dimanche 25 août 2013

RAY LEMA: " NOTRE MUSIQUE EST VICTIME DE SON SUCCES "


 

Pianiste, guitariste, et compositeur de renommée internationale, le musicien congolais Raymond Lema a Nsi, dit Ray Lema, nous a accordé une interview dans laquelle il nous donne son avis sur l’état de la musique congolaise aujourd’hui, telle qu’il la conçoit et la perçoit. 

Pour étayer son récit, il revient sur quelques faits marquants de sa carrière. Il évoque aussi ses débuts en musique, ses goûts musicaux, son nouvel album, l’action des combattants…Chaleureux et aimable, l’homme et l’artiste s’interpénètrent.

Qu’est devenu l’artiste musicien que vous êtes ?

Je suis toujours le même artiste. Un parmi tant d’autres qui existent dans le monde. Je fais des disques, des tournées…Je ne suis pas devenu quelqu’un de spécial à part ce que je suis.

Beaucoup de mélomanes congolais ne vous connaissent pas. Comment expliquez-vous cette méconnaissance, par le grand public, de votre talent, malgré votre renommée sur le plan international ?

Simplement parce que je ne sers pas assez la musique dominante. Il y a une musique dominante au Congo : la rumba. C’est quelque chose, dont je me plains d’ailleurs. 


Comme directeur de musique du Ballet national congolais, j’ai été missionné par la présidence du Zaïre, à l’époque, de sillonner le pays afin de réunir au sein du Ballet national les représentants des meilleurs musiciens de toutes les ethnies de notre grand pays. 

J’ai ramené à Kinshasa environ 70 musiciens. Nous avons travaillé et monté des spectacles ensemble. Je connais donc le nombre de musiques différentes que nous avons au Congo. 

Ce que je ne comprends pas, bien que j’aime la rumba, c’est la dominance d’un seul type de musique dans un pays aussi riche, culturellement et artistiquement, qu’est le Congo. 

Je refuse même de le comprendre. Que fait-on pour promouvoir un peu plus notre culture et notre art ? La question mérite d’être posée, car la culture et l’art constituent la véritable richesse d’une nation, ainsi que le moteur de son existence et de son développement.

Au Congo, si vous ne faites pas de la rumba, vous êtes un ringard, voulez-vous dire ?


Oui. Malheureusement, c’est ça, et le constat est terrible.

Etes-vous de l’avis de ceux qui disent que la musique congolaise est en perte de vitesse ?

Personnellement, je n’ai pas ce sentiment. Je dirais plutôt que notre musique est victime de son succès. Tout succès a un prix. Souvent quand on a du succès, on se replie sur soi-même ; on ne fait plus cas de ce qui se fait ailleurs. C’est ce qui se passe avec la musique congolaise, qui a servi, pendant très longtemps, d’exemple à presque toutes les musiques en Afrique. 


C’était la première musique en Afrique. Aujourd’hui, l’artiste musicien congolais ne travaille plus assez et s’est enfermé dans son succès. Le problème est là. 

De plus, en Afrique, et plus précisément au Congo, le chanteur s’appelle musicien. L’instrumentiste, le vrai musicien, a perdu son statut en devenant un simple travailleur au service du chanteur. 

L’instrumentiste , qui est censé faire le travail de fond, n’est plus motivé. Il ne crée plus. Il est plafonné. Pour sortir de cette hibernation , il faut redonner à l’instrumentiste son rôle de compositeur de musique. C’est important.

Comment avez-vous découvert votre passion pour la musique ?

J’avais 11 ans quand j’ai commencé à jouer à la musique. Je suis rentré au séminaire car j’éprouvais l’envie d’être prêtre. A mon arrivée au séminaire, on me fait passer, à l’instar de tous les aspirants, des tests d’aptitude. J’ai essayé plusieurs activités, dont le football et la musique, notamment la guitare. 


Les pères m’ont trouvé très doué pour la musique. Ils m’ont dit que ma vocation était la musique. Ils m’ont donc cloué à la musique. De ce fait, ils m’ont mis à l’orgue pour accompagner les messes grégoriennes. Après la musique grégorienne, les pères m’ont mis à la musique classique grâce à un piano qu’ils ont fait venir de Belgique. 

Mon premier contact avec la musique, c’est la musique classique. J’ai commencé par jouer du Beethoven, Mozart, Bach…Deux ans après, pour des raisons personnelles, j’ai quitté le séminaire. 

J’ai continué mes études, secondaires et universitaires, avant de devenir musicien professionnel. Je devins guitariste dans le groupe de Gérard Kazembe. 

Ma passion pour la musique devenait trop forte que j’ai dû abandonner mes études universitaires pour me consacrer à cette activité.


Vous avez des goûts musicaux très éclectiques. Vous jouez le blues, du jazz, le rock, de la musique classique, les rythmes congolais traditionnels et modernes. Rien ne vous est étranger. Comment définissez-vous votre style musical ?

Je n’ai pas de style et je ne cherche pas d’en inventer un. En tant qu’instrumentiste, la seule manière de progresser est de s’intéresser à toutes les musiques. Je m’intéresse à toutes les musique. Je n’ai donc aucun problème pour jouer du reggae, du jazz, du rock, la musique symphonique… 


J’aime la diversité qui doit s’appliquer aussi en musique. Comme je sais lire et analyser la musique, il me suffit seulement d’écouter et je comprends ce qu’il faut jouer. C’est ma façon de fonctionner et cela me va bien.

Lors d’une interview sur une des chaines de télévision françaises, vous avez fait l’éloge de la musique traditionnelle du Kasaï. Qu’a-t-elle de particulier ?

J’avais parlé de la musique traditionnelle chez les Lulua du Kasaï. Les Lulua, dans la pratique de leur musique, utilisent un mode musical particulier (Ray Lema en fait la démonstration en jouant au piano NDLR). Ce mode n’existe que dans cette petite partie du Congo et dans une portion de territoire de l’Inde. Cette constatation m’a toujours intrigué. 


Je profite de l’occasion pour rendre hommage à la personne qui m’a beaucoup aidé à comprendre les musiques traditionnelles : un Lulua. Il s’appelait Tshibamba. Il fut un grand joueur de la Sanza. Il n’est plus de ce monde. 

Au début, en jouant les musiques traditionnelles, moi en tant que musicien moderne, j’étais perdu. Tout le monde essayait de me persuader de la pertinence de sa musique. 

Grâce à lui, je suis arrivé, au fil du temps, à comprendre la philosophie de différentes musiques que nous avons au Congo.

Avez-vous un modèle en musique ?

J’en ai beaucoup. En tant que professionnel, j’écoute toutes les musiques. J’essaie d’expliquer aux jeunes que le premier secret du progrès en musique, c’est d’apprendre à admirer les autres artistes pour voir ce qui vous manque. Sinon, vous n’avancerez jamais. Ce principe, je me le suis toujours appliqué à moi-même.

Avez-vous actuellement un album sur le marché ?


Oui, c’est le VSNP pour Very Special New Production. C’est du pur Jazz. C’est la première fois que je fais un album qui s’en tient à un seul et unique style. Et il a été très bien reçu.

Comment réagissez-vous à l’action des « Combattants », qui interdisent les concerts en Europe, accusant les artistes musiciens congolais résident au Congo de « collaborer » avec le pouvoir en place à Kinshasa ?

Je n’ai pas approché d’assez près les combattants pour connaître leur motivation profonde. A mon avis, ce sont des choses qui doivent se régler par le dialogue. Je n’ai jamais été pour la violence. 


Je pense que les artistes musiciens congolais et les combattants peuvent s’asseoir autour d’une table et débattre du problème. Si problème il y a. Nous sommes tous des adultes. La violence n’arrange rien.

Quels sont vos projets ?

J’ai des projets plein la tête. Je fais trop de choses : musique, théâtre… Ce qu’il faut savoir, il y a pas seulement la musique de Ray Lema. Je travaille sur plusieurs projets pour d’autres artistes et créateurs. Et je ne m’en lasse pas.
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Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France
Le Potentiel

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