Mardi 2 août 2011
Je sais que pour beaucoup d’Africains, Nelson Mandela est un héros, un grand combattant de la liberté africaine. Des avis que je partageais mais que je ne partage plus aujourd’hui. C’est vraiment par hasard que je me suis intéressé de près au parcours de Nelson Mandela.
En fait, je travaillais sur la situation géopolitique des Grands Lacs africains en général et de notre pays la RD Congo en particulier, situation catastrophique dans laquelle l’Afrique du Sud de Mandela joua un rôle déterminant.
Je ne comprenais pas pourquoi un homme comme Nelson Mandela appuyait l’invasion du Congo-Zaïre décidée à Washington depuis la fin des années 80? Je ne comprenais pas pourquoi ce « grand combattant de la liberté » dans son pays pouvait soutenir le régime des extrémistes tutsis rwandais dans leur macabre démarche dans la région des GL.
J’essayais surtout de comprendre pourquoi l’Afrique du Sud de l’ANC avait endossé le statut de gendarme des intérêts anglo-saxons en Afrique?
Pourquoi cet homme [Nelson Mandela] soutenu par la majorité des pays africains durant la lutte de l’ANC est-il devenu l’élève modèle des puissances occidentales, favorisant la déstabilisation des autres pays africains?
Sachant que les grands médias occidentaux ne s’intéressent presque jamais (si ce n’est que pour diaboliser) aux grands noms de l’histoire africaine, j’étais souvent frappé par l’engouement de l’occident autour de la personne de Mr Mandela.
Pourquoi seulement lui et non Lumumba, Sankara, Nkrumah ou Malcom X? Comme dirait un compatriote sur Facebook, « à qui profite l’histoire? »
Autre chose me troublait aussi : les critiques de son ex-femme et de certains membres de l’ANC à son égard. A l’époque, je prenais cette dame pour une folle. Comment pouvait-elle s’attaquer au « grand Mandela »? Toujours est-il qu’il fallait fouiller un peu plus.
Je ne pouvais pas seulement me contenter de l’histoire officielle que nous savons tous. En enquêtant sur l’implication du Canada dans la déstabilisation de l’Afrique centrale, j’avais fini par comprendre que la vérité n’était pas celle qu’on nous présentait quotidiennement. J’avais réalisé que nous Africains avons un choix : lire l’histoire selon les vues occidentales ou en usant de nos propres lunettes.
En avançant dans mes recherches, j’étais donc de plus en plus convaincu qu’il y avait une supercherie dans la présentation qu’on a toujours fait du président Nelson Mandela. En décryptant le rôle de l’Afrique du Sud dans la déstabilisation de la RDC, j’ai pu mesurer qui était véritablement le « vrai Mandela », celui que peu d’Africains connaissent.
Le grand scientifique Cheik Anta Diop déclarait lors d’une de ses conférences que « l’Afrique devrait, sur des thèmes controversés, être capable d'accéder à la vérité par sa propre investigation intellectuelle et se maintenir à cette vérité jusqu'à ce que l'humanité sache que l'Afrique ne sera plus frustrée, que les idéologues perdront leur temps parce qu'ils auront rencontré des intelligences égales, capables de leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité ».
Dans ce petit papier, je n’ai pas la prétention de tout connaitre, je ne crois pas avoir tout compris, mais j’ai tenté de comprendre l’essentiel, notamment au sujet du parcours de Nelson Mandela, au-delà des idées reçues sur le sujet. Il ne s’agit pas non plus de diaboliser l’homme, mais d’essentiellement étayer des faits.
Dans son article sur « le jugement que nous portons sur Nelson Mandela », notre compatriote Musengeshi Katata souligne, non sans raison, que « Nelson Mandela restera toujours pour nous un grand leader politique, charismatique, digne de notre respect; même si à bien y regarder, un curieux goût d´amertume nous envahit en sachant que les responsables de l´apartheid n´ont pas été traduits en justice. »
Une des meilleures façons de détacher le vrai Mandela historique du mythe de Mandela, crée et entretenu par les médias, observe l’essayiste Ann Talbot, c'est de tenir compte de l'héritage qu'il laisse à l'Afrique du Sud. Même s’il conserve encore une très bonne réputation personnelle, les attentes lumineuses de réformes liées à son accession au pouvoir se sont assombries à mesure que son pays s'est enlisé dans la pauvreté et la criminalité.
Il faut dire que sous la direction du Congrès national africain (African National Congress, ANC), la « nouvelle » Afrique du Sud est loin d’avoir tenu ses promesses sociales, la pauvreté reste endémique et les écarts de revenus démesurés. Selon les données de la Banque Mondiale, le taux d'inégalité entre les revenus en Afrique du Sud fait partie des taux d'inégalité les plus élevés au monde.
Seul le Brésil a un bilan plus négatif. La majorité des Noirs d'Afrique du Sud ne voient toujours pas le bout du tunnel de la pauvreté, en raison d'un chômage galopant dont personne ne prévoit la baisse à court terme».
Depuis 1994, plus 500.000 emplois ont été perdus en Afrique du Sud, avec un taux de chômage estimé au tiers de la population active. Ce niveau est le plus élevé depuis 16 ans, selon les syndicats. D’après le social-démocrate Sampie Terreblanche, doyen des historiens sud-africains spécialistes de l’économie, la stratégie économique de l’ANC a conduit à un creusement des inégalités. Selon lui, « la société sud-africaine s’est restructurée : jadis rigidement divisée sur une base raciale, elle s’est très nettement stratifiée en classes sociales.»
D’aucuns justifient les décisions politiques et économiques de Nelson Mandela (en extension de l’ANC) au nom de la « Realpolitik ». Il fallait, disent-ils préserver la paix et ne pas inquiéter les investisseurs étrangers. L'enthousiasme avec lequel les hommes d'affaires Sud Africains blancs ont adopté l'ANC est souvent attribué au charme personnel et à la sagesse d'homme d'état de Nelson Mandela.
Anthony Sampson, auteur d’une biographie autorisée sur Mandela reconnait volontiers l’échec de la politique sociale de Mandela, mais il le décharge de toute responsabilité, attribuant cet échec aux effets du marché mondial.
Il dépeint le gouvernement de Mandela comme submergé par des forces économiques échappant à son contrôle. Mais la réalité semble bien loin de cette idée très répandue. La vraie question est celle de savoir à qui les politiques de l’ANC profitent-elles?
Peu de personnes savent, par exemple, que Nelson Mandela fut approché par plusieurs hommes d’affaires sud-africains quand il était encore en prison. S’ils l’ont approché, c’est surtout parce que Mandela n'avait jamais été favorable à autre chose qu'à des mesures pro-capitalistes.
Les défenseurs de l'apartheid ont souvent accusé Mandela d'être communiste. La vérité c'est qu'il a toujours été un nationaliste dont l'ambition était de donner aux Africains noirs l'opportunité de devenir capitalistes. C’est l’enrichissement d’une classe des noirs que visait Mandela.
« En 1956, il expliqua que l'intention de l'ANC n'était pas de renverser le capitalisme mais de casser l'emprise des grosses sociétés qui dominaient l'économie sud-africaine.» Ainsi avait-il déclaré : « Le démantèlement et la démocratisation de ces monopoles ouvriront de nouvelles perspectives pour le développement d'une classe bourgeoise non européenne prospère.
Pour la première fois dans l'histoire de ce pays, la bourgeoisie non européenne aura l'opportunité de devenir propriétaire, en son nom propre et de droit, d'usines et de fabriques et en conséquence le commerce et l'entreprise privée prospéreront et s'épanouiront comme jamais auparavant.»
Petite parenthèse : il faut dire que cette vision des choses n’était pas seulement partagée par Mandela, elle animait la plupart des mouvements révolutionnaires africains dont les leaders aspiraient à devenir comme des blancs qu’autre chose.
Tout au long de son incarcération, explique Ann Talbot, Mandela ne cessa d'affirmer que la lutte de l'ANC devait permettre à la classe moyenne noire d'accéder au capital. A la fin des années soixante dix, un débat idéologique virulent se déroula chez les prisonniers de Robben Island concernant la nature de la « Charte pour la Liberté », document résumant les grandes lignes du programme politico-économique de l’ANC.
En opposition à d'autres prisonniers qui affirmaient que la Charte était un document socialiste, Mandela maintenait que son but était d'établir une démocratie bourgeoise et de maintenir le système capitaliste. C'est précisément ce qu'a réalisé son gouvernement.
Cette vision egocentrique et limitée de Mandela impressionnait beaucoup les hommes d’affaires sud-africains. L'agence NAIL (Investissement pour la nouvelle Afrique), soutenue par le gouvernement, a fourni aux hommes d'affaires noirs les capitaux nécessaires pour le rachat de compagnies périphériques aux compagnies minières géantes qui dominent encore l'économie sud-africaine.
Certains responsables du parti cher à Mandela ont été co-optés aux conseils d'administration des principales compagnies avec un joli paquet d'actions en poche, pour les aider à laisser derrière eux la lutte pour la libération. Les principaux décideurs économiques de l’ANC étaient périodiquement transportés vers les sièges sociaux d’organisations internationales comme le FMI et la Banque mondiale.
En 1992, 1993, quelques membres du personnel de l’ANC, dont certains n’avaient aucune connaissance en économie, suivirent des programmes de formation abrégés dans des écoles d’administration étrangères, des banques d’investissement, des groupes de réflexions (Think Tanks) sur la politique économique… Mandela eut droit à une dose particulièrement massive de cette forme élitiste de pression. Le formatage des cerveaux était à son comble.
A l’époque, le Parti national au pouvoir, confronté à la pression internationale, semblait ne plus pouvoir garantir la stabilité politique et économique du pays, si ce n’est au prix d’une répression accrue. Le pays était isolé sur le plan international, les hommes d'affaires sud-africains faisaient pression sur le gouvernement pour parvenir à un accord avec l'ANC.
Au milieu des années 1980, des discussions clandestines débutèrent avec les partis politiques en exil dans le but de préparer l’après-apartheid. En 1985, Gavin Relly, directeur général d'Anglo-American, la plus grande compagnie minière du pays, s'envola pour Lusaka en Zambie, avec un groupe d'hommes d'affaires de premier plan, dans le but de rencontrer les dirigeants de l’ANC. Ils eurent une impression positive de ces derniers.
Selon les propos d'un des hommes d'affaires, « il serait difficile d'imaginer un groupe de gens plus sympathiques et charmants.» Le message était fort. Anthony Sampson fait état de l'évolution des contacts. En 1986, la fondation Rockefeller, David Astor ainsi que Shell, mirent sur pieds le Projet sud-africain pour l'éducation Supérieure afin de préparer la jeune élite de l'ANC aux fonctions gouvernementales et aux affaires.
De son côté, Gold Fields, la compagnie fondée par Cecil Rhodes finança des rencontres secrètes entre intellectuels afrikaners et l'ANC à l'hôtel Compleat Angler, à Henley, dans le comté d'Oxford. La base militante composée de la classe ouvrière noire, laquelle fut indépendante de l’ANC –l’ANC finira par prendre la tête de ce mouvement− ignorait tout des dessous des cartes.
Pour la petite histoire, l’ANC n’avait pas une base aussi forte qu’on ne le croit. Et comme le fit remarquer Sampson, ce ne fut pas l'ANC qui poussa le régime de l'apartheid à la table des négociations mais bien le mouvement de la classe ouvrière noire des townships.
Pendant les troubles qui secouèrent l’Afrique du Sud dans les années 80, plusieurs banques étrangères, convaincues que le gouvernement Botha ne pouvait maitriser la situation, retirèrent leur fric du pays.
Les tenants de l’apartheid avaient réalisé que le régime ne pouvait plus tenir longtemps. L’environnement international de l’époque contribuait aussi à cette situation. L’on s’acheminait vers l’effondrement du mur de la honte et la dislocation de l’Union Soviétique.
Pendant toute cette période, les dirigeants de l’Afrique du Sud aparthedienne furent en contact permanent avec Nelson Mandela. En 1986, par exemple, au plus fort de la crise dans les townships, Mandela rencontra le général Willemse, alors haut responsable des prisons et qu'il avait connu lorsque celui-ci était gouverneur de Robben Island.
Lorsque Mandela fut opéré de la prostate, le ministre de la justice Kobie Coetsee lui rendit visite. Alors que la situation s'aggravait, des responsables afrikaners au sein du régime, tels que Coetsee et Niël Barnard, chef des services secrets, admettaient de plus en plus leur impuissance à défendre l'apartheid à l'aide des forces armées tout en préservant un environnement favorable à l'économie sud- africaine. Ils se tournèrent vers Mandela, celui-ci leur offrant la meilleure garantie pour protéger leurs intérêts.
Lorsque Mandela arrive au pouvoir, les capitalistes de la « nouvelle »Afrique du Sud ne pouvaient que s’en réjouir. Au lieu d’ordonner la nationalisation des mines et des banques tel que prescrit dans la « charte de la liberté » pour laquelle ils s’étaient battus, Mandela et Mbeki rencontrèrent donc périodiquement Harry Oppenheimer, l’ex grand patron des géants miniers Anglo American et De Beers, symboles économiques de l’apartheid.
Peu après les élections de 1994, ils soumirent même le programme économique de l’ANC à l’approbation d’Oppenheimer et y apportèrent des modifications importantes en réponse à ses préoccupations de même que celles d’autres industriels.
Bien plus encore, Mandela prit bien soin, lors de sa première interview en tant que chef de l’Etat, de se distancier publiquement de ses déclarations précédentes en faveur de la nationalisation : « Das nos politiques économiques… il n’y a pas une seule référence à la nationalisation, et ce n’est pas accidentel… ». Tout pour plaire à l’establishment. Et la presse financière au travers du très influent Wall Street journal d’écrire à la suite de ce beau discours: « M. Mandela, depuis quelque temps, s’exprime comme Margaret Thatcher plutôt que comme un révolutionnaire de gauche qu’on avait cru voir en lui. »
La « gentillesse » des dirigeants de la « nouvelle » Afrique du Sud ne rassura pas tout le monde. Le choc économique se poursuivait, le Rand (la monnaie nationale) perdait de sa valeur au jour le jour, sans oublier que l’hémorragie des capitaux se poursuivait à rythme inquiétant.
Pour parer à la situation, Thabo Mbeki (rappelons qu’il a étudié à l’Université de Sussex et a, durant ses années d’exil, gardé des liens étroits avec des hommes d’affaires blancs sud-africains) qui se définit comme un adepte du « Thatcherisme » conseilla à Mandela de couper définitivement les ponts avec la lutte menées autrefois par l’ANC. Il fallait en même temps produire une nouveau programme économique qui rassure tout le monde− entendez les capitalistes et non le petit peuple.
Cette fois, tout se fera dans le plus grand secret. Le programme économique qui allait voir le jour était de loin différent des promesses faites par Mandela à son peuple aux élections de 1994.
A propos des membres de l’équipe, William Gumede, militant de l’ANC de la troisième génération, devenu l’un des journalistes d’enquête les plus respectés d’Afrique du Sud, écrivit : « Tous étaient tenus au secret et, parce qu’on craignait que l’aile gauche n’eût vent du plan Mbeki, la démarche dut entourée d’un voile de mystère.»
Comme l’écrira l’essayiste canadienne Naomi Klein, grande figure de la contestation internationale, « pendant qu’il était soumis à la tyrannie de l’apartheid, l’ANC avait eu recours à une démarche remarquablement participative pour accoucher de la Charte de la Liberté.
Désormais, en vertu du nouvel ordre démocratique, le parti devait dissimuler ses projets économiques à ses propres militants.» Pour l’économiste Sampie Terreblanche, l’ANC, malgré sa brillante victoire politique sur le Parti national, s’est laissé dominer par les milieux d’affaires et économiques.
Les choix économiques et politiques de l’ANC de Mandela eurent des conséquences graves sur la vie des noirs sud-africains. Depuis 1994, le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour a doublé, passant de deux millions à quatre millions en 2006.
Entre 1991 et 2002, le taux de chômage des Noirs dans ce pays a plus que doublé, passant de 23 à 48%. Seulement 5000 des 35 millions des Noirs que compte le pays gagnent plus de 60 000$ par année.
Le nombre des Blancs qui se trouvent dans cette même fourchette salariale est vingt fois plus élevé, et nombreux sont ceux qui gagnent davantage.
Le gouvernement de l’ANC a construit 1, 8 million de logements; pendant ce temps, deux millions de personnes ont été jetées à la rue. Près d’un million de personne ont été expulsées d’exploitations agricoles au cours de la première décennie de la démocratie.
En 2007, une ONG de défense du droit à la terre, l’association Nkuzi, révélait que près de 950 000 travailleurs agricoles avaient été expulsés des fermes commerciales entre 1994 et 2004, soit 200 000 de plus qu’au cours de la décennie précédant la fin de l’apartheid.
Comme conséquence : le nombre de personnes vivant dans les cabanes de fortune a augmenté de 50%. Les revenus des ménages noirs ont chuté de 19 % entre 1995 et 2000, alors que les revenus des ménages blancs ont grimpé de 15 % selon l’agence de recherche pour le développement Id21.
Il en ressort d’une étude menée par la Western Cape University auprès des habitants des Townships noirs du Cap que 76 % des ménages noirs habitant dans cette zone vivent en dessous du seuil de pauvreté (42 $ par mois). Plus de la moitié des ménages n’ont pas de salaires et pour plus d’un tiers, le principal soutien de la famille a perdu son emploi l’année précédente.
Quand il arriva au pouvoir, le président Mandela avait fixé comme objectif de faire récupérer par les Sud-Africains noirs 30 % des terres encore possédées par les Blancs à l’horizon 2014.
Las, en 2008, seulement 4 % des terres, environ 4 millions d’hectares, avaient été redistribuées depuis l’arrivée au pouvoir de l’ANC de Mandela en 1994, ce qui fit dire en septembre 2008 au futur président sud-africain, Jacob Zuma, que « les changements dans la possession des terres n’ont pas modifié les relations sociales et n’ont pas permis de combattre la pauvreté rurale ni de favoriser le développement rural. »
Et Jacob Zuma d’ajouter : « Nous devons donner le pouvoir aux pauvres, grâce à la réforme agraire.» Au-delà des discours convenables, les faits parlent d’eux-mêmes : à ce jour, 90 % des terres appartiennent encore à la minorité blanche.
Contrairement à ce que l’on peut penser de l’héritage Mandela sur le plan de la paix sociale, ce pays est une vraie bombe à retardement. Plus 2500 fermiers blancs ont été assassinés depuis la fin de l’apartheid.
La montée en puissance du jeune Julius Malema, président de l’aile jeunesse de l’ANC (très soutenu par la base, il remet en question « l’héritage » de Mandela tout en louangeant Robert Mugabe) qui n’hésite pas à menacer d’en finir avec les blancs, fait réellement peur. «Nous sommes des combattants de la liberté économique, explique Dumisani Mashimimi, délégué de l’aile jeunesse de l’ANC à Soweto.
Nos frères dorment encore dans des bidonvilles. Nous voulons de l’argent et nous irons le chercher où il est, chez les Blancs.» Depuis 2000, la contestation prend des formes multiples : sociales, comme la création du Forum antiprivatisation ou du Comité de crise de Soweto, ou bien identitaires, comme l’action de la Fédération des associations afrikaners pour la culture et celle du syndicat Solidarité.
Durant toute l’année 2005, des manifestations ont eu lieu contre la corruption et l’insuffisance des services sociaux. Au mois de mars 2006, le ghetto noir de Khutsong, près de Carletonville, dans la province du Nord-Ouest (30 000 habitants), a refusé en masse de voter aux élections locales parce que l’ANC lui a imposé ses candidats.
La contestation se propage au sein même de l’ANC.
L’autorité du président est ouvertement chahutée par la Ligue de jeunesse de l’ANC (cofondée par M. Mandela en 1943) et par la Ligue des femmes de l’ANC. Aux élections locales de mars 2006, des centaines de dissidents se sont présentés pour la première fois contre le parti.
Comme l’écrivit Naomi Klein, «le regard que différents segments de la société sud-africaine portent sur la Charte de la Liberté est peut-être la meilleure illustration des promesses trahies. […] Dans les townships, où le document adopté dans un terrain vague de Kliptown fut, à une certaine époque, synonyme de possibilités électrisantes, les promesses qu’il renferme sont presque trop douloureuse pour qu’on y pense.»
De nombreux sud-africains boycottèrent carrément le 50è anniversaire de la Charte de la Liberté parrainé par le gouvernement. « La charte de la Liberté est encore valable », estime S’bu Zikode, chef de file du mouvement des habitants de bidonvilles de Durban, et d’ajouter sans détour : « Je n’y vois qu’une trahison.»
« Ils ne nous ont jamais libérés, observa Rassool Snyman, militant antiapartheid de longue date.
La chaîne que nous avions au cou, ils l’ont mise à nos chevilles.» Avec bien entendu l’aide de certains des leurs. De quelle « liberté » les Noirs sud-africains peuvent-ils se vanter aujourd’hui? Le réalisme politique implique-t-il qu’on sacrifie l’avenir des siens au nom des intérêts d’une minorité? Est-ce la realpolitik qui a conduit Mandela a joué le sous-traitant des intérêts anglo-saxons en Afrique?
En 2003, lorsqu’il déposa le rapport final de la commission pour la vérité et la réconciliation, Desmond Tutu eut ces paroles pour les journalistes étrangers venus couvrir l’événement : « Comment expliquer qu’une personne noire se réveille aujourd’hui dans un ghetto sordide, dix ans après l’accession du pays à la liberté?
Cette même personne va travailler en ville, où les blancs sont majoritaires et vivent dans des véritables palais. Puis, à la fin de la journée, il retrouve la misère. Franchement, je me demande pourquoi les gens comme lui ne disent pas : “ Au diable la paix. Au diable Tutu et la commission vérité”.»
Mandela a fait de son pays une bombe à retardement. Espérons qu’elle n’aura pas à exploser d’ici là. Entre temps, on se demande finalement à quoi a servi son combat tant vanté par les Africains?
En fait, je travaillais sur la situation géopolitique des Grands Lacs africains en général et de notre pays la RD Congo en particulier, situation catastrophique dans laquelle l’Afrique du Sud de Mandela joua un rôle déterminant.
Je ne comprenais pas pourquoi un homme comme Nelson Mandela appuyait l’invasion du Congo-Zaïre décidée à Washington depuis la fin des années 80? Je ne comprenais pas pourquoi ce « grand combattant de la liberté » dans son pays pouvait soutenir le régime des extrémistes tutsis rwandais dans leur macabre démarche dans la région des GL.
J’essayais surtout de comprendre pourquoi l’Afrique du Sud de l’ANC avait endossé le statut de gendarme des intérêts anglo-saxons en Afrique?
Pourquoi cet homme [Nelson Mandela] soutenu par la majorité des pays africains durant la lutte de l’ANC est-il devenu l’élève modèle des puissances occidentales, favorisant la déstabilisation des autres pays africains?
Sachant que les grands médias occidentaux ne s’intéressent presque jamais (si ce n’est que pour diaboliser) aux grands noms de l’histoire africaine, j’étais souvent frappé par l’engouement de l’occident autour de la personne de Mr Mandela.
Pourquoi seulement lui et non Lumumba, Sankara, Nkrumah ou Malcom X? Comme dirait un compatriote sur Facebook, « à qui profite l’histoire? »
Autre chose me troublait aussi : les critiques de son ex-femme et de certains membres de l’ANC à son égard. A l’époque, je prenais cette dame pour une folle. Comment pouvait-elle s’attaquer au « grand Mandela »? Toujours est-il qu’il fallait fouiller un peu plus.
Je ne pouvais pas seulement me contenter de l’histoire officielle que nous savons tous. En enquêtant sur l’implication du Canada dans la déstabilisation de l’Afrique centrale, j’avais fini par comprendre que la vérité n’était pas celle qu’on nous présentait quotidiennement. J’avais réalisé que nous Africains avons un choix : lire l’histoire selon les vues occidentales ou en usant de nos propres lunettes.
En avançant dans mes recherches, j’étais donc de plus en plus convaincu qu’il y avait une supercherie dans la présentation qu’on a toujours fait du président Nelson Mandela. En décryptant le rôle de l’Afrique du Sud dans la déstabilisation de la RDC, j’ai pu mesurer qui était véritablement le « vrai Mandela », celui que peu d’Africains connaissent.
Le grand scientifique Cheik Anta Diop déclarait lors d’une de ses conférences que « l’Afrique devrait, sur des thèmes controversés, être capable d'accéder à la vérité par sa propre investigation intellectuelle et se maintenir à cette vérité jusqu'à ce que l'humanité sache que l'Afrique ne sera plus frustrée, que les idéologues perdront leur temps parce qu'ils auront rencontré des intelligences égales, capables de leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité ».
Dans ce petit papier, je n’ai pas la prétention de tout connaitre, je ne crois pas avoir tout compris, mais j’ai tenté de comprendre l’essentiel, notamment au sujet du parcours de Nelson Mandela, au-delà des idées reçues sur le sujet. Il ne s’agit pas non plus de diaboliser l’homme, mais d’essentiellement étayer des faits.
Dans son article sur « le jugement que nous portons sur Nelson Mandela », notre compatriote Musengeshi Katata souligne, non sans raison, que « Nelson Mandela restera toujours pour nous un grand leader politique, charismatique, digne de notre respect; même si à bien y regarder, un curieux goût d´amertume nous envahit en sachant que les responsables de l´apartheid n´ont pas été traduits en justice. »
Une des meilleures façons de détacher le vrai Mandela historique du mythe de Mandela, crée et entretenu par les médias, observe l’essayiste Ann Talbot, c'est de tenir compte de l'héritage qu'il laisse à l'Afrique du Sud. Même s’il conserve encore une très bonne réputation personnelle, les attentes lumineuses de réformes liées à son accession au pouvoir se sont assombries à mesure que son pays s'est enlisé dans la pauvreté et la criminalité.
Il faut dire que sous la direction du Congrès national africain (African National Congress, ANC), la « nouvelle » Afrique du Sud est loin d’avoir tenu ses promesses sociales, la pauvreté reste endémique et les écarts de revenus démesurés. Selon les données de la Banque Mondiale, le taux d'inégalité entre les revenus en Afrique du Sud fait partie des taux d'inégalité les plus élevés au monde.
Seul le Brésil a un bilan plus négatif. La majorité des Noirs d'Afrique du Sud ne voient toujours pas le bout du tunnel de la pauvreté, en raison d'un chômage galopant dont personne ne prévoit la baisse à court terme».
Depuis 1994, plus 500.000 emplois ont été perdus en Afrique du Sud, avec un taux de chômage estimé au tiers de la population active. Ce niveau est le plus élevé depuis 16 ans, selon les syndicats. D’après le social-démocrate Sampie Terreblanche, doyen des historiens sud-africains spécialistes de l’économie, la stratégie économique de l’ANC a conduit à un creusement des inégalités. Selon lui, « la société sud-africaine s’est restructurée : jadis rigidement divisée sur une base raciale, elle s’est très nettement stratifiée en classes sociales.»
D’aucuns justifient les décisions politiques et économiques de Nelson Mandela (en extension de l’ANC) au nom de la « Realpolitik ». Il fallait, disent-ils préserver la paix et ne pas inquiéter les investisseurs étrangers. L'enthousiasme avec lequel les hommes d'affaires Sud Africains blancs ont adopté l'ANC est souvent attribué au charme personnel et à la sagesse d'homme d'état de Nelson Mandela.
Anthony Sampson, auteur d’une biographie autorisée sur Mandela reconnait volontiers l’échec de la politique sociale de Mandela, mais il le décharge de toute responsabilité, attribuant cet échec aux effets du marché mondial.
Il dépeint le gouvernement de Mandela comme submergé par des forces économiques échappant à son contrôle. Mais la réalité semble bien loin de cette idée très répandue. La vraie question est celle de savoir à qui les politiques de l’ANC profitent-elles?
Peu de personnes savent, par exemple, que Nelson Mandela fut approché par plusieurs hommes d’affaires sud-africains quand il était encore en prison. S’ils l’ont approché, c’est surtout parce que Mandela n'avait jamais été favorable à autre chose qu'à des mesures pro-capitalistes.
Les défenseurs de l'apartheid ont souvent accusé Mandela d'être communiste. La vérité c'est qu'il a toujours été un nationaliste dont l'ambition était de donner aux Africains noirs l'opportunité de devenir capitalistes. C’est l’enrichissement d’une classe des noirs que visait Mandela.
« En 1956, il expliqua que l'intention de l'ANC n'était pas de renverser le capitalisme mais de casser l'emprise des grosses sociétés qui dominaient l'économie sud-africaine.» Ainsi avait-il déclaré : « Le démantèlement et la démocratisation de ces monopoles ouvriront de nouvelles perspectives pour le développement d'une classe bourgeoise non européenne prospère.
Pour la première fois dans l'histoire de ce pays, la bourgeoisie non européenne aura l'opportunité de devenir propriétaire, en son nom propre et de droit, d'usines et de fabriques et en conséquence le commerce et l'entreprise privée prospéreront et s'épanouiront comme jamais auparavant.»
Petite parenthèse : il faut dire que cette vision des choses n’était pas seulement partagée par Mandela, elle animait la plupart des mouvements révolutionnaires africains dont les leaders aspiraient à devenir comme des blancs qu’autre chose.
Tout au long de son incarcération, explique Ann Talbot, Mandela ne cessa d'affirmer que la lutte de l'ANC devait permettre à la classe moyenne noire d'accéder au capital. A la fin des années soixante dix, un débat idéologique virulent se déroula chez les prisonniers de Robben Island concernant la nature de la « Charte pour la Liberté », document résumant les grandes lignes du programme politico-économique de l’ANC.
En opposition à d'autres prisonniers qui affirmaient que la Charte était un document socialiste, Mandela maintenait que son but était d'établir une démocratie bourgeoise et de maintenir le système capitaliste. C'est précisément ce qu'a réalisé son gouvernement.
Cette vision egocentrique et limitée de Mandela impressionnait beaucoup les hommes d’affaires sud-africains. L'agence NAIL (Investissement pour la nouvelle Afrique), soutenue par le gouvernement, a fourni aux hommes d'affaires noirs les capitaux nécessaires pour le rachat de compagnies périphériques aux compagnies minières géantes qui dominent encore l'économie sud-africaine.
Certains responsables du parti cher à Mandela ont été co-optés aux conseils d'administration des principales compagnies avec un joli paquet d'actions en poche, pour les aider à laisser derrière eux la lutte pour la libération. Les principaux décideurs économiques de l’ANC étaient périodiquement transportés vers les sièges sociaux d’organisations internationales comme le FMI et la Banque mondiale.
En 1992, 1993, quelques membres du personnel de l’ANC, dont certains n’avaient aucune connaissance en économie, suivirent des programmes de formation abrégés dans des écoles d’administration étrangères, des banques d’investissement, des groupes de réflexions (Think Tanks) sur la politique économique… Mandela eut droit à une dose particulièrement massive de cette forme élitiste de pression. Le formatage des cerveaux était à son comble.
A l’époque, le Parti national au pouvoir, confronté à la pression internationale, semblait ne plus pouvoir garantir la stabilité politique et économique du pays, si ce n’est au prix d’une répression accrue. Le pays était isolé sur le plan international, les hommes d'affaires sud-africains faisaient pression sur le gouvernement pour parvenir à un accord avec l'ANC.
Au milieu des années 1980, des discussions clandestines débutèrent avec les partis politiques en exil dans le but de préparer l’après-apartheid. En 1985, Gavin Relly, directeur général d'Anglo-American, la plus grande compagnie minière du pays, s'envola pour Lusaka en Zambie, avec un groupe d'hommes d'affaires de premier plan, dans le but de rencontrer les dirigeants de l’ANC. Ils eurent une impression positive de ces derniers.
Selon les propos d'un des hommes d'affaires, « il serait difficile d'imaginer un groupe de gens plus sympathiques et charmants.» Le message était fort. Anthony Sampson fait état de l'évolution des contacts. En 1986, la fondation Rockefeller, David Astor ainsi que Shell, mirent sur pieds le Projet sud-africain pour l'éducation Supérieure afin de préparer la jeune élite de l'ANC aux fonctions gouvernementales et aux affaires.
De son côté, Gold Fields, la compagnie fondée par Cecil Rhodes finança des rencontres secrètes entre intellectuels afrikaners et l'ANC à l'hôtel Compleat Angler, à Henley, dans le comté d'Oxford. La base militante composée de la classe ouvrière noire, laquelle fut indépendante de l’ANC –l’ANC finira par prendre la tête de ce mouvement− ignorait tout des dessous des cartes.
Pour la petite histoire, l’ANC n’avait pas une base aussi forte qu’on ne le croit. Et comme le fit remarquer Sampson, ce ne fut pas l'ANC qui poussa le régime de l'apartheid à la table des négociations mais bien le mouvement de la classe ouvrière noire des townships.
Pendant les troubles qui secouèrent l’Afrique du Sud dans les années 80, plusieurs banques étrangères, convaincues que le gouvernement Botha ne pouvait maitriser la situation, retirèrent leur fric du pays.
Les tenants de l’apartheid avaient réalisé que le régime ne pouvait plus tenir longtemps. L’environnement international de l’époque contribuait aussi à cette situation. L’on s’acheminait vers l’effondrement du mur de la honte et la dislocation de l’Union Soviétique.
Pendant toute cette période, les dirigeants de l’Afrique du Sud aparthedienne furent en contact permanent avec Nelson Mandela. En 1986, par exemple, au plus fort de la crise dans les townships, Mandela rencontra le général Willemse, alors haut responsable des prisons et qu'il avait connu lorsque celui-ci était gouverneur de Robben Island.
Lorsque Mandela fut opéré de la prostate, le ministre de la justice Kobie Coetsee lui rendit visite. Alors que la situation s'aggravait, des responsables afrikaners au sein du régime, tels que Coetsee et Niël Barnard, chef des services secrets, admettaient de plus en plus leur impuissance à défendre l'apartheid à l'aide des forces armées tout en préservant un environnement favorable à l'économie sud- africaine. Ils se tournèrent vers Mandela, celui-ci leur offrant la meilleure garantie pour protéger leurs intérêts.
Lorsque Mandela arrive au pouvoir, les capitalistes de la « nouvelle »Afrique du Sud ne pouvaient que s’en réjouir. Au lieu d’ordonner la nationalisation des mines et des banques tel que prescrit dans la « charte de la liberté » pour laquelle ils s’étaient battus, Mandela et Mbeki rencontrèrent donc périodiquement Harry Oppenheimer, l’ex grand patron des géants miniers Anglo American et De Beers, symboles économiques de l’apartheid.
Peu après les élections de 1994, ils soumirent même le programme économique de l’ANC à l’approbation d’Oppenheimer et y apportèrent des modifications importantes en réponse à ses préoccupations de même que celles d’autres industriels.
Bien plus encore, Mandela prit bien soin, lors de sa première interview en tant que chef de l’Etat, de se distancier publiquement de ses déclarations précédentes en faveur de la nationalisation : « Das nos politiques économiques… il n’y a pas une seule référence à la nationalisation, et ce n’est pas accidentel… ». Tout pour plaire à l’establishment. Et la presse financière au travers du très influent Wall Street journal d’écrire à la suite de ce beau discours: « M. Mandela, depuis quelque temps, s’exprime comme Margaret Thatcher plutôt que comme un révolutionnaire de gauche qu’on avait cru voir en lui. »
La « gentillesse » des dirigeants de la « nouvelle » Afrique du Sud ne rassura pas tout le monde. Le choc économique se poursuivait, le Rand (la monnaie nationale) perdait de sa valeur au jour le jour, sans oublier que l’hémorragie des capitaux se poursuivait à rythme inquiétant.
Pour parer à la situation, Thabo Mbeki (rappelons qu’il a étudié à l’Université de Sussex et a, durant ses années d’exil, gardé des liens étroits avec des hommes d’affaires blancs sud-africains) qui se définit comme un adepte du « Thatcherisme » conseilla à Mandela de couper définitivement les ponts avec la lutte menées autrefois par l’ANC. Il fallait en même temps produire une nouveau programme économique qui rassure tout le monde− entendez les capitalistes et non le petit peuple.
Cette fois, tout se fera dans le plus grand secret. Le programme économique qui allait voir le jour était de loin différent des promesses faites par Mandela à son peuple aux élections de 1994.
A propos des membres de l’équipe, William Gumede, militant de l’ANC de la troisième génération, devenu l’un des journalistes d’enquête les plus respectés d’Afrique du Sud, écrivit : « Tous étaient tenus au secret et, parce qu’on craignait que l’aile gauche n’eût vent du plan Mbeki, la démarche dut entourée d’un voile de mystère.»
Comme l’écrira l’essayiste canadienne Naomi Klein, grande figure de la contestation internationale, « pendant qu’il était soumis à la tyrannie de l’apartheid, l’ANC avait eu recours à une démarche remarquablement participative pour accoucher de la Charte de la Liberté.
Désormais, en vertu du nouvel ordre démocratique, le parti devait dissimuler ses projets économiques à ses propres militants.» Pour l’économiste Sampie Terreblanche, l’ANC, malgré sa brillante victoire politique sur le Parti national, s’est laissé dominer par les milieux d’affaires et économiques.
Les choix économiques et politiques de l’ANC de Mandela eurent des conséquences graves sur la vie des noirs sud-africains. Depuis 1994, le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour a doublé, passant de deux millions à quatre millions en 2006.
Entre 1991 et 2002, le taux de chômage des Noirs dans ce pays a plus que doublé, passant de 23 à 48%. Seulement 5000 des 35 millions des Noirs que compte le pays gagnent plus de 60 000$ par année.
Le nombre des Blancs qui se trouvent dans cette même fourchette salariale est vingt fois plus élevé, et nombreux sont ceux qui gagnent davantage.
Le gouvernement de l’ANC a construit 1, 8 million de logements; pendant ce temps, deux millions de personnes ont été jetées à la rue. Près d’un million de personne ont été expulsées d’exploitations agricoles au cours de la première décennie de la démocratie.
En 2007, une ONG de défense du droit à la terre, l’association Nkuzi, révélait que près de 950 000 travailleurs agricoles avaient été expulsés des fermes commerciales entre 1994 et 2004, soit 200 000 de plus qu’au cours de la décennie précédant la fin de l’apartheid.
Comme conséquence : le nombre de personnes vivant dans les cabanes de fortune a augmenté de 50%. Les revenus des ménages noirs ont chuté de 19 % entre 1995 et 2000, alors que les revenus des ménages blancs ont grimpé de 15 % selon l’agence de recherche pour le développement Id21.
Il en ressort d’une étude menée par la Western Cape University auprès des habitants des Townships noirs du Cap que 76 % des ménages noirs habitant dans cette zone vivent en dessous du seuil de pauvreté (42 $ par mois). Plus de la moitié des ménages n’ont pas de salaires et pour plus d’un tiers, le principal soutien de la famille a perdu son emploi l’année précédente.
Quand il arriva au pouvoir, le président Mandela avait fixé comme objectif de faire récupérer par les Sud-Africains noirs 30 % des terres encore possédées par les Blancs à l’horizon 2014.
Las, en 2008, seulement 4 % des terres, environ 4 millions d’hectares, avaient été redistribuées depuis l’arrivée au pouvoir de l’ANC de Mandela en 1994, ce qui fit dire en septembre 2008 au futur président sud-africain, Jacob Zuma, que « les changements dans la possession des terres n’ont pas modifié les relations sociales et n’ont pas permis de combattre la pauvreté rurale ni de favoriser le développement rural. »
Et Jacob Zuma d’ajouter : « Nous devons donner le pouvoir aux pauvres, grâce à la réforme agraire.» Au-delà des discours convenables, les faits parlent d’eux-mêmes : à ce jour, 90 % des terres appartiennent encore à la minorité blanche.
Contrairement à ce que l’on peut penser de l’héritage Mandela sur le plan de la paix sociale, ce pays est une vraie bombe à retardement. Plus 2500 fermiers blancs ont été assassinés depuis la fin de l’apartheid.
La montée en puissance du jeune Julius Malema, président de l’aile jeunesse de l’ANC (très soutenu par la base, il remet en question « l’héritage » de Mandela tout en louangeant Robert Mugabe) qui n’hésite pas à menacer d’en finir avec les blancs, fait réellement peur. «Nous sommes des combattants de la liberté économique, explique Dumisani Mashimimi, délégué de l’aile jeunesse de l’ANC à Soweto.
Nos frères dorment encore dans des bidonvilles. Nous voulons de l’argent et nous irons le chercher où il est, chez les Blancs.» Depuis 2000, la contestation prend des formes multiples : sociales, comme la création du Forum antiprivatisation ou du Comité de crise de Soweto, ou bien identitaires, comme l’action de la Fédération des associations afrikaners pour la culture et celle du syndicat Solidarité.
Durant toute l’année 2005, des manifestations ont eu lieu contre la corruption et l’insuffisance des services sociaux. Au mois de mars 2006, le ghetto noir de Khutsong, près de Carletonville, dans la province du Nord-Ouest (30 000 habitants), a refusé en masse de voter aux élections locales parce que l’ANC lui a imposé ses candidats.
La contestation se propage au sein même de l’ANC.
L’autorité du président est ouvertement chahutée par la Ligue de jeunesse de l’ANC (cofondée par M. Mandela en 1943) et par la Ligue des femmes de l’ANC. Aux élections locales de mars 2006, des centaines de dissidents se sont présentés pour la première fois contre le parti.
Comme l’écrivit Naomi Klein, «le regard que différents segments de la société sud-africaine portent sur la Charte de la Liberté est peut-être la meilleure illustration des promesses trahies. […] Dans les townships, où le document adopté dans un terrain vague de Kliptown fut, à une certaine époque, synonyme de possibilités électrisantes, les promesses qu’il renferme sont presque trop douloureuse pour qu’on y pense.»
De nombreux sud-africains boycottèrent carrément le 50è anniversaire de la Charte de la Liberté parrainé par le gouvernement. « La charte de la Liberté est encore valable », estime S’bu Zikode, chef de file du mouvement des habitants de bidonvilles de Durban, et d’ajouter sans détour : « Je n’y vois qu’une trahison.»
« Ils ne nous ont jamais libérés, observa Rassool Snyman, militant antiapartheid de longue date.
La chaîne que nous avions au cou, ils l’ont mise à nos chevilles.» Avec bien entendu l’aide de certains des leurs. De quelle « liberté » les Noirs sud-africains peuvent-ils se vanter aujourd’hui? Le réalisme politique implique-t-il qu’on sacrifie l’avenir des siens au nom des intérêts d’une minorité? Est-ce la realpolitik qui a conduit Mandela a joué le sous-traitant des intérêts anglo-saxons en Afrique?
En 2003, lorsqu’il déposa le rapport final de la commission pour la vérité et la réconciliation, Desmond Tutu eut ces paroles pour les journalistes étrangers venus couvrir l’événement : « Comment expliquer qu’une personne noire se réveille aujourd’hui dans un ghetto sordide, dix ans après l’accession du pays à la liberté?
Cette même personne va travailler en ville, où les blancs sont majoritaires et vivent dans des véritables palais. Puis, à la fin de la journée, il retrouve la misère. Franchement, je me demande pourquoi les gens comme lui ne disent pas : “ Au diable la paix. Au diable Tutu et la commission vérité”.»
Mandela a fait de son pays une bombe à retardement. Espérons qu’elle n’aura pas à exploser d’ici là. Entre temps, on se demande finalement à quoi a servi son combat tant vanté par les Africains?
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