L’histoire de ce groupe congolais, qui est passé de la rue à la célébrité mondiale, est celle d’un malentendu culturel qui a fini en amertume financière.En 2007, Staff Benda Bilili jouait devant un public de vautours et de primates dans le zoo de Kinshasa, en République démocratique du Congo.
Le groupe n’avait jamais quitté le pays et cet endroit était leur « salle de répétition ». La plupart des membres dormaient soit dans des cartons soit dans des refuges décrépits pour handicapés et joignaient les deux bouts en faisant la manche ou en vendant des cigarettes dans la rue.
En décembre dernier, le groupe jouait en tête d’affiche au Royal Albert Hall de Londres: la consécration, après quatre ans de tournée mondiale (plus de 400 concerts). De retour chez eux, ils ont acheté des maisons, des voitures, des vêtements et même un hôtel.
Un documentaire, « Benda Bilili », retraçant leur parcours extraordinaire, a été réalisé. Leur succès est d’autant plus fantastique que plusieurs membres du groupes sont atteints de polio.
Depuis, le chanteur et compositeur Coco Ngambali, ainsi que le chanteur Théo Ntsituvuidi, ont quitté le groupe et une tournée européenne, prévue pour les mois de mars et avril, a été annulée. Alors que s’est-il passé?
Michel Winter, ex-manager du groupe, qui a récemment jeté l’éponge également avait écrit: « Le succès foudroyant du groupe (Womex Award, Festival de Cannes, standing ovations etc..) a fait imaginer à certains membres que tout coulerait de source, que l’argent coulerait à flot, perception nourrie par la gourmandise de personnes qui ne connaissent rien à l’industrie du disque mais sont toujours là pour donner de ‘bon conseils’ ». M. Winter, vétéran du management de groupes de musique du monde, (il fut le manager du groupe rom « Taraf de Haïdouks », et de la formation congolaise « Konono N°1″) a embauché les musiciens sans signer de contrat.
Une erreur peut-être, mais facilement faite, même quand on est de bonne foi. En effet, travailler avec les autorités, passer par la corruption pour obtenir des passeports et des visas, faire voyager huit musiciens congolais à travers le monde, dont quatre en fauteuil roulant et un en béquille, persuader les organisateurs de s’adapter à leur handicap, gérer les flux d’argent et faire face à des défis au quotidien, rendent difficile la perfection procédurielle.
Les vrais problèmes semblent coïncider avec l’arrivée de Maurice Ilunga, homme politique congolais vivant à Paris. A la demande du leader du groupe, Ricky Likabu, M. Ilunga a mis en place une ONG du nom de Staff Benda Bilili en 2010 afin de prélever une partie des revenus du groupe pour les reverser à des associations caritatives de Kinshasa.
L’idée a été approuvée par tous les membres. Florent de la Tullaye, co-réalisateur du documentaire Benda Bilili a déclaré: « Il était bon d’avoir quelqu’un pour les conseiller dans leur langue. L’ONG était très importante. Ricky en parlait depuis longtemps. C’était vraiment quelque chose qui lui tenait à coeur ».
Où passe l’argent?
Cependant, à mesure que leur succès s’accélérait, M.Likabu soupçonnait de plus en plus que le groupe ne percevait pas son dû. La vérité est que l’industrie du disque occidentale n’en a que faire des néophytes, en particulier lorsqu’il s’agit d’une culture complètement différente et d’une autre langue.
Comment peut-on expliquer qu’alors qu’une salle de concert paye une belle somme pour programmer un groupe tel que Staff Benda Bilili, moins de la moitié finit dans les poches des musiciens?
Le reste est « mangé » par les coûts de transport, les indemnités journalières, la commission du manager, la commission de l’agent, l’assurance, les taxes, les salaires du personnel etc…
Le manager doit bien vivre. L’agent de booking doit bien vivre. L’équipe doit bien vivre. Les musiciens doivent être transportés, logés, nourris. Il faut croire que l’Occident « mange » l’argent différemment que l’Afrique.
Et comment explique-t-on que personne ne soit jamais payé pour la promotion? Où que le groupe soit moins bien rémunéré lorsqu’il joue dans un pays où il est moins connu, que le téléchargement illégal ait tué l’industrie du disque et que les ventes de disques soient infiniment moindre qu’il y a 10 ans?
Ou encore que le succès est relatif ? En effet, bien que Staff Benda Bilili ait reçu des standing ovations partout dans le monde, il ne joue et ne jouera jamais dans la même catégorie que Rihanna ou Emeli Sandé étant donné que leur musique est « ciblée » et qu’ils chantent dans une langue étrangère. Comment expliquer tout cela ?
Pour qui se prennent-ils?
Cela semble avoir déconcerté M.Likabu mais aussi M.Ilunga, qui n’avaient pas d’expérience dans l’industrie du disque. Ricky Likabu a écouté M.Ilunga et s’est mis à accuser M.Winter, le manager, d’actes délictueux. M.Ilunga aurait contacté les promoteurs pour savoir combien le groupe était payé.
Ceux-ci auraient ensuite contacté l’agent du goupe, Yorrick Benoist (Run Productions) pour demander « pour qui M.Ilunga se prenait ». Il aurait agit comme le manager du groupe, amassant les demandes de concerts et aurait empressé M.Likabu de prendre le relai.
Le groupe gagnait bien, mais ce n’était pas assez. Chaque musicien devait subvenir aux besoins de nombreuses personnes, que ce soit la famille ou les amis. Ils étaient également conscients que le succès était arrivé tard et que le temps leur était compté.
De là est né un sentiment d’urgence, en même temps que les suspicions et les machinations. L’esprit de solidarité et d’harmonie qui prévalait au départ commençait à tourner au vinaigre.
Contacté par le Guardian, M.Ilunga s’est montré agacé. Au départ il a nié le fait que M.Ngambali et M.Ntsituvuidi avaient quitté le groupe et que la prochaine tournée européenne avait été annulée.
« Le groupe n’est au courant de rien. Personne ne les informe », a-t-il déclaré. « Ils ne sont pas non plus payés. Les salaires de 40 concerts en Europe et aux Etats-Unis prestés en 2012 n’ont pas encore été réglés au groupe. Et peut-on me dire où est le contrat? Personne ne travaille sans contrat dans l’industrie du disque ! ».
Toutes ces accusations sont rejetées par M.Winter et M.Benoist. « Le groupe a été payé pour ces concerts. C’est juste que, comme convenu avec eux, leurs salaires étaient moins élevés que d’habitude étant donné que les cachets étaient moindres, particulièrement aux Etats-Unis où Staff Benda Bilili n’était pas tellement connu », insiste M.Winter. Il a également déclaré qu’ils avaient été suffisamment informés. « Après est-ce qu’ils ont entendu ces informations, c’est un autre problème ».
Qu’en est-il du contrat?
M.Winter maintient avoir proposé un contrat de management au groupe mais indique que M.Likabu avait refusé de le signer en voyant qu’il était au nom de tous les membres du groupe (et non au sien uniquement).
Il semble que le stress ait rendu M.Likabu impatient et arrogant: M.Ngambali et M.Ntsituvuidi ont commencé à en avoir assez de l’ambiance qui régnait. M. Ilunga a organisé un voyage désastreux aux Antilles, où le groupe s’est fait arnaquer et n’avait même plus de quoi payer le billet retour ou l’hôtel. Ils ont accusé M.Winter, bien que ce dernier avait conseillé au groupe de ne pas faire le déplacement.
Il s’était rendu à Kinshasa pour calmer la situation et arranger le problème du contrat. M.Likabu ainsi que quelques membres du groupe l’ont attaqué en le traitant de « mauvais colon belge, maître d’esclaves et usant du fouet » et ont exigé de l’argent supplémentaire pour les tournées précédentes. M.Likabu a décidé de ne plus travailler avec M.Winter, ce qui a entraîné le départ de M. Ngambali et de M. Ntsituvuidi.
C’était en janvier dernier. Quelques jours plus tard, Run productions a annulé la tournée européenne. M. Ngambali a confirmé la nouvelle au Guardian. Il a bel et bien quitté le groupe. Et M. Ntsituvuidi aussi. Pourquoi? « Mauvaise gestion », a-t-il répondu. Il ajoute qu’il a déjà formé un nouveau groupe avec M. Ntsituvuidi et le percussioniste Cubain Kabeya. « On est en train de répéter là ».
Staff Benda Bilili n’est donc plus. Le pire dans cette histoire est qu’elle ne fait que confirmer un modèle établi depuis longtemps. Elle rappelle les problèmes de management rencontrés par le groupe touareg Tinariwen.
Les groupes arrivent d’Afrique avec de grands espoirs. Ils voient le succès dans les applaudissements du public mais la récompense financière rêvée reste insaisissable, absorbée par des coûts inévitables. La suspicion monte, les collaborateurs sont accusés, les amitiés tournent au vinaigre et la triste et dure réalité surgit : l’Europe ne les rendra pas extrêmement riches. Elle leur permettra, avec un peu de chance, de vivre de leur musique.
Direct!cd
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