jeudi 13 juin 2013

Que vise le Hezbollah en Afrique ?

Les autorités nigérianes ont affirmé avoir découvert une «cellule» du Hezbollah dans une maison à Kano au nord du Nigeria, le 30 mai 2013.
Les autorités nigérianes ont affirmé avoir découvert une «cellule» du Hezbollah dans une maison à Kano au nord du Nigeria, le 30 mai 2013.
REUTERS/Stringer

Par Christophe Boisbouvier
 
On parle beaucoup du Hezbollah en Syrie. Moins en Afrique. Pourtant, le Nigeria affirme avoir démantelé, le 30 mai dernier, une cellule du mouvement libanais dans l'Etat de Kano. Trois Libanais ont été arrêtés et une cache d'armes découverte. 

Que vise le Hezbollah en Afrique ? L'Iran est-il derrière ? L'universitaire israélien Ely Karmon est chercheur au Centre interdisciplinaire, à Herzliya, près de Tel-Aviv. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier pour RFI.

RFI : Quand les autorités nigérianes disent qu’elles ont démantelé une cellule du Hezbollah à Kano, est-ce que c’est sérieux ou pas ?

Ely Karmon : C’est très sérieux. Ce n’est pas la première fois qu’on a rencontré des terroristes iraniens ou du Hezbollah en territoire nigérian. Et ça, c’est parti de la campagne que l’Iran et le Hezbollah mènent depuis trois, quatre ans contre Israël, mais aussi contre des objectifs américains et peut-être occidentaux, partout dans le monde. Mais peut-être plus spécifiquement en Afrique et en Asie du sud-ouest.

Selon les autorités d’Abuja, trois commerçants libanais ont été arrêtés, un quatrième est en fuite. Chez l’un d’eux aurait été découverte une cache d’armes avec des lance-roquettes. Les suspects sont donc des notables qui étaient installés au Nigeria depuis plusieurs années. Quel intérêt ont-ils à se lancer dans des activités terroristes ?

Mais justement, l’activité du Hezbollah se base sur des colonies ou sur des communautés libanaises chiites qui se trouvent à l’étranger, surtout en Amérique Latine et en Afrique de l’Ouest, pour d’un côté occulter des gens qui participent au travail opérationnel, et de l’autre côté obtenir les fonds nécessaires, les millions de dollars qui sont ensuite transmis au Hezbollah, au Liban, pour son infrastructure militaire, mais aussi sociale et religieuse.

C'est-à-dire que beaucoup de ces notables paient une sorte d’impôt révolutionnaire pour le Hezbollah ?

Non, je crois qu’il y en a beaucoup qui acceptent, qui sont même membres du Hezbollah, mais il n’y a pas de doute que certains commerçants doivent payer cet impôt, sous pression, sur place ou au Liban, contre leur famille.
Est-ce qu’il y a des preuves de cela ?

Ah oui ! Il y a beaucoup de preuves ! Par exemple, il y a eu un accident d’avion au Bénin, en Afrique…

Oui, c’est le crash de Cotonou en 2003...

Oui, justement. Et on a trouvé un membre du Hezbollah qui avait en sa possession deux millions de dollars en cash, pour être transmis justement au Hezbollah au Liban, et qui étaient en fait des paiements des diverses communautés en Afrique de l’Ouest, surtout de Côte d’Ivoire, et aussi de Sierra Leone, où il y a des marchés de diamants illégaux.

Et je crois que deux riches commerçants libanais d’Afrique de l’Ouest sont dans le collimateur du trésor américain. C’est ça ?

Il y en a plus. Justement, il y a deux jours que les Etats-Unis, le département de la Justice a publié une liste de quatre noms, des représentants du Hezbollah en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Gambie. Ces gens-là sont responsables pour le Hezbollah.

Depuis vingt-cinq ans, un chef religieux nigérian, cheikh Zakzaky, anime un mouvement chiite très influent à Kano et à Zaria. Est-ce qu’il peut être derrière la cellule qui vient d’être démantelée le 30 mai dernier ?

Pour le moment, les autorités nigérianes ne disent pas s’ils font la connexion. Mais le chef, le cheikh Zakzaky est allé étudier à Qom en Iran, alors il s’est converti au chiisme. J’ai des photos où il y a une milice en uniforme, de ces gens-là. Toutes les femmes sont habillées tout en noir, avec les drapeaux du Hezbollah, avec les portraits de Nasrallah, de l'ayatollah Khamenei.

On connaît les liens entre le Hezbollah et l’Iran. Est-ce que ces deux partenaires agissent de concert ou séparément en Afrique de l’Ouest ?

Ils agissent partout. Pas seulement en Afrique de l’Ouest, en symbiose complète. Il y a trois éléments qui font ce travail de terrorisme et de sabotage à l’extérieur. D’abord, ce sont les forces al-Qods, les pasdarans, des gardes révolutionnaires islamiques. Il y a aussi le ministère de l’intelligence iranien, qui s’occupe surtout d’assassiner des opposants à l’extérieur, et il y a le Hezbollah.

Les unités al-Qods, ce sont donc les unités des gardiens de la Révolution basées à Téhéran. En octobre 2010, un bateau iranien, chargé d’armes à destination de la Gambie et des maquis casamançais, a été arraisonné à Lagos, au Nigeria. Du coup, Dakar a rompu avec Téhéran. Pourquoi les Iraniens peuvent-ils commettre de telles gaffes, au risque de perdre leur position diplomatique sur le continent africain ?

Mais rien n’empêche les Iraniens de faire ce genre d’opération, quand ils pensent que c’est nécessaire pour leurs actions. Quelquefois, ils font des gaffes, comme vous dites, parce qu’ils avaient des relations extrêmement cordiales, tant avec le Sénégal qu'avec la Gambie.

Est-ce que ça veut dire qu’il y a plusieurs centres de pouvoir à Téhéran et qu’ils ont des politiques contradictoires ?

Non. En général, les décisions les plus importantes sont prises, justement, au sommet. Cela inclut le président, le Guide suprême Khamenei.

L'ayatollah Khamenei?

Oui. Par exemple, le fait qu’ils ont tenté, il y a presque deux ans, d’assassiner l’ambassadeur saoudien à Washington, ça a été une surprise que Téhéran ait décidé une telle opération. Mais je crois que ce qui les a convaincus de tenter cette opération, c’est qu’ils avaient recruté des gens du cartel Zetas qui est l’un des plus importants cartels mexicains de trafiquants de stupéfiants, en pensant probablement qu’ils ne seront pas découverts.

Donc l’occasion était trop belle ?

Oui, ils ont pensé que ce serait une bonne idée de le faire, sous couverture des cartels mexicains.

Dans le bras de fer actuel entre l’Iran et l’Occident, sur la bombe, qu’est-ce que les Iraniens attendent de l’Afrique ?

Je crois que l’activité en Afrique est surtout pour se préparer en cas de nécessité, d’être actif en cas de crise. Par exemple, les militaires avec les Etats-Unis ou avec Israël, ou peut-être même avec une coalition européenne, de faire des actions contre les Etats impliqués c'est-à-dire Israël, les Etats-Unis et peut-être même l’Europe. Et aussi pour contourner les sanctions que les Etats-Unis et la Communauté européenne ont décidé contre les intérêts économiques de l’Iran. Et cela leur permet de tenter de déstabiliser des pays qui sont pro-américains, ou de radicaliser des pays qui sont anti-américains. En Afrique, clairement, ils avaient une base exceptionnelle au Sénégal. Mais ils ont gâché cela avec l’action à travers le Nigeria.

RFI

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