L’histoire fait rire tout le monde, en ce moment, au Cameroun. C’est normal, c’est une bonne blague. Une blague comme seuls les Camerounais savent en inventer. Une blague qui décrit si bien les ressorts de cette société qui semble de plus en plus utiliser la dérision comme exutoire face à toutes les difficultés qu’elle traverse.
Tenez donc! Un gars est en visite chez sa copine, sa «petite», comme on dit là-bas. Le téléphone portable de cette dernière sonne pendant qu’elle est sous la douche. Le nom du correspondant qui s’affiche à l’écran du mobile est EAU. Le gars ne comprend pas bien.
Puis, arrive un second appel. Cette fois-ci, il est affiché ELECTRICITE… Le gars ne comprend toujours rien. Ou plutôt, il commence à se douter de quelque chose de pas très catholique. Et pour en avoir le cœur net, il compose son propre numéro. Et il voit alors s’afficher LOYER… Le gars s’évanouit aussitôt.
Que l’on en rie ou que l’on en pleure, que l’on en soit choqué ou que l’on n’y comprenne rien du tout, cette histoire illustre à merveille les drames que peuvent provoquer le coût de plus en plus élevé de la vie au Cameroun et le chômage massif qui frappe ce pays.
Selon les récentes estimations du Bureau international du Travail (BIT) et du gouvernement camerounais lui-même, les chiffres sont pour le moins catastrophiques: 13,1% de taux de chômage et 75,8% de sous-emploi, sur une population de plus de 20 millions d’habitants, dont un tiers de jeunes de 15 à 34 ans.
Parce que les disparités sont criantes entre l’émergence d’une classe aisée et la paupérisation de la majorité de la population, le coût de la vie est plus qu’exorbitant au Cameroun, où un euro équivaut à 656 francs CFA, et où se nourrir au quotidien est un véritable chemin de croix.
Autant dire qu’il s’agit là, de l’un des maux les plus profonds de la société camerounaise, tant il contribue à brouiller les repères et à perturber les rapports entre les individus. La corruption a été érigée en vertu et le système D en mode de survie.
Dès lors, on comprend que dans le répertoire téléphonique de la «petite» évoquée dans l’histoire que je vous ai racontée au début, figure des noms aussi étranges que EAU, ELECTRICITE ou LOYER… Et si cela se trouve, la liste comporte aussi COIFFURE, COURSES, et tutti quanti.
C’est que, en réalité, ce sont les jeunes femmes camerounaises qui ont le mieux compris le moyen de s’en sortir dans ce contexte socioéconomique difficile. La plupart d’entre elles multiplient les amants, dont chacun a la fonction de satisfaire à un besoin bien précis. Là-bas, on appelle ces jeunes femmes, les «croqueuses»!
Ces dernières ne croient ni en l’amour fou ni à la fidélité. Et leurs amants encore moins, qui savent pertinemment à quoi s’attendre et à quoi ils servent. Sauf, bien sûr, les plus naïfs. Lesquels finissent toujours par s’évanouir lorsqu’ils s’aperçoivent qu’ils ne sont que de simples portefeuilles.
Ainsi va la vie à Douala ou à Yaoundé, les grandes métropoles du pays. Depuis de nombreuses années, c’est la crise et chacun se débrouille comme il peut. Mais dans cette lutte pour la survie, les «petites du Camer‘» sont les plus redoutables.
Dans ces conditions, il vaut mieux ne pas être un «Bamenda», un naïf (Bamenda est le nom de la principale ville du nord-ouest du pays, dont on dit que les ressortissants se font toujours avoir à tous les coups). Parce que les filles du Cameroun, ont «le sang à l’œil». Comprenez, elles n’ont pas froid aux yeux.
Raoul Mbog
SlateAfrique
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