Pour la première fois que je suis d’accord avec mon président, il me fait pitié. Vraiment.
D’accord car, et Kagame a mille fois raison, les (pouvoirs) Occidentaux se prennent trop souvent pour Dieu le Père. C’est au nom de cette condescendance qu’ils ont en effet réduit l’homme noir en un personnage indéfiniment taillable et corvéable à merci.
De la traite négrière aux génocides africains, la langue fourchue et la main de fer de l’Occident ont rarement contribué à l’essor de notre continent. Une des anciennes fréquentations de mon président affirmait même que nous ne sommes pas « assez » entrés dans l’Histoire !
Pitié car malgré la détermination de son verbe, on sent le ton de Kagame bien résigné. Pitié surtout car il semble découvrir ce sinistre constat qu’à la faveur des aides qu’on lui a coupées.
Il n’a plus de mots assez durs pour fustiger ce qui a tout l’air d’un revirement de ses amis arrogants d’hier; il n’y a plus de meeting où il n’en parle pas… Le dernier en date est cette réunion de prière tenue ce 13 janvier 2013 à l’hôtel Serena de Kigali. Il n’en peut plus mon président, mais que puis-je pour lui ?
A son adresse, j’ai trois simples, mais salutaires suggestions : qu’il accepte d’abord son sort, qu’il écoute ensuite son peuple et, enfin, qu’il tourne une bonne fois pour toute la page que, péniblement, il écrit depuis au moins octobre 1990.
Oui, accepter son sort. Celui d’un homme de main que ses commanditaires sont en train de subrepticement lâcher. C’est triste à admettre pour le général qu’il est, surtout pour le stoppeur du génocide qu’il prétend être, mais demeurer dans le déni n’aura pour effet que de le pousser au faux pas de trop. Celui attendu impatiemment par tous ceux qui l’ont soutenu, acclamé et protégé pour qu’ils retournent leur veste.
Bien d’autres sont passés par là avant lui et à chaque fois qu’ils bombaient leurs torses, on leur opposait, sans hésitation ni scrupules, quelqu’un de leur entourage, sinon un opposant longtemps ignoré, voire humilié. Robert Mugabe, Dadis Camara, Laurent Gbagbo, etc. Tous en savent quelque chose et Kagame n’a qu’à méditer sur le sort des uns ou des autres en ayant la possibilité du sacrifice suprême dans sa tête.
Venu d’Ouganda, le stagiaire de Fort Leavensworth a terminé sa mission. Place donc à son exfiltration/neutralisation.
Le temps est donc venu pour le maître d’Afandie d’écouter son peuple. La petite revanche de ce dernier ne fait que commencer, lui qui vient de passer plus de 18 ans sous un diktat sans nom.
Soit donc Kagame accompagne son peuple dans cette nouvelle marche vers une normalisation de la vie publique, soit il enfonce des bouts de bois dans ses oreilles.
Qu’il commence par le plus simple : libérer tous ceux que son régime garde injustement à l’ombre. Qu’il décrète la fin de l’état d’exception (de fait) que ses afande et lui-même ont imposé au pays depuis juillet 1994.
Avec des propos clairs et quelques actes courageux, Kagame peut en effet alléger le fardeau que son système fait peser aux Rwandais ordinaires, c’est-à-dire tous ceux qui ne font pas partie de sa maisonnée. Abolir les innombrables taxes payées par le paysan, soutenir comme il se doit tous les laissés-pour-compte du génocide, désarmer les différentes milices du régime, amnistier tous ceux qui n’ont pas entraîné le peuple dans le génocide, châtier les criminels de son armée, entamer une réconciliation vraie avec le peuple congolais et initier avec eux un partenariat respectable, etc.
Cette bouffée inespérée d’oxygène le fera se réconcilier avec le Rwanda et coupera sans conteste l’herbe sous les pieds de ces Occidentaux qu’il est en train d’apprendre à détester cordialement.
Une fois ces pas franchis, His Excellency n’aura qu’à faire – à l’image du mwalimu Julius Nyerere qu’il admire – un pas de côté de son plein gré et évitera à ses courtes nuits la hantise d’un sort ou d’une mort à la Samuel Kanyon Doe (sergent), Mengistu Hailé Mariam (colonel), Juvenal Habyarimana (général) et j’en passe, et des plus infortunés. Ce serait la voie de la sagesse et du courage.
Ne disait-il pas justement dans son allocution de circonstance ceci : ntimuzemere ko hari abantu bababera imana, nta bantu b’imana ku bandi, ntibibaho, kirazira ? (N’acceptez pas que des personnes soient Dieu pour vous, personne n’est Dieu pour ses semblables, c’est inacceptable, interdit).
Pourquoi donc lui, fils de Rutagambwa, voudrait-il s’arroger un droit divin (kwica no gukiza) sur les 10 millions de ses compatriotes ainsi que tous les Kivutiens ?
Autant donc il dénie (avec raison, répétons-le) à ses partenaires et amis d’hier le droit de disposer de lui comme ils l’entendent, autant Kagame devrait en ce début 2013 comprendre qu’il ne lui appartient pas de chosifier les Rwandais.
Sinon, le goût amer de l’aventure M23 risque de se muer en brûlant. Dans le ventre même de l’Afandie. Et là, ce sera alors le vrai compte à rebours…
Dans cette découverte soudaine, mais plutôt décevante de sa condition humaine, le prochain ex-demi-dieu Kagame a conclu par une phrase hautement instructive : « kubabwira ntibyananira, aliko nananirwa no kubahindura ».
Dans cette découverte soudaine, mais plutôt décevante de sa condition humaine, le prochain ex-demi-dieu Kagame a conclu par une phrase hautement instructive : « kubabwira ntibyananira, aliko nananirwa no kubahindura ».
Qui l’eût cru ? Le président Kagame réalise enfin qu’il n’est pas si surpuissant qu’il le croyait ou qu’il voulait nous le faire croire jusqu’à présent. Qu’il n’aura pas éternellement la main, qu’il n’a pas emprise sur tout. Qu’il est humain, qu’il passera et que la nation restera.
Dans L’Herbe et le varech, Hélène Ouvrard dit qu’« Il faut sans cesse et sans cesse passer par toutes les étapes de la désillusion, se retrouver seul et toucher le fond de sa détresse. Choisir le difficile, l’impossible, la nuit, ce qui n’est pas dit. Ecrire est à ce prix. Vivre aussi».
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(Cecil Kami)
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