mardi 30 juillet 2013

Mon point de vue sur le procès à Kinshasa de l'assassinat de Patrice Lumumba


Tôt ou tard, il fallait bien que ce procès se fasse. Mais est-ce le lieu et le moment ? Je ne le pense pas. Autant je soutiens entièrement le procès attendu à Bruxelles, autant je suis moins enthousiaste sur celui annoncé à Kinshasa.

En premier lieu, personne ne croira qu’un tribunal congolais puisse de lui-même décider de déclencher une procédure à si fortes connotations politiques et à même de créer une grande agitation dans la capitale et dans certaines parties du territoire national. On soupçonnera, plus à raison qu’à tort, la main du pouvoir tirant les ficelles dans l’ombre.

Pour quels dividendes? C’est la question qu’on peut se poser. Serait-ce une manœuvre, comme me l’a dit quelqu’un ce matin, destinée à gêner, voire à écarter Etienne Tshisekedi de la prochaine élection présidentielle en 2016?

Or, de l’avis des personnes ayant rencontré ces derniers temps le leader de l’Udps, le « Mula kwasa » ne serait plus que l’ombre de lui-même. Il y a non seulement l’effet de l’âge (80 ans) mais aussi l’usure psychologique consécutive à ses échecs récurrents. 


Toutefois, son image reste forte non seulement au sein de sa communauté au Kasaï mais également dans toutes les villes du pays, caractérisées par une grande misère sociale engendrée par le chômage.

Quoi qu’il en soit, le livre tant décrié de M. Boshab, soupçonné comme étant une manœuvre tendant à la révision constitutionnelle dans le but de permettre au Président Joseph Kabila de briguer un troisième mandat ouvre la voie à toutes les spéculations.

M. Boshab aurait-il reçu la caution du Chef de l’Etat? Pour ceux qui connaissent la praxis des régimes africains, on ne peut pas être affirmatif d’emblée.

Un exemple : alors que tout le gouvernement était à table autour du Maréchal Mobutu au cours d’une visite à Matadi, feu notre ami Dominique Sakombi statufia l’assistance en déclarant de façon tout à fait impromptue que le Président Fondateur était un génie.

Le génie en question, également surpris, faillit s’étrangler en avalant une bouchée.

En quoi le Président était-il un génie? Parce que, expliqua Sakombi, au moment où nous sommes occupés à jouir de cette excellente nourriture, la pensée du Président est toujours centrée sur son peuple.

Le Maréchal venait de faire une remarque sur l’état de la voirie, qu’il fallait améliorer. Ceci pour montrer qu’un homme du sérail et quelque peu en disgrâce comme Boshab peut vouloir, par un coup d’éclat pseudo scientifique, chercher à reconquérir les faveurs du chef, sans avoir été nécessairement mandaté par ce dernier.

Ensuite, le moment me paraît inopportun. Le pays traverse une période délicate qui risque de conduire à son démembrement. La majorité des centres de décision dans les pays anglo-saxons semble avoir déjà opté pour l’instauration d’un statut spécial de la partie orientale du Congo, soit -en réalité- un dominion sous influence rwando-ougandaise devant évoluer vers un Etat autonome.

Dans ces conditions, la préservation et, mieux encore, la consolidation de l’unité des forces vives internes est un facteur susceptible de conditionner la survie de la nation congolaise.

Car, en effet, le Congo demeure un pays à structures tribales. 


Les personnes impliquées dans l’assassinat de Patrice Lumumba jouissent d’une forte image dans leurs tribus : Joseph Kasa-vubu chez les Yombe (je n’en connais pas un seul qui soit anti-kasavubiste) ; Moïse Tshombe, qui demeure très populaire chez les Katangais du Sud ; Mobutu et même Bomboko, dont l’image est forte à l’Equateur, Etienne Tshisekedi au Kasaï et dans les centres urbains.

Enfin, puisqu’il s’agit d’un procès pénal ne concernant que les accusés en vie, il convient de reconnaître que tous, y compris Justin Bomboko et Albert Kalonji, ne sont que des seconds couteaux. Les véritables responsables sont tous déjà morts.

Il s’agit, à Kinshasa, de Joseph Kasa-vubu et de Joseph Mobutu. Même s’ils avaient agi sous l’influence des autorités belges et américaines, ce sont ces deux personnages qui avaient le pouvoir d’empêcher l’assassinat du Premier Ministre.

De la même manière, à Lubumbashi, Moïse Tshombe, Godefroid Munongo et Jean Baptiste Kibwe auraient pu s’opposer à l’exécution des prisonniers.

Au demeurant, même si Lumumba a une famille, celle-ci n’aurait rien à perdre à mener une consultation auprès de ses partisans que nous sommes, avant d’entamer ce procès.

Lumumba avait dit lui-même être devenu « une idée », laquelle fait maintenant partie du patrimoine de l’humanité. Son image dans le monde est celle de l’amour de son peuple, du sacrifice, du courage, de l’intégrité morale et de la dignité de l’homme noir.

Dès lors, Lumumba n’appartient à sa famille que dans la mesure où celle-ci s’identifie à l’image que le monde a de lui. La fille de Staline finit bien par se réfugier aux Etats-Unis, de même que celle de Fidel Castro également, alors même que son père était au pouvoir.

Si on avait demandé mon avis, j’aurais plutôt conseillé de solliciter du gouvernement qu’il fasse enfin, officiellement, le deuil de Patrice Lumumba et qu’un monument soit érigé sur le lieu de son assassinat et de ses compagnons.

Albert Kisonga Mazakala
CongoForum

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire