samedi 2 novembre 2013

Thierry Vircoulon sur RFI : «Que reste-t-il à négocier avec le M23 en RDC?»

31 Octobre 2013

 
26 membres du M23 à la base militaire de Rutshuru qui se sont rendus. Tous sont congolais et disent avoir été enrôlés de force. 

«Le M23 faisait la loi ici nous n'avions pas d'autres choix que de travailler avec eux».
RFI/Léa-Lisa Westerhoff

Par Nicolas Brousse

En République démocratique du Congo, l’armée a enregistré un nouveau succès. Avec le soutien des casques bleus, les Forces armées de RDC (FARDC) ont pris le contrôle jeudi 31 octobre de Bunagana, une localité symbolique pour les militaires congolais qui en avaient été chassés par le M23. La ville était devenue la capitale économique des rebelles. C’était aussi leur dernier grand fief dans le nord-Kivu. 


Pour Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale à l'International crisis group, même si le M23 a enregistré une défaite militaire, beaucoup de travail reste à faire dans le pays.

RFI : La nouvelle série de combats entamés il y a une semaine, est entrée dans une phase finale. Le M-23 est, dit-on, défait militairement, cette fois-ci pour de bon ?

Thierry Vircoulon : Oui, il semble qu’ils soient en pleine débâcle. Ils sont maintenant réduits à un territoire extrêmement petit, adossé à la frontière du Rwanda. Mais avant d’être un échec militaire, ça a été un échec politique, dans la mesure où ils n’ont pas réussi à convaincre la population congolaise du Nord-Kivu de les rejoindre. Ils ont toujours eu des problèmes de recrutement assez sérieux, et l’ensemble de la population du Nord-Kivu avait pris des positions très claires contre cette rébellion.

Ça a été aussi un échec politique, dans la mesure où ils n’ont pas réussi à obtenir un minimum de sympathie - pas de reconnaissance, mais de sympathie -, de la part des internationaux qui ont multiplié à leur encontre les communiqués condamnant cette rébellion depuis qu’elle a émergé l’année dernière. Donc c’est un échec militaire qui vient compléter un échec politique.

Vous parliez de l'absence de soutien de la Communauté internationale. La Mission des Nations unies (Monusco), n’était évidemment pas impliquée directement dans les affrontements. Ça veut dire qu’elle a fourni un support aux FARDC ?

Il y a eu, d’après ce que j’ai compris, une coordination tactique étroite, entre la brigade d’intervention des Nations unies et puis les unités congolaises qui sont montées à l’assaut du M-23.


FARDC

Cette défaite militaire du M-23 va-t-elle peser dès lors sur la négociation d’un accord de paix ? Vous avez parlé, Thierry Vircoulon, d’un échec politique. Pour l’instant le président Joseph Kabila a laissé ouvert le processus de Kampala. L'échec militaire signifie-t-il un échec diplomatique tout court ?

Je crois que la question qu’on devrait surtout se poser c’est de savoir ce qu’il y a à négocier à Kampala. J’entends beaucoup de gens qui disent qu’il faut qu’il y ait une signature d’accord à Kampala.

Mais enfin ..., que reste-t-il à négocier avec un mouvement militaire qui prétendait être un mouvement politique, mais qui ne l’était pas, et qui maintenant est militairement défait, dont les troupes sont plus ou moins en débandade, et dont le leadership s’est réfugié dans des pays étrangers.

Je crois que ça pose véritablement question ; dans ce contexte-là que peut-on vraiment négocier, si ce n'est la réédition du M-23 ? Je crois que si la situation militaire continue sur le terrain, grosso modo, c’est un peu comme si on disait : on est en 1945 et il faut un accord de paix entre les alliés et l’Allemagne. 


Washington demandait justement hier la mise en place d’un mécanisme de paix semi-permanent en RDC. Que peut bien signifier dans ce contexte un mécanisme semi-permanent ? C’est tellement compliqué que ça va durer longtemps, très longtemps d’une manière complètement indéterminée ?

Je n’ai absolument aucune idée de ce que c’est qu’un mécanisme de paix permanent. Tout ce que je sais c’est qu’il y a une résolution des Nations unies, une résolution 20-98, qui donne mandat aux Nations unies pour neutraliser tous les groupes armés dans l’est du Congo. La question, je pense, qui se pose maintenant est la suivante : si le M-23 est neutralisé complètement, quelle va être la nouvelle cible, à la fois de l’armée congolaise et de la force d’intervention des Nations unies ?

Comme le rappelait en effet l’envoyé spécial américain pour la région des Grands Lacs, le M-23 en fait n’est que l’un des 40 ou 45 groupes armés dans l’est du Congo. Est-ce toujours le cas ?

Il y a en effet eu une focalisation internationale très biaisée sur le M-23 depuis l’année dernière, alors qu’en effet, il y a plein de groupes armés dans les Kivus et que certains ont été bien plus meurtriers l’année dernière que le M-23. Si on regardait simplement le bilan en termes de droit de l’homme, on se rendrait compte qu’il faudrait cibler d’autres groupes qui n’hésitent pas à pratiquer des tueries sur les populations civiles. Et donc en effet, il reste encore beaucoup de travail, à commencer par Kinshasa, dans la mise en œuvre des réformes prévues dans l’accord d’Addis-Abeba.

Et puis il y a la question qui se pose également, à savoir dans quelles mesures Kigali, mais aussi Kampala, ont réellement changé de stratégie dans la région, ou s’ils ont juste décidé de faire une pause, suite aux pressions diplomatiques qu’ils ont reçues.

Il faut aussi se poser peut-être la question des exactions. Le retour des réfugiés risque d’être très difficile. Dans un reportage de Stéphanie Aglietti sur RFI, on entendait ce matin Pérouse, une réfugiée congolaise en Ouganda. Elle est rentrée chez elle pour aussitôt repartir « Les FARDC m’ont pris trois vaches, a-t-elle témoigné. Ils les ont mangées sous prétexte que c’était des vaches appartenant à des Tutsi. Comment voulez-vous que je rentre, si on tue mes vaches, détruit ma maison, et que l’on me fait comprendre que je suis indésirable ? » Cela veut-il dire que la Communauté européenne va devoir agir pour aider à ce retour des réfugiés ? Ça a l’air d’être, encore une fois, extrêmement compliqué ?

Le retour des réfugiés, depuis des années, est un sujet ultrasensible dans les Kivu. D’une part parce qu’il y a cet antagonisme ethnique à l’égard des Tutsis surtout, mais des rwandophones aussi en général, parce que les terres de ceux qui sont partis ont été prises et sont occupées par de nouveaux propriétaires, et parce que dans toute cette zone des Kivus, comme on l’a écrit dans un dernier rapport, vous avez des conflits locaux intercommunautaires, dont l’enjeu principal est la terre et qui sont extrêmement vivaces, extrêmement virulents.

Donc maintenant en effet, il y a tout un travail à faire - si l’affaire du M-23 est définitivement clause - il y aura tout un travail à faire en termes de gestion des conflits locaux, dont le foncier constitue une part essentielle. 


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