Mardi 17 décembre 2013
On s’attendait à ce que la Cour Pénale Internationale fasse, à nouveau, parler d’elle en République Démocratique du Congo. La défaite militaire du M23 offrait une opportunité historique de traduire en justice des criminels décrits, par l’ONU, comme étant parmi les pires au monde.
Mais, manifestement, il va falloir attendre, longtemps. Les plus pessimistes pourraient même désespérer au vu de l’ "ordre des priorités" de la CPI.
En effet, il y a eu bel et bien arrestation au Congo sur instruction de la CPI, mais arrestation d’un député, opposant au régime de Joseph Kabila. Le député Fidèle Babala, proche de Jean-Pierre Bemba (MLC) a été interpelé dimanche dernier à son domicile, à 2h du matin.
Il a été rapidement transféré à la CPI. Avec d’autres coaccusés, l’élu congolais est suspecté d’avoir produit de faux témoignages pour « empêcher la bonne administration de la justice » dans l’affaire « Procureur contre Jean-Pierre Bemba ».
Une infraction, bien entendu, mais anodine, comparée aux crimes qui ont été commis dans l’Est du Congo en particulier par les membres du M23. Comment expliquer l’empressement de la CPI à faire interpeler un député national à qui on ne reproche aucun crime de sang ?
Car pendant ce temps, les dirigeants du M23 coulent des jours paisibles au Rwanda et en Ouganda tout en figurant sur les listes des sanctions de l’ONU, de l’Union européenne et du gouvernement américain. Il y a longtemps qu’ils auraient dû être extradés. Mais la CPI reste désespérément discrète.
Comment expliquer ce deux poids deux mesures ?
La meilleure explication à cet étrange fonctionnement (ou plutôt dysfonctionnement) de la CPI est sans doute celle que propose Patrick Mbeko.
Dans son ouvrage intitulé « Le Canada dans les guerres en Afrique centrale »[1], l’auteur décrit un véritable système d’« Apartheid judiciaire » dans la région des Grands Lacs.
La Cour Pénale Internationale, après avoir suscité de grands espoirs de justice à ses débuts, a sombré peu à peu dans une forme de « Realjuridik » consistant à s’en prendre, sans ménagement, aux dirigeants privés d’appui tout en se montrant discrète face aux « puissants ».
La discrétion sur le cas des membres du M23 s’explique par les enjeux géopolitiques. Ce mouvement menait au Congo une guerre par procuration au profit du Rwanda et de l’Ouganda. Ces deux pays sont de solides alliés des Etats-Unis et de la Grande Bretagne.
Malgré les guerres à répétition qu’ils mènent contre le Congo et l’ampleur des souffrances infligées à la population (plusieurs millions de morts), pas un seul agent de ces deux pays n’a été inquiété par la justice.
Et la Cour Pénale Internationale n’a été d’aucun recours pour les victimes.
Les parrains des deux régimes, que sont Washington et Londres, ne se contentent pas de leur fournir des armes, des instructeurs militaires et de l’aide financière.
Les deux puissances occidentales s’opposent systématiquement aux projets de Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU susceptibles de faire sanctionner Kigali et Kampala pour leurs interventions meurtrières dans l’Est du Congo.
Il s’agit, bien évidemment, de préserver les intérêts des multinationales qui profitent du pillage des gisements miniers de l’Est du Congo.
L’impunité est donc assurée de ce côté-là et la Cour Pénale Internationale semble en avoir pris conscience. Elle n’ose même pas insister. Les dirigeants du M23 peuvent dormir tranquille.
Ce qui pose la question de la légitimité à long terme d’une cour capable de s’accommoder, à ce point, de l’impunité pour ne pas gêner les intérêts des « grandes puissances ».
Car, faut-il toujours le rappeler, la CPI a été créée, justement, pour lutter contre l’impunité des « puissants », ce qui suscita de grands espoirs à travers le monde. Mais onze ans après, elle fait l’objet de trop de sarcasmes.
Les Congolais, et pas seulement, digèrent mal le fait que des élus nationaux puissent être interpelés de façon humiliante pour des infractions aussi « anodines » que celle qui est reprochée au député Fidèle Babala.
Surtout lorsqu’on s’aperçoit qu’en même temps, les « individus » qui ont traumatisé les habitants de Bukavu[2], massacré des civils à Kiwanja et bombardé la ville de Goma semblent toujours assurés de la totale impunité.
________________
Boniface MUSAVULI
-------------------------
[1] Mbeko Patrick, Le Canada dans les guerres en Afrique centrale – Génocides & Pillages des ressources minières du Congo par Rwanda interposé, Le Nègre Editeur, 2012, pp. 573 et svts.
[2] En juin 2004, des troupes commandées par Laurent Nkunda et Jules Mutebutsi, les précurseurs du M23, avait mené une violente attaque contre la ville de Bukavu, capitale de la Province du Sud-Kivu. Elles pillèrent la banque et les habitations avant de se retirer au Rwanda avec leur butin. Selon une ONG locale, 359 personnes furent tuées. 294 femmes furent violées.
On s’attendait à ce que la Cour Pénale Internationale fasse, à nouveau, parler d’elle en République Démocratique du Congo. La défaite militaire du M23 offrait une opportunité historique de traduire en justice des criminels décrits, par l’ONU, comme étant parmi les pires au monde.
Mais, manifestement, il va falloir attendre, longtemps. Les plus pessimistes pourraient même désespérer au vu de l’ "ordre des priorités" de la CPI.
En effet, il y a eu bel et bien arrestation au Congo sur instruction de la CPI, mais arrestation d’un député, opposant au régime de Joseph Kabila. Le député Fidèle Babala, proche de Jean-Pierre Bemba (MLC) a été interpelé dimanche dernier à son domicile, à 2h du matin.
Il a été rapidement transféré à la CPI. Avec d’autres coaccusés, l’élu congolais est suspecté d’avoir produit de faux témoignages pour « empêcher la bonne administration de la justice » dans l’affaire « Procureur contre Jean-Pierre Bemba ».
Une infraction, bien entendu, mais anodine, comparée aux crimes qui ont été commis dans l’Est du Congo en particulier par les membres du M23. Comment expliquer l’empressement de la CPI à faire interpeler un député national à qui on ne reproche aucun crime de sang ?
Car pendant ce temps, les dirigeants du M23 coulent des jours paisibles au Rwanda et en Ouganda tout en figurant sur les listes des sanctions de l’ONU, de l’Union européenne et du gouvernement américain. Il y a longtemps qu’ils auraient dû être extradés. Mais la CPI reste désespérément discrète.
Comment expliquer ce deux poids deux mesures ?
La meilleure explication à cet étrange fonctionnement (ou plutôt dysfonctionnement) de la CPI est sans doute celle que propose Patrick Mbeko.
Dans son ouvrage intitulé « Le Canada dans les guerres en Afrique centrale »[1], l’auteur décrit un véritable système d’« Apartheid judiciaire » dans la région des Grands Lacs.
La Cour Pénale Internationale, après avoir suscité de grands espoirs de justice à ses débuts, a sombré peu à peu dans une forme de « Realjuridik » consistant à s’en prendre, sans ménagement, aux dirigeants privés d’appui tout en se montrant discrète face aux « puissants ».
La discrétion sur le cas des membres du M23 s’explique par les enjeux géopolitiques. Ce mouvement menait au Congo une guerre par procuration au profit du Rwanda et de l’Ouganda. Ces deux pays sont de solides alliés des Etats-Unis et de la Grande Bretagne.
Malgré les guerres à répétition qu’ils mènent contre le Congo et l’ampleur des souffrances infligées à la population (plusieurs millions de morts), pas un seul agent de ces deux pays n’a été inquiété par la justice.
Et la Cour Pénale Internationale n’a été d’aucun recours pour les victimes.
Les parrains des deux régimes, que sont Washington et Londres, ne se contentent pas de leur fournir des armes, des instructeurs militaires et de l’aide financière.
Les deux puissances occidentales s’opposent systématiquement aux projets de Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU susceptibles de faire sanctionner Kigali et Kampala pour leurs interventions meurtrières dans l’Est du Congo.
Il s’agit, bien évidemment, de préserver les intérêts des multinationales qui profitent du pillage des gisements miniers de l’Est du Congo.
L’impunité est donc assurée de ce côté-là et la Cour Pénale Internationale semble en avoir pris conscience. Elle n’ose même pas insister. Les dirigeants du M23 peuvent dormir tranquille.
Ce qui pose la question de la légitimité à long terme d’une cour capable de s’accommoder, à ce point, de l’impunité pour ne pas gêner les intérêts des « grandes puissances ».
Car, faut-il toujours le rappeler, la CPI a été créée, justement, pour lutter contre l’impunité des « puissants », ce qui suscita de grands espoirs à travers le monde. Mais onze ans après, elle fait l’objet de trop de sarcasmes.
Les Congolais, et pas seulement, digèrent mal le fait que des élus nationaux puissent être interpelés de façon humiliante pour des infractions aussi « anodines » que celle qui est reprochée au député Fidèle Babala.
Surtout lorsqu’on s’aperçoit qu’en même temps, les « individus » qui ont traumatisé les habitants de Bukavu[2], massacré des civils à Kiwanja et bombardé la ville de Goma semblent toujours assurés de la totale impunité.
________________
Boniface MUSAVULI
-------------------------
[1] Mbeko Patrick, Le Canada dans les guerres en Afrique centrale – Génocides & Pillages des ressources minières du Congo par Rwanda interposé, Le Nègre Editeur, 2012, pp. 573 et svts.
[2] En juin 2004, des troupes commandées par Laurent Nkunda et Jules Mutebutsi, les précurseurs du M23, avait mené une violente attaque contre la ville de Bukavu, capitale de la Province du Sud-Kivu. Elles pillèrent la banque et les habitations avant de se retirer au Rwanda avec leur butin. Selon une ONG locale, 359 personnes furent tuées. 294 femmes furent violées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire