Il a fallu 51 ans à la Belgique pour reconnaître que ses juridictions sont compétentes pour se saisir du dossier de l’assassinat en janvier 1961 du premier ministre Patrice-Emery Lumumba.
Se basant sur sa propre loi dite de compétence universelle promulguée 1993, le parquet fédéral belge a donné le feu vert pour qu’une enquête judiciaire sur l’assassinat du tout premier Premier ministre congolais soit ouverte.
Cette loi, en effet, autorise la justice belge à engager des poursuites contre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide même lorsque ces crimes ont été perpétrés hors du territoire belge.
Or selon la lecture qu’elle en a faite et au regard des faits soumis à son appréciation par la partie civile, notamment la famille Lumumba, la Chambre de mise en accusation de Bruxelles a conclu que l’assassinat du premier ministre Lumumba constituait un crime de guerre. Et ce, parce qu à l’epoque des faits, le Congo était en proie à un grave conflit armé que la Chambre a apparenté à une guerre.
Mises à part les précisions portant sur le lieu et la date du crime, et probablement les acteurs politiques congolais qui avaient pris une part active dans l’ignoble assassinat du premier ministre du fait des rancunes tenaces qu’ils nourrissaient à son endroit, rien sur l’implication du gouvernement et des personnalités belges n’est établi de manière irréfutable dans ce dossier de la mort de Lumumba.
D’où la satisfaction avec laquelle partout à travers le monde, et au Congo en particulier, a été accueillie la compétence juridictionnelle belge sur cette affaire.
Mais si on doit saluer la décision de la justice belge comme ouvrant éventuellement la voie vers le rétablissement des responsabilités individuelles belges et l’éclaircissement de toutes les zones d’ombre autour de la tragique disparition du héros national congolais, il y a lieu cependant de déplorer le fait que, intervenant en retard, elle soit en définitive un dénie maquillé de justice pour les victimes, à savoir la famille Lumumba et le peuple Congolais tout entier.
Pourquoi ?
Parce que cette enquête annoncée va intervenir plus de cinquante ans après la commission du crime qui avait coûté la vie au premier ministre Lumumba et à ses deux compagnons d’infortune.
De ce point de vue ce retard est déjà attentatoire à l’éclosion de la vérité et surtout à l’application des peines susceptibles d’être prononcées à charge des prévenus reconnus coupables.
Aujourd’hui sont en vie seulement 8 citoyens belges ayant eu des rapports directs ou indirects avec ce dossier, soit à titre d’ancien policiers, soit celui d’anciens politiciens, soit encore d’anciens diplomates accrédités au Katanga. Autant dire des seconds couteaux qui doivent avoir agi sur ordre (même si cette qualité n’enlève rien à l’intérêt que la justice aurait à les interroger).
Beaucoup de témoins et de potentiels prévenus de première importance dans ce dossier pénal ne sont plus en vie. Par conséquent des faits importants susceptibles de figurer au dossier y seront manquants.
Et seront absents des boxes des accusés des personnalités de première importance pour avoir joué des rôles prépondérants dans la conception, la planification et l’exécution du crime.
Bien plus grave, ces personnalités, même une fois reconnues coupables à titre posthume, auront échappé à la justice, ayant emporté dans le morne silence de leurs tombes aussi bien leurs secrets que leur triste joie d’avoir tué un homme, avec en prime, l’assurance de se soustraire à jamais au devoir de purger leur peine.
Cette seule évidence de voir des auteurs intellectuels d’un crime aussi crapuleux que celui- ci échapper à la rigueur de la loi, du fait d’un écoulement démesuré du temps et d’une amnésie suspecte de l’appareil judiciaire, impose à tout esprit épris de justice un scepticisme quant à la finalité de la justice annoncée.
Une justice intentionnellement retardée, ou rendue longtemps après que ceux qui doivent y répondre soient déjà morts, ne devrait pas être considérée comme une justice. Elle est tout au plus une mauvaise justice parce qu’inutile et nullement distributive.
C’est tout simplement un dénie de justice. Et là elle donne tout le sens à cette affirmation de Stanislav Jerzy Lee : « le bourreau porte généralement un masque : celui de la justice ».
La seule question qu’on doit à ce stade se poser pour mieux saisir cette proposition est celle-ci : pourquoi la justice belge a t-elle attendu si longtemps avant de se prononcer sur la recevabilité du dossier Lumumba si ce n’était pas pour mettre à l’abri des poursuites judiciaires des potentiels justiciables qu’elle a cru être de son intérêt à protéger ?
Le peu d’empressement que les grand places du droit international réservent chaque fois qu’il s’agit de rendre justice aux Congolais procède de la même logique de « protéger » des coupables, c’est-à-dire des hommes et des femmes en Afrique et en occident qui sont à la base des massacres qui se déroulent dans ce pays. Cette justice à double ou triple vitesse est tout simplement inadmissible et insupportable.
En effet, victimes d’arbitraires de tous genres, des massacres de ses populations, des viols et des dénies de droit, les Congolais réclament en vain justice depuis un peu plus de quinze ans.
Voilà en effet depuis 1996 que des troupes régulières des pays voisins ainsi que des hordes en leur provenance organisées, équipées, et téléguidées par des puissants lobbies politico-financiers des pays occidentaux déciment impunément des populations congolaises.
Pour toute réponse, on leur fait comprendre qu’ils doivent se contenter des larmes de crocodiles que déversent sur leurs chevets les délégués des nations unies ou des puissances internationales.
Pourtant plus de 6.000.000 millions des Congolais sont reconnus par toutes les agences de l’Onu et les ONG internationaux comme ayant perdu la vie du fait de ces dénies de droits : faudra t-il attendre 50 ou 60 ans plus tard pour enfin, tels les Belges dans le dossier Lumumba, décider se donner ainsi bonne conscience en ouvrant une enquête tardive pour établir des responsabilités individuelles mais posthume dans ce pogrom congolais ?
La communauté internationale avait enquêté sur l’holocauste et jugé à Nuremberg ses auteurs (matériels et intellectuels) quelques années seulement après la seconde guerre mondiale: soit du vivant de tous les potentiels coupables de ces crimes ignobles.
Est-ce probablement parce que les grandes puissances occidentales étaient certaines que personne d’entre leurs dirigeants politiques n’y était ni de près ni de loin complice ?
En est-il de même des crimes imprescriptibles qui se commettent en RD Congo ? Non. Car des leaders politiques encore en vie des grandes puissances sont pleinement impliqués dans le massacre des congolais, au nom des mêmes intérêts mesquins pour lesquels leurs prédécesseurs assassinèrent Lumumba.
A travers des sous-traitants africains, des hommes politiques à Washington, Londres et Bruxelles ont participé aux massacres, aux pillages, aux viols et aux conscriptions des mineurs dans des groupes armés, se rendant impunément coupables des crimes du ressort du droit pénal international parce qu’ils incluent des crimes humanitaires et des crimes de guerre.
Cette justice à deux vitesses est condamnable. La combattre doit aller de paire avec le combat de libération de notre pays d’un pouvoir d’occupation qui s’en nourrie et s’en justifie, trouvant son réconfort dans ce constat de Blaise Pascal : «Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force ».
Londres, le 15 décembre 2012
GUILLAUME AMISI KILOSHO
Secrétaire national Exécutif chargé
de la Presse et de la Communication
au sein de l’APARECO
L’ŒIL DU PATRIOTE
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