vendredi 31 mai 2013

République Démocratique du Congo, terre mutilée


PAYS N’AYANT PAS DÉCIDÉ DE SON SORT SCELLÉ LORS DE LA CONFÉRENCE DE BERLIN EN 1885, SOUMIS AU POUVOIR BELGE JUSQU’EN 1960 MAIS QUI DEMEURE SOUS LA PERFUSION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE, PORTANT LES SÉQUELLES DES TENSIONS DE LA RÉGION DES GRANDS LACS, ET VICTIME DE L’ATTRAIT INTERNATIONAL, NOTAMMENT POUR SES RESSOURCES NATURELLES…

A QUOI RESSEMBLE LE CONGO D’AUJOURD’HUI ?

L’HISTOIRE D’UN BOUC-ÉMISSAIRE

En 1960, le Congo obtient son indépendance et élit son premier leader, Patrice Lumumba, qui sera aussitôt assassiné en 1961. Rebondissement qui permet l’instauration d’une dictature trois décennies durant (1965-1997) sous Joseph-Désiré Mobutu, la République Démocratique du Congo prenant alors le nom de République du Zaïre.

Revenir sur le passé du Congo ne peut pas se faire sans évoquer le conflit de la région des Grands Lacs.

En effet dès 1994, la communauté internationale a échoué pour stopper le génocide du Rwanda. Des centaines de militaires rwandais, dans un premier temps bien accueillis et entretenant des relations apaisées avec la population locale, ont alors traversé la frontière et sont arrivés au Congo, par peur des représailles des rebelles tutsis qui avaient pris le pouvoir au Rwanda.

Ces derniers étaient cachés parmi des millions de réfugiés civils Hutu, essayant d’échapper aux violences de leur pays.



Puis entre 1996 et 2003 (date des accords de paix réguliers, qui ne sont pas appliqués pour autant), la RDC doit affronter la guerre face à l’invasion, soutenue de l’extérieur du pays par le Rwanda et l’Ouganda. Au gré des intérêts du moment, des alliances se font et se défont entre les militaires des trois pays, tout au long du conflit.

Les soldats ougandais et rwandais viennent des villages voisins pour s’approprier la terre et ses richesses naturelles, convaincus pour certains que la région Est du Congo leur appartient déjà. Les rebelles pillent les villages, tuent impunément, violent les femmes comme stratégie de guerre, déstabilisant ainsi l’ensemble de la communauté.



ETATS-UNIS : LES MAINS SALES?

L’on oublie souvent que les Etats-Unis ont joué un rôle prépondérant dans le conflit entre le Congo et le Rwanda. Que ce soit par la livraison d’armes pour soutenir l’armée rwandaise ou par l’envoie de personnes sur place pour entraîner les forces armées, les Etats-Unis ont indéniablement soutenu l’invasion au Congo.

Mais quels étaient les intérêts pour cette puissance de s’enliser dans un conflit aussi éloigné ? Il faut tout d’abord mentionner la culpabilité qu’éprouvaient les Etats-Unis d’avoir fermé les yeux sur le génocide rwandais. Mais ils y trouvaient également un intérêt politique et économique.

L’implication américaine date en effet du soutien pour l’ancien président Mobutu Sese Seko, un dictateur que les Etats-Unis ont aidé à s’emparer du pouvoir et qu’ils ont soutenu pendant 32 ans. Mais dans les années 89-90, la France et US ont abandonné ce qui était devenu un fardeau au regard des droits de l’Homme.

C’est pourquoi les Etats-Unis et la France ont aidé le Rwanda et l’Ouganda à le destituer pour placer un autre dictateur au pouvoir.



Les Congolais sont victimes d’un réseau dictatorial corrompu qui reçoit l’aide financière des Etats-Unis.

En quoi le Rwanda et l’Ouganda sont-ils alors centraux pour l’armée américaine ? La puissance nord américaine pense avant tout à protéger ses intérêts en Afrique, notamment en soutenant des leaders et non la population africaine.

Politique pour le moins douteuse, mais qui a connu un véritable tournant avec le déplacement d’Obama au Congo. Ce dernier a en effet appelé les leaders à se responsabiliser, en arguant que son pays était prêt à soutenir des institutions fortes, et non des hommes forts.

Un vent d’espoir officieusement, si l’on y ajoute le désir croissant de démocratie au Congo. Officiellement, Obama a certes fait rédiger une loi pour soutenir le Congo mais la transmission du papier à la réalité peine à se manifester. Ces mesures sont censées bannir tous crimes contre l’humanité.

Or, les Etats-Unis disposent de nombreuses preuves contre l’Ouganda et le Rwanda dans le domaine, mais la loi de l’Omertàreste de rigueur. Sans oublier que depuis 2000, les Etats-Unis ont versé au Rwanda près d’un milliard de dollars.

Il serait maintenant intéressant d’étudier de plus près les méthodes d’exploitation des ressources naturelles qui sont si utiles à nos voitures, appareils électroniques et autres merveilles des pays industrialisés… à quel prix ?

DU SANG DANS NOS PORTABLES

Le territoire congolais est doté de ressources minérales en abondance, du nord-est au sud-est du pays (cuivre, zinc, or, manganèse, tantale, diamants, coltan… auxquelles s’ajoutent près d’une quarantaine d’autre matières premières), d’une biodiversité très riche et de sols fertiles favorables à l’agriculture du café, du tabac, du thé, entre autres.

Bien avant le conflit de 1998, ces richesses naturelles faisaient déjà l’objet de troc, de contrebande et de trafic, au profit de la classe dirigeante de l’ex-Zaïre. Entre 1996 et 2002, elles ont aussi donné une clé de compréhension à l’occupation de l’est du pays par les troupes rwandaises et ougandaises.



Dans le domaine de la course aux ressources minérales, la République Démocratique du Congo est l’épicentre de la ruée vers le coltan (indispensable à la confection de pièces d’avion, fusées, outils de précision, condensateurs d’ordinateurs et téléphones portable) qui s’y trouve en quantités commerciales, notamment au sein la région du Kivu qui détient entre 60 et 80 % des réserves mondiales.

Et il va sans dire que les conflits locaux qui durent depuis plus de vingt ans sont alimentés par ces ressources : le coltan est déjà responsable indirect de plus de 6 millions de morts.

Pour extraire cette pierre grisâtre qui vaut de l’or, hommes, femmes et enfants, s’échinent alors au fond des rivières et au creux des montagnes. Sans oublier que pendant la guerre, les populations villageoises ont été forcées à creuser sous la menace d’une kalachnikov, et les femmes ont essuyé des violences sexuelles desquelles résultent des générations d’enfants.

Aujourd’hui, la situation s’est quelque peu améliorée mais certains mineurs sont toujours sous la coupe des hommes armés, qui taxent impunément chaque sac de coltan extrait par les creuseurs.

Ainsi selon un rapport des Nations unies présenté en 2001, les groupes armés auraient perçu une rente minière de 20 millions de dollars par mois : argent qui permet d’acheter des armes et d’alimenter en conséquence le conflit.

Qui plus est, c’est en toute illégalité que sont extraites grandes quantités de ce minerai avant d’être transportées en contrebande -en accord avec des entrepreneurs occidentaux- par les armées de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de la RDC qui occupaient la Province orientale et la région du Kivu, à l’est du pays.

Trafic qui aurait rapporté environ 25 millions de dollars à l’armée rwandaise entre 1998 et 2000.

Les grandes firmes internationales n’hésitent pas à faire appel à des courtiers, essentiellement belges (comme Sogem), rwandais et sud-africains, pour se procurer le coltan congolais. Cependant, avec la médiatisation du phénomène, le gouvernement français a abordé le sujet de l’origine des minerais utilisés dans ses industries dans un rapport à l’Assemblée nationale en janvier 2011, et le reste du monde a suivi peu à peu.

La plupart des industriels de la filière ont alors décidé de boycotter le coltan extrait en Afrique centrale pour se rabattre sur les ressources australiennes. Un boycott qui pénalise aussi les producteurs locaux dans le sens où on les prive de leur source de revenus subitement, sans chercher d’alternatives, et proposer des collaborations « éthiquement » correctes.

Aussi, la ruée vers coltan congolais commence à connaître un ralentissement. La vie des mineurs congolais ne s’est certainement pas améliorée, mais le tantale contenu dans vos gadgets électroniques ne provient pratiquement plus de gisements « sales » de la RDC.

Le gouvernement congolais essaie donc de reprendre les exploitations à son compte afin de produire un minerai « conflict-free« , mais non sans difficulté. Bien entendu, il restera toujours un part de vente illégale et clandestine, encore impossible à quantifier.

LA RDC, « UN DES PLUS GRANDS PUITS DE CARBONE AU MONDE »

La superficie forestière de RDC est évaluée à 125 millions d’hectares, soit près de 52% du territoire national, 6% des forêts tropicales du monde, 47% des forêts tropicales africaines et 68% des forêts du Bassin du Congo.

Un poumon vert qui a attiré de nombreux groupes à capitaux européens (portugais, allemands, belges, suisses…) ou asiatiques (libanais, singapourien), comme SODEFOR, ITB, SAFBOIS ou Trans-M qui exploitent des zones qui leur ont été concédées en violation du moratoire sur l’attribution de nouveaux titres forestiers de 2002.

Les industriels sont à la recherche d’essences (afromosia, wengé, sapelli, okoumé, iroko, etc.) à moindre prix utilisées dans la fabrication des parquets, fenêtres, contreplaqués ou meubles. En résultent des millions de mètres cubes de bois qui quittent chaque année Matadi, Douala, Port Gentil ou Pointe-Noire essentiellement vers des ports portugais, français et belges.

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Règlement bois de l’Union européenne en matière forestière (EUTR) le 3 mars dernier, on espère un ralentissement raisonné de la destruction des forêts en RDC, carGreenpeace International le rappelle, la transformation du secteur forestier est nécessaire pour assurer le développement durable de ce pays.

LE CORPS DE LA FEMME COMME CHAMP DE BATAILLE

Selon le rapport annuel de l’ONG Save the children, publié le 7 mai dernier, une femme ou une fille sur trente en RDC risque de mourir en raison de problèmes liés à la maternité. Et ce, en partie parce que le nombre de mère donnant la vie avant que « leur corps ait atteint la maturité », en raison du faible recours à la contraception, du grand nombre de viols, et de l’insuffisance de soins et corps médical.



Roads magazine a rencontré l’association Voix/es alternatives consacrée aux femmes qui ont survécu à des violences sexuelles, utilisées comme arme de guerre dans la région des Grands Lacs.

Pouvez-vous nous présenter brièvement l’association Voix/es alternatives ?

Voix/es alternatives est née d’un mémoire effectué en 2010 autour de la reconstruction des femmes qui ont subi des violences sexuelles dans le contexte du conflit à l’est de la République Démocratique du Congo. Et après ce mémoire, il est devenu difficile de se cantonner à la simple recherche, l’on se sent obligé d’agir à son échelle.

Donc Sophie Péroud m’a proposé une conférence du nom de « Voix/es alternatives, dire pour agir » qui s’est déroulée en 2010 à Sciences Po. De cette conférence est née une volonté d’approfondir le sujet, d’échanger avec les gens.

Une de nos membres, Claudia, a lu des témoignages, puis au fur et à mesure, on s’est réunies, et d’autres membres* se sont greffés à notre projet. L’association a ensuite pris une voie artistique, car Claudia a eu l’idée de faire naître une pièce de théâtre à partir des différents témoignages. Et parallèlement, on s’est dit que la voie artistique était plus à même de toucher les personnes.

Que pensez-vous de l’action humanitaire menée à l’est de la RDC ?

Notre association a un point de vue plutôt critique sur la question parce que l’action humanitaire est sous couverte d’une solidarité internationale qui est fondée sur des valeurs qui paraissent universelles. Et ça, en soi, c’est déjà questionnable.

C’est le vieux débat relativiste universel, on essaie de se situer de manière la plus juste et la plus critique dans ce débat là. En l’occurrence, l’aide humanitaire dans l’est du Congo pose beaucoup de problèmes parce que c’est un foyer bouché tellement il y a d’acteurs, de disfonctionnements, d’aberrations.

Ce qui est sûr c’est que l’est de la RDC concentre tous les travers, les défauts, les extrêmes de ce que l’on peut faire de pire dans l’aide humanitaire. On ne peut pas voir cette situation et en sortir avec un regard naïf selon lequel l’aide humanitaire ne fait que sauver des gens.

Au contraire, on a l’impression que ces acteurs entretiennent presque le conflit. Et la situation à l’est du Congo est tellement chaotique que c’est compliqué de sortir le thème des violences sexuelles d’un tissu beaucoup plus complexe : on traite un des aspects sans forcément prendre en compte le reste.

Les ONG font plus attention maintenant à prendre en compte les initiatives qui ont été prises en amont avant leur arrivée, mais c’est vrai qu’il y a une forme de vexation de la part de beaucoup de ces tissus sociaux sur place qui ont l’impression que les ONG arrivent en croyant qu’avant eux, rien ne s’est passé.

Or ces personnes n’ont pas attendu l’aide des ONG, des pays occidentaux et des bailleurs de fonds internationaux pour que les populations locales survivent.

C’est pourquoi il est vraiment important de faire preuve d’humilité. Aussi, dans notre démarche, on a pris le soin de réfléchir et de ne pas mener n’importe quelle action n’importe comment, parce que des actions menées, il y en a déjà à foison.

Enfin mais surtout, dans la situation particulière du Congo, on fait face à une concentration des vecteurs les plus compliqués. Le fait qu’il y ait une guerre civile dans l’est du Congo, en soi, disqualifie parfois l’activité d’acteurs humanitaires.

On peut aussi dire que l’arrivée des aides humanitaires, en accord avec le gouvernement, court-circuitent parfois des projets. En fait, l’aide humanitaire dépolitise beaucoup les situations : on en vient à croire qu’il s’agit juste d’un drame humanitaire alors qu’en réalité des problèmes politiques, économiques et sociaux se cachent derrière.

Dans l’exploitation des ressources naturelles, pensez vous que la démarche des entreprises qui boycottent l’exploitation des ressources à l’est du Congo est sincère ou que c’est juste pour redorer leur image ?

Peu importe la nature de la motivation des entreprises, parce que oui, il y aura toujours une volonté de redorer son image dans une société où le marketing est en amont de l’économie. Mais leur action n’en demeure pas moins intéressante, dans la mesure où elle est menée intelligemment, bien sûr.

Pour le boycott par exemple, s’il est total et appliqué à toute une région, sans distinction, nous pensons que cela peut heurter les petits producteurs, et que ça ne va pas forcément dans le sens de l’économie locale.

Nokia a fait des efforts dans le sens du « boycott », par exemple, mais nous ne connaissons aucune campagne de sensibilisation menée par les entreprises internationales à ce sujet.

Mais en ce sens, ne pensez-vous pas qu’il y a une certaine hypocrisie de la part de ces entrepreneurs qui, conscients de la polémique, se retirent en catimini sans pour autant sensibiliser l’opinion sur ce sujet?

Nous pensons que ce n’est pas leur rôle. S’ils font la démarche d’aller voir ailleurs, c’est déjà pas mal. Les campagnes de sensibilisation sont plutôt menées par des acteurs associatifs qui n’ont pas forcément assez de visibilité et de poids pour faire parler d’eux.

Mais peut-être qu’effectivement, les entreprises devraient se joindre à ces associations, mais aussi les politiques, dans le cas de l’Europe pour le moins. Aux Etats-Unis, la législation a déjà intégré un article spécifique sur les minerais mais qui n’est pas respecté pour autant.

Nous pensons par ailleurs que pour sensibiliser les gens, il faut qu’ils se sentent touchés, ils ont besoin de voir l’impact direct que ça a sur leur vie. Pourquoi ne pas miser davantage sur l’aspect environnemental ? La forêt du Congo représente quand même le deuxième poumon vert après l’Amazonie, donc si on ne fait pas d’effort pour les Congolais, on peut au moins le faire en tant que terrien.

Quelles lectures nous conseilleriez-vous pour approfondir le sujet ?

Survivantes de Louis Guinamard
La mort ne veut pas de moi de Yolande Mukagasana
Où en est la nuit et Une saison de machettes de Jean Hatzfeld

Roads magazine
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* Un grand merci à Lydie Mushamalirwa, Maria Bailly, Claudia Mongunu, Marine Leroy et Paul Le Cluziat, membres de l’association Voix/es alternatives, qui ont bien voulu nous accorder cet entretien.

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