samedi 25 janvier 2014
« Négritude et Négrologues » de Stanislas Spero Adotevi
Né en 1969 à Alger à l’occasion du premier festival culturel africain, finalisé en 1972, l’ouvrage de Stanislas Spero Adotevi « Négritude et Négrologues » sera la première tentative sérieuse d’analyse critique de la « négritude », ce concept élaboré dans les années 30, place de la Sorbonne, et c’est à noter, à mille lieux des crimes de l’administration coloniales d'une Afrique « pouilleuse, ravalée et broyée » par deux forts en thème : Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire.
Analyse critique car, pour l’auteur, il ne fallait plus penser le monde en général et l'Afrique en particulier en termes de races mais d’individus, de droits et de valeurs ; il est vrai que dans les années 70 la pomme de la discorde était entre les Africains et non plus entre des colons racistes et voleurs et les Noirs, race opprimée.
A la fois onirique, symbolique et poétique, "la négritude » se voulait un concept capable de transformer une insulte courante (sale nègre !) en titre de gloire et d’orgueil.
Né du déracinement (Senghor et Césaire étaient alors étudiants à Paris), élaboré hors-sol pour ainsi dire, au bord de la Seine - qu’il se soit agit de la rive gauche ne change rien à l’affaire -, loin de toute promiscuité avec les causes, ce concept avait comme faiblesse de faire l’impasse sur Hegel, Marx et Lénine : l’Histoire, la lutte des classes et l’action révolutionnaire.
Si l'auteur qualifie " la négritude" de concept abstrait, il reconnaît et paie néanmoins sa dette lorsqu'il écrit : « La négritude n’en demeure pas moins le temps primitif de la renaissance africaine, une prise de conscience et une nouvelle littérature » avant de puiser à pleines mains dans l’immense bêtisier de Césaire, de Senghor et dans une moindre mesure (il arrivera plus tard) de Frantz Fanon accoucheurs de formules telles que « l’homme total africain » ou bien encore « l’intuition mystique propre à l’homme africain ».
Sartre en compagnon de route de cette négritude, ne sera pas en reste (mais c’est moins grave car il s’agit d’un Blanc ; et puis, on ne se refait pas !).
Pour tous ces poètes pris en flagrant délit de fureur narcissique, le Nègre est amour, innocent et heureux. Son royaume est celui de l’enfance. Il n’a donc pas changé depuis la création.
Sous leurs plumes à tous, l'auteur réalise très vite que la négritude court le risque de devenir une mascarade, une avalanche de clichés grotesques, quand ils ne sont pas des lieux communs éculés et des théories les plus réactionnaires.
Le danger est imminent : avec la négritude, le Nègre - senghorien en particulier - n’aurait donc pas sa place auprès du Blanc sur le terrain de la science et de la raison.
Et l’auteur de lancer à la cantonade : « La réalité, celle qui appelle la restructuration du monde, est en effet affaire de révolution et non de bouillonnement poético-cosmique.
La négritude c’est le dernier-né d’une idéologie de domination (1). C’est l’aboutissement de plusieurs décennies d’ethnologie européenne. »
Ces poètes normaliens avaient tout simplement oublié que « les colonisateurs n’étaient pas des poètes mais des manieurs de sabres »,
Humour grinçant, ironique, une écriture loin de la Sorbonne et de ses incantations les plus fumeuses, l’auteur se moque et dénonce le Noir quand il cesse d’être pour mieux rêver ce qu’il n’est pas et qu’il n’a vraiment pas besoin d’être et de regretter non plus.
Et l’auteur de s’exprimer en ces termes : « La négritude retrouvée du salut personnel d’un Césaire ou d’un Senghor, c’est de la névrose. »
De ce fait, la course pour la reconnaissance de la dignité de l’homme noir s’avère sans objet.
Il se moquera aussi de cette bourgeoisie blanche qui « après avoir bousillé l’homme » sur sa machine, ici en Occident, en appelle à « l’idylle de l’humanité et de la nature », là où, comme par magie... l’Afrique et le Nègre apparaissent inévitablement : on pensera aux Duhamel (Georges), aux surréalistes (ce qui n’enlève rien à l’apport colossal de ce mouvement), Picasso, Apollinaire, Sartre encore…
A propos de l’esclave et du racisme anti-Noir, en relation directe avec "la négritude » - insulte transformée en titre de gloire -, doit-on néanmoins affirmer avec l’auteur que l’esclavage n’est pas né du racisme mais bien plutôt le racisme de l’esclavage ?
Les deux ne se sont-ils pas nourris l’un l’autre ?
Après tout, les négriers se faisaient-ils une si haute idée de la personne humaine qui pouvait ou pas, à leurs yeux, habiter le Nègre ?
Leur mépris racial ne devait-il pas se porter plutôt bien (tous n’avaient sans doute pas encore rencontré le Persan de Montesquieu) lorsqu’ils chargeaient sur leurs bateaux des hommes et des femmes à fond de cales pour un voyage dont un sur trois ne connaîtra jamais la destination ?
Ou bien, s’est-il agit d’un esclavage dans l’esprit d’un : « Rien de personnel là-dedans mec ! C’est juste que j’ai envie de me faire un paquet de blé sur ton dos ! »
Car dans cette lutte pour la liberté, comme l'auteur nous le fait remarquer, il y avait - et il y a encore aujourd’hui -, du Blanc dans le Noir et du Noir dans le Blanc ; une lutte pour soi avec l’autre en soi jusqu’à ce constat d’une lucidité qui frôle des sommets : « Va saisir chez le Blanc comment on peut vaincre sans avoir raison ».
Avec Senghor, normalien académicien Président du Sénégal - cet orgueil-là annonce toutes les trahisons -, Adotevi sera cinglant et plus encore, avec l’utilisation politique de cette négritude restée inachevée dans sa théorie, jusqu’à reprocher à ce mal-Président de ne s’être jamais arraché à l’esclavage : « La négritude de Senghor et de ses discours n’étaient rien moins que de la propagande gouvernementale à grand renfort de théories les plus usées sur les traditions africaines et l’âme noire ; propagande qui laisse devant sa faim un peuple expulsé de l’Histoire et qui aboutit à le faire piétiner quand elle ne le paralyse pas dans sa marche. »
La négritude sous Senghor devient alors une néo-cléricature opium du peuple : « C’est dans l’inadéquation aux problèmes africains que se trouve la clé des difficultés que soulève la négritude » (verdict sans appel), et son « socialisme à la sauce africaine » naîtra le plus sérieusement du monde de « la copulation entre des rythmes primordiaux de l’Afrique et des accords fécondants de l’Europe ».
Il s’agira d’un socialisme qui en rassurera plus d'un ; un socialisme de cœur et d’esprit : pas touche aux intérêts du continent européen !
Ce qui n’arrange rien, car la négritude revêt alors les habits d’un en soi indépassable.
***
En 1972, Stanislas Spero Adotevi proposera aux Afrcains le projet suivant : « A nous de régler intelligemment et sans les ethnologues européens dans un développement endogène, la question de la famille africaine, la question des ethnies, celle des traditions, et enfin le problème des classes sociales, tout en sachant que la structure traditionnelle africaine est condamnée. Et ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c’est des tracteurs et pas seulement de métaphores. »
Quarante ans plus tard, à l’heure d’une mondialisation vorace et impitoyable, il semblerait que cette problématique ait pris une dimension et une accélération gigantesques.
1 - Après tout, peut-on faire remarquer sans provocation excessive qu'en Algérie, Frantz Fanon était médecin psychiatre et non Marabout à visiter à dos d’âne les bleds de la région à la recherche d’une âme à soulager !
Senghor a pris sa retraite de Président du Sénégal sous la pluie, en Normandie : vaches normandes, haras, concours hippiques et climat tempéré…
Quant à Aimé Césaire, il sera maire de Fort-de-France. Il ne partagera pas le destin d’un... disons... Che Guevara.
Béninois, Stanilas Spero Adotevi est né en 1934. Il a enseigné la philosophie et l'anthropologie à Paris avant d'occuper de hautes fonctions à l'UNICEF. Il vit à Ouagadougou.
« Négritude et Négrologues » de Stanislas Spero Adotevi
Né en 1969 à Alger à l’occasion du premier festival culturel africain, finalisé en 1972, l’ouvrage de Stanislas Spero Adotevi « Négritude et Négrologues » sera la première tentative sérieuse d’analyse critique de la « négritude », ce concept élaboré dans les années 30, place de la Sorbonne, et c’est à noter, à mille lieux des crimes de l’administration coloniales d'une Afrique « pouilleuse, ravalée et broyée » par deux forts en thème : Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire.
Analyse critique car, pour l’auteur, il ne fallait plus penser le monde en général et l'Afrique en particulier en termes de races mais d’individus, de droits et de valeurs ; il est vrai que dans les années 70 la pomme de la discorde était entre les Africains et non plus entre des colons racistes et voleurs et les Noirs, race opprimée.
A la fois onirique, symbolique et poétique, "la négritude » se voulait un concept capable de transformer une insulte courante (sale nègre !) en titre de gloire et d’orgueil.
Né du déracinement (Senghor et Césaire étaient alors étudiants à Paris), élaboré hors-sol pour ainsi dire, au bord de la Seine - qu’il se soit agit de la rive gauche ne change rien à l’affaire -, loin de toute promiscuité avec les causes, ce concept avait comme faiblesse de faire l’impasse sur Hegel, Marx et Lénine : l’Histoire, la lutte des classes et l’action révolutionnaire.
Si l'auteur qualifie " la négritude" de concept abstrait, il reconnaît et paie néanmoins sa dette lorsqu'il écrit : « La négritude n’en demeure pas moins le temps primitif de la renaissance africaine, une prise de conscience et une nouvelle littérature » avant de puiser à pleines mains dans l’immense bêtisier de Césaire, de Senghor et dans une moindre mesure (il arrivera plus tard) de Frantz Fanon accoucheurs de formules telles que « l’homme total africain » ou bien encore « l’intuition mystique propre à l’homme africain ».
Sartre en compagnon de route de cette négritude, ne sera pas en reste (mais c’est moins grave car il s’agit d’un Blanc ; et puis, on ne se refait pas !).
Pour tous ces poètes pris en flagrant délit de fureur narcissique, le Nègre est amour, innocent et heureux. Son royaume est celui de l’enfance. Il n’a donc pas changé depuis la création.
Sous leurs plumes à tous, l'auteur réalise très vite que la négritude court le risque de devenir une mascarade, une avalanche de clichés grotesques, quand ils ne sont pas des lieux communs éculés et des théories les plus réactionnaires.
Le danger est imminent : avec la négritude, le Nègre - senghorien en particulier - n’aurait donc pas sa place auprès du Blanc sur le terrain de la science et de la raison.
Et l’auteur de lancer à la cantonade : « La réalité, celle qui appelle la restructuration du monde, est en effet affaire de révolution et non de bouillonnement poético-cosmique.
La négritude c’est le dernier-né d’une idéologie de domination (1). C’est l’aboutissement de plusieurs décennies d’ethnologie européenne. »
Ces poètes normaliens avaient tout simplement oublié que « les colonisateurs n’étaient pas des poètes mais des manieurs de sabres »,
Humour grinçant, ironique, une écriture loin de la Sorbonne et de ses incantations les plus fumeuses, l’auteur se moque et dénonce le Noir quand il cesse d’être pour mieux rêver ce qu’il n’est pas et qu’il n’a vraiment pas besoin d’être et de regretter non plus.
Et l’auteur de s’exprimer en ces termes : « La négritude retrouvée du salut personnel d’un Césaire ou d’un Senghor, c’est de la névrose. »
De ce fait, la course pour la reconnaissance de la dignité de l’homme noir s’avère sans objet.
Il se moquera aussi de cette bourgeoisie blanche qui « après avoir bousillé l’homme » sur sa machine, ici en Occident, en appelle à « l’idylle de l’humanité et de la nature », là où, comme par magie... l’Afrique et le Nègre apparaissent inévitablement : on pensera aux Duhamel (Georges), aux surréalistes (ce qui n’enlève rien à l’apport colossal de ce mouvement), Picasso, Apollinaire, Sartre encore…
A propos de l’esclave et du racisme anti-Noir, en relation directe avec "la négritude » - insulte transformée en titre de gloire -, doit-on néanmoins affirmer avec l’auteur que l’esclavage n’est pas né du racisme mais bien plutôt le racisme de l’esclavage ?
Les deux ne se sont-ils pas nourris l’un l’autre ?
Après tout, les négriers se faisaient-ils une si haute idée de la personne humaine qui pouvait ou pas, à leurs yeux, habiter le Nègre ?
Leur mépris racial ne devait-il pas se porter plutôt bien (tous n’avaient sans doute pas encore rencontré le Persan de Montesquieu) lorsqu’ils chargeaient sur leurs bateaux des hommes et des femmes à fond de cales pour un voyage dont un sur trois ne connaîtra jamais la destination ?
Ou bien, s’est-il agit d’un esclavage dans l’esprit d’un : « Rien de personnel là-dedans mec ! C’est juste que j’ai envie de me faire un paquet de blé sur ton dos ! »
Car dans cette lutte pour la liberté, comme l'auteur nous le fait remarquer, il y avait - et il y a encore aujourd’hui -, du Blanc dans le Noir et du Noir dans le Blanc ; une lutte pour soi avec l’autre en soi jusqu’à ce constat d’une lucidité qui frôle des sommets : « Va saisir chez le Blanc comment on peut vaincre sans avoir raison ».
Avec Senghor, normalien académicien Président du Sénégal - cet orgueil-là annonce toutes les trahisons -, Adotevi sera cinglant et plus encore, avec l’utilisation politique de cette négritude restée inachevée dans sa théorie, jusqu’à reprocher à ce mal-Président de ne s’être jamais arraché à l’esclavage : « La négritude de Senghor et de ses discours n’étaient rien moins que de la propagande gouvernementale à grand renfort de théories les plus usées sur les traditions africaines et l’âme noire ; propagande qui laisse devant sa faim un peuple expulsé de l’Histoire et qui aboutit à le faire piétiner quand elle ne le paralyse pas dans sa marche. »
La négritude sous Senghor devient alors une néo-cléricature opium du peuple : « C’est dans l’inadéquation aux problèmes africains que se trouve la clé des difficultés que soulève la négritude » (verdict sans appel), et son « socialisme à la sauce africaine » naîtra le plus sérieusement du monde de « la copulation entre des rythmes primordiaux de l’Afrique et des accords fécondants de l’Europe ».
Il s’agira d’un socialisme qui en rassurera plus d'un ; un socialisme de cœur et d’esprit : pas touche aux intérêts du continent européen !
Ce qui n’arrange rien, car la négritude revêt alors les habits d’un en soi indépassable.
***
En 1972, Stanislas Spero Adotevi proposera aux Afrcains le projet suivant : « A nous de régler intelligemment et sans les ethnologues européens dans un développement endogène, la question de la famille africaine, la question des ethnies, celle des traditions, et enfin le problème des classes sociales, tout en sachant que la structure traditionnelle africaine est condamnée. Et ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c’est des tracteurs et pas seulement de métaphores. »
Quarante ans plus tard, à l’heure d’une mondialisation vorace et impitoyable, il semblerait que cette problématique ait pris une dimension et une accélération gigantesques.
1 - Après tout, peut-on faire remarquer sans provocation excessive qu'en Algérie, Frantz Fanon était médecin psychiatre et non Marabout à visiter à dos d’âne les bleds de la région à la recherche d’une âme à soulager !
Senghor a pris sa retraite de Président du Sénégal sous la pluie, en Normandie : vaches normandes, haras, concours hippiques et climat tempéré…
Quant à Aimé Césaire, il sera maire de Fort-de-France. Il ne partagera pas le destin d’un... disons... Che Guevara.
Béninois, Stanilas Spero Adotevi est né en 1934. Il a enseigné la philosophie et l'anthropologie à Paris avant d'occuper de hautes fonctions à l'UNICEF. Il vit à Ouagadougou.
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