurs (2004).
Dans son dernier ouvrage Causes communes - à noter de suite l’importance du sous-titre ‘Des Juifs et des Noirs’ et non ‘Les Juifs et les Noirs’ -, elle retrace les relations, souvent artistiques, nouées entre des Juifs et des Noirs autour des idéaux de liberté et de dignité tout au long du XXe siècle.
Et le lecteur de s’embarquer pour un grand voyage, de New York à Varsovie, des Antilles à l’Ouzbékistan, de Paris à Harlem ou encore de la Lituanie à l’Afrique du Sud. Nicole Lapierre ne fait pas une critique générale des politiques identitaires, elle s’intéresse à des parcours, des trajectoires, des destins singuliers et exemplaires.
En trois parties (alliances/correspondances/transferts) l’auteur analyse les convergences et les éclairages mutuels. La littérature et les arts fournissent les meilleurs exemples de dialogue culturel, politique ou mémoriel. Le couple formé (notre photo) par les romanciers Simone et André Schwarz-Bart en est un parmi tant d’autres.
Ce livre est placé sous le sceau du partage et de la solidarité. Les affinités électives entre figures de proue (Martin Luther King/Abraham Heschel; Jean-Paul Sartre/Frantz Fanon etc), les soudures amicales (W.E.B. Du Bois/Abraham Cahan), le combat commun (Nelson Mandela/Joe Slovo), les fraternités durables (Albert Memmi/James Badwin), les collaborations (Billie Holiday/Allen Lewis), les soutiens réciproques et les liens indéfectibles ne manquent pas pour qui veut prêter attention aux aventures artistiques et aux luttes politiques d’hier et d’aujourd’hui.
Causes communes prend résolument le contre-pied de la thèse de la « concurrence de victimes » (1). Il n’est pas inutile de souligner que son auteur fait ici oeuvre utile. Son apport est d’autant plus précieux pour nos temps de doute et de discorde. Car, en France par exemple, comme le note le chercheur Eddy Banaré (Université de la Nouvelle Caledonie), « certaines polémiques médiatiques montrent qu’il y a une volonté de mise en tension entre les mémoires de la colonisation, de l’esclavage et de la shoah.
Les provocations de Dieudonné ou les sorties d’Éric Zemmour et d’Alain Finkielkraut montrent bien qu’il y a encore des archétypes du « Noir » et du « Juif » problématiques dans l’espace public, exploités à des fins d’audimat ou par démagogie ».
Pour tourner le dos à ces polémiques, Nicole Lapierre se concentre sur l’essentiel. Mieux, elle jette les bases d’une « anthropologie de l’empathie, sans laquelle il ne saurait y avoir de causes communes, ailleurs comme ici et maintenant » (p. 20). Cette empathie embrasse, on l’a compris, des solidarités fondées sur le respect et la réciprocité.
Nicole Lapierre donne le mot de la fin à Frantz Fanon qui, dans son Peau noire, masques blancs, en appelait aux mêmes élans solidaires : « Pourquoi tout simplement ne pas essayer de toucher l’autre, de sentir l’autre, de me révéler l’autre ? La liberté ne m’est-elle pas donnée pour édifier le monde du Toi ? » (p. 300). A nous de toucher et de sentir, à notre tour, les entours et les contours du Toi. Dans le respect et la réciprocité.
Causes communes. Des Juifs et des noirs, Stock, Paris, 328 p., 21,50 euros.
(1) Le titre de l’ouvrage de Jean-Michel Chaumont, La Concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance (Paris, La Découverte, 1997) a été détourné par divers polémistes. De plus, la « dérive de la concurrence des victimes » reste, nous rappelle Nicole Lapierre, « contestable dans la mesure où elle renvoie dos à dos deux communautés de souffrance, comme s’il s’agissait de groupes homogènes et séparés du reste du monde » (p. 14).
Abdourahman Waberi
SlateAfrique
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