François Misser. Photo CIC
Après avoir obtenu un accès privilégié au cuivre et au cobalt katangais, la Chine, à travers un de ses grands groupes miniers, vient de prendre le contrôle des principaux gisements du Kasaï. Histoire d’un deal.
Cinq ans après qu’un consortium dominé par les firmes d’État China Railways et Sinohydro eut conclu un contrat «mines contre infrastructures», leur donnant accès à 10 millions de tonnes de cuivre et à 600000 tonnes de cobalt au Katanga, une autre firme chinoise à capitaux publics vient de mettre la main sur les principaux gisements de diamant du pays.
Il s’agit de l’Anhui Foreign Economic Construction Corporation (Afecc) dont le siège se trouve à Hefei, en Chine orientale. La ressource totale, sous réserve de vérification, se monte à 158 millions de carats, pour l’essentiel de diamants industriels.
Une voie royale pour le géant asiatique
Ce volume de production représente l’équivalent de quinze ans de la pro- duction annuelle, record de la seule société industrielle de République démocratique du Congo (RDC), la Minière de Bakwanga (Miba), dont l’État est actionnaire à 80 %.
Celle-ci est aujourd’hui au bord de la faillite et pratiquement à l’arrêt pour toute une série de raisons. Parmi elles, les ponctions effectuées sur sa trésorerie durant les deux guerres (1996-1997 et 1998- 2002) par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent Kabila, puis par le gouvernement de Kinshasa.
Elles étaient destinées à financer l’effort de guerre dans le premier cas, des achats d’armes en Tchéquie et en Ukraine dans le second. Bien d’autres facteurs ont concouru à l’effondrement de la Miba, notamment la cession en 2000, sur injonction du ministre des Mines de l’époque, le Katangais Frédéric Kibassa Maliba, de ses principales réserves (dont la kimberlite de Tshibwe) à la joint-venture Sengamines.
Cette société est constituée par la Comiex, dont l’ancien président Laurent-Désiré Kabila était le principal actionnaire, elle-même créée dans les maquis du Parti de la révolution populaire et par la firme Osleg (Operation Sovereign Legitimacy), fondée par plusieurs apparatchiks zimbabwéens du régime Mugabe, dont le général Vitalis Zvinavashe.
Plus tard, Osleg a été substituée dans le capital de la Sengamines par la compagnie Oryx de l’homme d’affaires omani, Thamer al-Shanfari.
Le personnel de la Miba estime que la firme a été spoliée par l’État, actionnaire majoritaire. Son effondrement a des allures très politiques. En effet, il y a sept ans, le gouvernement avait refusé l’offre du partenaire minoritaire de la Miba, l’homme d’affaires congolais François Kalaa Mpinga, PDG de la firme Mwana Africa.
L’enfant du pays voulait renflouer l’entreprise, dans laquelle il détenait 20 % des parts depuis le rachat de la firme belge Sibeka en 2006. Pourtant, Kalaa Mpinga, fils du ministre des Affaires étrangères de Mobutu, Mpinga Kasenda, décédé en 1994, avait ficelé un plan de sauvetage pour l’entreprise.
Dès 2007, Mwana Africa avait proposé à la Miba d’augmenter sa participation de 20 % à 40 % et d’injecter 50 à 75 millions de dollars sous forme de prêts et d’investissements, afin de relancer la production et la signature d’un contrat de gestion de l’entreprise.
Par la suite, Kalaa Mpinga – qui a réussi à s’imposer sur la scène minière en Afrique du Sud, au Zimbabwe, en Angola et au Botswana, dans les secteurs des diamants, du nickel et de l’or – était parvenu à convaincre l’Industrial Development Corporation sud-africaine (IDC) d’investir 120 millions de dollars dans la relance de la Miba. Mais Kinshasa a préféré ne pas donner suite.
L’offre aurait été jugée insuffisante pour l’accès à une ressource estimée à plusieurs milliards de dollars par la ministre du Portefeuille d’État de l’époque, Jeannine Mabunda. Finalement, l’IDC a jeté l’éponge en 2009. Pour des raisons politiques? Aussi, pensent les consultants miniers et des parlementaires consultés par Afrique Asie.
Les autorités de Kinshasa soupçonnaient Kalaa Mpinga de nourrir des ambitions politiques et d’avoir soutenu le parti d’opposition, le Rassemblement congolais pour la démocratie, en 2003.
Selon un consultant minier, Joseph Kabila ne voulait à aucun prix voir se constituer en RDC un pouvoir économique indépendant du sien, susceptible de financer son éternel rival, le Kasaïen Étienne Tshisekedi wa Mulumba.
Kabila ne voulait à aucun prix voir se constituer en RDC un pouvoir économique indépendant du sien.
C’est dans ce contexte qu’a été accueillie avec bienveillance l’offre chinoise, suscitée par l’ambassadeur du Congo à Harare, Mawapanga Mwana Nanga. Un homme clé: il fut membre du gouvernement qui a offert sur un plateau le gisement de Tshibwe, bijou de famille de la Miba, aux apparatchiks zimbabwéens via la Sengamines.
De surcroît, Mawapanga a été servi par la coïncidence de la présence au Zimbabwe de la compagnie Anjin Investments qui exploite les gemmes du site de Marange, filiale d’Anhui, et les bons offices joués entre la RDC et celle-ci et l’ambassadeur par les officiers supérieurs de la Zimbabwean Defence Force (ZDF), à qui la firme chinoise ne peut pas refuser grand-chose.
Non seulement Afecc construit une académie militaire, mais elle est associée dans Anjin à Matt Bronze, une société écran derrière laquelle se cache la ZDF…
En définitive, le contrat offrant à Anhui une voie royale d’accès aux diamants congolais a été signé le 18 mars 2013 à Kinshasa entre, d’une part, les ministres congolais des Mines Martin Kabwelulu et du Portefeuille Louise Munga, et d’autre part par le vice-président d’Afecc, Bai Xiang-qian.
Il prévoit le transfert des actifs de la société qui a hérité des concessions de la Sengamines, la Société congolaise d’investissement minier, dont l’État congolais est actionnaire à 80 % et dont les autres actionnaires sont le Fonds de promotion de l’industrie et l’Institut national de la Sécurité sociale, détenteurs d’une participation de 10 % chacun, à une nouvelle société dénommée Société Anhui-Congo d’Investissement minier (Sacim).
Moyennant le paiement d’un pas-de-porte de 61 millions de dollars, Afecc acquiert la moitié des actions de la Sacim, et ce faisant obtient les gisements kimberlitiques de Tshibwe (61 millions de carats), Ndaye (7,3 millions de carats), Tshikasa (4,3 millions de carats), Kakongo (2 millions de carats) et du Nord (13,3 millions de carats). Il acquiert aussi les mines alluviales de Senga-Senga, Katshia et Muji-Mayi et des ressources non spécifiées totalisant 54 millions de carats.
Une autre clause du contrat prévoit qu’Anhui va financer la construction des infrastructures de la zone minière à hauteur de 100 millions de dollars, dont la transformation de l’usine exis- tante de la Sacim, la construction d’une nouvelle usine, celle d’une route à l’intérieur des concessions minières, des travaux de lutte contre la pollution et l’achat d’équipements miniers.
Dix millions iront à un fonds de roulement destiné à financer la production de diamants, et 6 millions à la construction de la centrale hydroélectrique de la Movo et à la conception d’une seconde centrale hydro-électrique. Selon ce plan, l’usine de traitement devrait être prête dès décembre 2013.
Contreparties
Dans un premier temps, 60 % du bénéfice net annuel doit être affecté en priorité au remboursement de l’investissement d’Anhui. Le contrat prévoit également l’introduction en Bourse de la compagnie Sacim.
Anhui s’engage à assister l’État pour obtenir un financement public chinois afin de construire non seulement la centrale hydroélectrique de Tubi-Tubidi, mais aussi une route bitumée entre cette dernière et la ville de Mbuji- Mayi.
Elle se chargera de réaliser ces infrastructures. Anhui s’engage en outre à développer l’agro-industrie dans la province du Kasaï- Oriental. Le contrat précise aussi que la Sacim paiera à l’État des royalties d’un dol- lar/carat en ce qui concerne les gisements non certifiés.
Le business plan prévoit la production dès 2013 de 600000 carats et une montée en puissance jusqu’à 6 millions en 2016.
Des avantages fiscaux sont éga- lement attribués à la joint- venture ainsi constituée. L’impôt sur le revenu appliqué à partir de 2014 sera ainsi limité à 30 % et la taxe commerciale à 6 %.
Pour le Kasaï, où l’exploitation du diamant industriel est à l’arrêt depuis 2008, ce deal n’est pas forcément une mauvaise chose, car il peut offrir une possibilité de reclassement à une par- tie des quelque 5000 travailleurs de la Miba qui attendent depuis des mois, voire des années pour certains, le paiement de leurs arriérés de salaire. Même si le contrat ne comporte pas de clause de cette nature.
François Misser, In Afrique-Asie juin 2013
© Congoindépendant
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