mardi 17 avril 2012

Pour la démocratie, les nouvelles ne sont pas bonnes (2/3)

Spécialiste de l’Afrique, Vincent Hugeux vient de publier un essai Afrique: le mirage démocratique (CNRS Editions). Il jette un regard sans concession sur la démocratisation de l’Afrique. 
Deuxième partie de l’interview.

Des jeunes manifestent leur soutien à la junte putschiste, Bamako, 26 mars 2012 REUTERS/Stringer

Slate Afrique - Ne sommes-nous pas dans le temps court pour analyser l’évolution de la démocratie sur le continent?

Vincent Hugeux - Il y a deux phénomènes pour moi. Si je faisais un livre sur le dysfonctionnement de la démocratieen France, je serai au moins aussi féroce –sinon plus- que ce livre-là. 

Deuxième chose, je pense qu’il y a une accélération objective du temps historique. On parle à une société qui est branchée sur la modernité. Donc il n’y a pas un signe d’équivalence entre le temps d’hier et celui de la maturation démocratique d’aujourd’hui, car on s’adresse à des gens qui ont les codes, la boîte à outils, la culture.

Je nuance ce propos-là et je suis plus sensible à l’attitude critique consistant à dire: «Attendez! Parlons de corruption! Parlons de financement de campagnes électorales!» Est-ce qu’on a beaucoup de leçons à donner là-dessus? Evidemment non. C’est le paradoxe journalistique d’Albert Camus. C’est bien d’avoir une profondeur historique… Mais en même temps, chacun son boulot! Les historiens se trompent beaucoup. Il n’y a pas que les journalistes qui se trompent.

Slate Afrique - Le pessimisme présent dans cet ouvrage ne vient-il pas des moments choisis pour étudier l’Afrique, des moments de crise?

Vincent Hugeux - Moi je me considère, à tort ou à raison, ni comme afro-pessimiste ni afro-optimiste, mais afro-réaliste! Je m’efforce de regarder l’Afrique en face (titre de l’un de ses ouvrages, Armand Colin, 2010). Il m’arrive de raconter de belles histoires d’Afrique.

Et pas seulement par hygiène mentale, mais pour rendre justice à ceux qui se démènent sur ce front-là. Ce n’est jamais le fruit d’un volontarisme disant «Il faut le faire!». Car –je suis navré de le dire– s’agissant du font d’étude de ce bouquin –le fonctionnement de la démocratie–, les nouvelles ne sont pas bonnes.

Ce n’est ni m’enfermer de moi-même, ni enfermer la société africaine dans une sorte de fatalité écrasante que de le dire et de l’écrire. C’est au contraire une manière d’être mieux outillé pour montrer à quel point il n’y a pas de fatalité, à quel point il y a des exemples qui invalident ce regard-là. Que ce soit perçu comme cela, je l’admets volontiers, mais moi, je ne me sens pas pessimiste.

Slate Afrique - Quand on parle du mirage démocratique, les Occidentaux croient-ils vraiment à la démocratie ou se contentent-ils de ce mirage qui les arrange bien ?

Vincent Hugeux
- Je vous rejoins parfaitement sur l’idée que le simulacre est un aller-retour, qu’il n’est pas à sens unique. Le dévoiement des rituels démocratiques d’une part.

Comme les patriarches des indépendances africaines ont été les alliés objectifs d’une conduite néocoloniale, à l’inverse effectivement, beaucoup d’acteurs politiques et économiques occidentaux s’accommodent très bien de cette apparente sécurité où des Etats dits fort essentiellement des Etats despotiques –le Rwanda ou l’Ethiopie dont on nous vante en permanence la magnifique réussite économique mais à quel prix!

Là où tous ces gens se trompent, c’est que si aujourd’hui c’est une garantie de sécurité, à terme, à cause du jeu à mon sens irréversible des sociétés civiles, on demandera des comptes à ceux-là. Ce sont donc toujours des pactes pervers, explicites ou implicites, qui se jouent à deux.

Slate Afrique - Dans le cas de la RDC, citée abondamment dans votre ouvrage, peu d’Occidentaux pensent que Joseph Kabila soit un grand démocrate.

Vincent Hugeux - L’exemple est intéressant. A l’époque chiraquienne, nous nous souvenons que tout le monde nous expliquait qu’il fallait materner en quelque sorte le petit Joseph (Kabila), fragile, dans un pays immense, riche où l’histoire était tumultueuse.

Et voilà que ce petit Joseph est devenu un monstre d’arrogance, en s’adossant sur nos propres turpitudes, sur nos faiblesses. Il a au moins cet instinct politique là.

Deux diplomates m’ont rapporté cette citation: «Si vous continuez à me tanner avec vos histoires de droits de l’homme etc., je vous rappelle que mes amis chinois sont à la porte!» Si tu te plies à ça, tu contribues à la perpétuation de ce rapport de force. Parce que les enjeux notamment d’uranium sont prioritaires maintenant. Il n’y a plus de doctrine. Quand tu as une doctrine qui est adaptable à chaque situation particulière, c’est une absence de doctrine qui est construite!

La Françafrique n’est pas morte, mais elle a mutée, parce que les réalités, les rapports de force, les acteurs ont changé. Il existe donc une version moderniste de la Françafrique.

Slate Afrique - Si le régime de Niamey était menacé, la France interviendrait-elle?

Vincent Hugeux
- Mes interlocuteurs (parmi les autorités françaises) sortiraient le joker ou botteraient en touche… mais ne diraient pas non.

Propos recueillis par Nadéra Bouazza et Pierre Cherruau
SlateAfrique

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