11 décembre 2014
C’était il y a deux ans, en juillet 2012 : le diplomate français Laurent Bigot a fait scandale en annonçant la chute de Blaise Compaoré. Et six mois plus tard, il a été limogé de son poste Afrique de l’Ouest au quai d’Orsay.
Aujourd’hui, il vit au Maroc et travaille comme consultant sur l’Afrique sub-saharienne. Après le Burkina Faso, y aura-t-il d’autres pays où la jeunesse se révoltera ?
L’homme qui a vu juste avant tout le monde répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : En juillet 2012, vous étiez le monsieur Afrique de l’Ouest du quai d’Orsay. Et lors d’un colloque à l’Institut français des relations internationales (Ifri), vous avez prédit la chute du régime de Blaise Compaoré, ce qui vous a coûté votre poste d’ailleurs. Pourquoi cette analyse prémonitoire ?
Laurent Bigot : Tous les ingrédients de la chute étaient là. Blaise Compaoré était au pouvoir depuis 1987. Toute l’économie était dirigée par un clan proche du pouvoir, des indicateurs sociaux et économiques ne progressaient pas dans ce pays.
Puis surtout, il y avait un ras-le-bol généralisé. Donc il suffisait de faire une analyse assez précise de la situation pour comprendre qu’un jour ou l’autre, Blaise Compaoré tomberait et assez vite.
Peut-il y avoir d’autres Burkina Faso ?
Difficile de mesurer l’onde de choc, mais il y a une onde de choc incontestablement parce que tout le monde pensait que Blaise Compaoré était bien installé et il est tombé très vite. Puis surtout, c’est la démonstration que, quand la jeunesse décide de se prendre en main, rien ne l’arrête.
Des populations jeunes, de plus en plus urbanisées, avec une conscience politique connectée au monde. Les ingrédients sont là pour que les pouvoirs qui n’écoutent pas leur peuple se trouvent un jour ou l’autre balayés.
Y’en a marre au Sénégal, le Balai citoyen au Burkina Faso ?
Oui. Ce sont des mouvements citoyens qui, en plus, sont une mobilisation sur une base qui n’est pas du tout dogmatique, mais très pragmatique. Et ce sont des mobilisations sur des revendications très basiques, très simples qui correspondent à la vie de tous les citoyens.
En Afrique de l’Ouest il y a des pays où la gouvernance est catastrophique, où les dirigeants sont là depuis très longtemps.
Le cas du Togo nous vient immédiatement à l’esprit. Le clan Gnassingbé, ça fait près de 47 ans qu’il est au pouvoir. Il y a d’autres pays où la gouvernance pourrait aussi provoquer ce genre de mouvement populaire.
Au Congo-Brazzaville, au Congo-Kinshasa, on prête au président en place la volonté de modifier la Constitution ou de retarder les échéances afin de se maintenir au pouvoir. Après les évènements du Burkina, est-ce que ce genre d’entreprise ne devient pas risquée ?
La modification de la Constitution en soi n’est pas un problème, puisque les constitutions peuvent évoluer pourvu qu’elles se fassent avec l’assentiment du peuple.
Le vrai problème, c’est quand on souhaite modifier la Constitution et que ça ne correspond pas aux aspirations populaires, et quand ce sont des pouvoirs qui sont en place depuis longtemps et qui ne bénéficient pas au plus grand nombre. C’est ce cocktail-là qui est explosif.
De plus en plus, le critère de longévité ne prévaudra plus, mais c’est simplement le critère de bonne gouvernance c’est-à-dire que les peuples ont probablement chassé les pouvoirs qui ne sont pas à leur disposition. Là c’est vrai qu’on a le cocktail longévité, un pouvoir qui capture les richesses nationales et la volonté de se maintenir.
Depuis la révolution du 31 octobre au Burkina, François Hollande tient des propos très fermes contre tous les bricoleurs de constitutions. Il a raison ?
Par définition, il est président donc il a raison. Le sujet une nouvelle fois, ce n’est pas de focaliser sur la Constitution. D’abord je remarque qu’on n’a rien dit à Abdelaziz Bouteflika en Algérie quand il a bricolé sa Constitution.
Donc il ne faut pas qu’il y ait deux poids, deux mesures. Le message à adresser à tous ces pouvoirs qui veulent se maintenir, c’est «travaillez au bénéfice de votre peuple et vous pourrez vous maintenir, vous aurez cette légitimité, si non vous serez balayés».
La nomination de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie(OIF) au Sommet de Dakar, cest un symbole, c’est un tournant ?
Ce n’est pas un tournant. Yamina Benguigui avait une formule en disant « Le Français n’appartient pas à la France ». La Francophonie n’appartient à personne, elle appartient à tout le monde. Donc il n’y a pas de tournant particulier. La Francophonie appartient à tous ceux qui veulent y adhérer.
Dans une allusion transparente à François Hollande, le président ivoirien Alassane Ouattara dit qu’il faut faire attention à ne pas encourager des insurrections et que de toute façon, les Africains n’ont pas de leçon à recevoir de l’extérieur ?
Oui, il a raison. Les Africains n’ont pas de leçon à recevoir de l’extérieur. Les Africains vont donner des leçons à leurs dirigeants.
Au nom de la lutte anti-terroriste, y a t-il des régimes africains qui sont peut-être plus épargnés que d’autres par François Hollande, le défenseur des droits de l’homme et de la démocratie ?
Il y a un régime qui pose problème, c’est la Mauritanie. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz a joué là-dessus. C’est une véritable rente diplomatique pour lui, la lutte contre le terrorisme.
Je vous invite à lire l’interview que l’ancien président Mohamed Ould Ely Vall a donnée à un média mauritanien. Il décrit l’Etat de la Mauritanie, c’est assez édifiant. Comme personne ne l’a attaqué en diffamation, j’imagine que ce qu’il a dit est juste.
Mais c’est assez inquiétant de voir à quel point le régime est gangrené de toute part. Et la rente de la lutte contre le terrorisme permet aussi par ailleurs des écarts considérables qu’on paye un jour ou l’autre.
Y a-t-il d’autres pays dans ce cas de figure ?
Il y a un pays le Tchad qui s’est engagé au côté de la France et qui a payé le prix du sang. Et cela, on ne peut pas le lui enlever. Ils ont de nombreux soldats qui sont tombés au champ d’honneur.
Ils ont vraiment lutté contre le terrorisme, c’est incontestable. Après on peut discuter sur la gouvernance du régime d’Idriss Déby.
Le passage de l’opération française Serval à celle de Barkhane ? Est-ce la bonne solution au Sahel ?
Le terrorisme est probablement une des nombreuses conséquences d’une profonde crise de gouvernance au Sahel et en Afrique de l’Ouest en général. Donc c’est un problème politique. Et si on n’y oppose qu’une solution militaire, on ne résoudra pas le problème.
François Hollande souhaite la création d’une force africaine de réaction rapide. Mais en attendant, est-ce que les soldats français ne sont pas condamnés à rester de longues années en Afrique ?
La question qu’il faut se poser, c’est pourquoi tous ces Etats africains n’ont jamais voulu constituer d’armée. Pour de nombreux chefs d’Etat, l’armée est un danger pour eux.
Donc ils constituent une garde prétorienne pour leur protection et pour le reste, il s’assure que l’armée ne soit pas en capacité de faire de coups d’Etat.
A partir du moment où les dirigeants seront en diapason de leur peuple, ils n’auront plus rien à craindre de leur armée, et enfin les armées pourront jouer leur rôle.
Si vous n’aviez pas été piégé en 2012 par cette vidéo à l’Ifri, est-ce que vous seriez encore aujourd’hui au quai d’Orsay ou pas ?
Avec des si, on mettrait Paris dans une bouteille.
Est-ce que Blaise Compaoré a demandé votre tête à Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères ?
Il y a eu une protestation officielle, une note verbale adressée à notre ambassade à Ouagadougou. La réponse officielle a été d’expliquer les conditions dans lesquelles j’avais pris la parole et dans lesquelles avait été diffusée cette intervention, c’est-à-dire malgré moi. Je crois que les Burkinabè ont compris.
Ils n’ont pas…
Pas à ma connaissance. Une fois la réponse à leur protestation donnée, je n’ai pas connaissance d’autre pression.
Donc le limogeage est plus à l’initiative du ministère français des Affaires étrangères ?
Oui. C’est plus du franco-français que lié à des interventions africaines.
Et pourquoi dérangiez-vous à ce point ?
Allez poser la question à ceux qui ont voulu me couper la tête.
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C’était il y a deux ans, en juillet 2012 : le diplomate français Laurent Bigot a fait scandale en annonçant la chute de Blaise Compaoré. Et six mois plus tard, il a été limogé de son poste Afrique de l’Ouest au quai d’Orsay.
L’homme qui a vu juste avant tout le monde répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : En juillet 2012, vous étiez le monsieur Afrique de l’Ouest du quai d’Orsay. Et lors d’un colloque à l’Institut français des relations internationales (Ifri), vous avez prédit la chute du régime de Blaise Compaoré, ce qui vous a coûté votre poste d’ailleurs. Pourquoi cette analyse prémonitoire ?
Laurent Bigot : Tous les ingrédients de la chute étaient là. Blaise Compaoré était au pouvoir depuis 1987. Toute l’économie était dirigée par un clan proche du pouvoir, des indicateurs sociaux et économiques ne progressaient pas dans ce pays.
Puis surtout, il y avait un ras-le-bol généralisé. Donc il suffisait de faire une analyse assez précise de la situation pour comprendre qu’un jour ou l’autre, Blaise Compaoré tomberait et assez vite.
Peut-il y avoir d’autres Burkina Faso ?
Difficile de mesurer l’onde de choc, mais il y a une onde de choc incontestablement parce que tout le monde pensait que Blaise Compaoré était bien installé et il est tombé très vite. Puis surtout, c’est la démonstration que, quand la jeunesse décide de se prendre en main, rien ne l’arrête.
Des populations jeunes, de plus en plus urbanisées, avec une conscience politique connectée au monde. Les ingrédients sont là pour que les pouvoirs qui n’écoutent pas leur peuple se trouvent un jour ou l’autre balayés.
Y’en a marre au Sénégal, le Balai citoyen au Burkina Faso ?
Oui. Ce sont des mouvements citoyens qui, en plus, sont une mobilisation sur une base qui n’est pas du tout dogmatique, mais très pragmatique. Et ce sont des mobilisations sur des revendications très basiques, très simples qui correspondent à la vie de tous les citoyens.
En Afrique de l’Ouest il y a des pays où la gouvernance est catastrophique, où les dirigeants sont là depuis très longtemps.
Le cas du Togo nous vient immédiatement à l’esprit. Le clan Gnassingbé, ça fait près de 47 ans qu’il est au pouvoir. Il y a d’autres pays où la gouvernance pourrait aussi provoquer ce genre de mouvement populaire.
Au Congo-Brazzaville, au Congo-Kinshasa, on prête au président en place la volonté de modifier la Constitution ou de retarder les échéances afin de se maintenir au pouvoir. Après les évènements du Burkina, est-ce que ce genre d’entreprise ne devient pas risquée ?
La modification de la Constitution en soi n’est pas un problème, puisque les constitutions peuvent évoluer pourvu qu’elles se fassent avec l’assentiment du peuple.
Le vrai problème, c’est quand on souhaite modifier la Constitution et que ça ne correspond pas aux aspirations populaires, et quand ce sont des pouvoirs qui sont en place depuis longtemps et qui ne bénéficient pas au plus grand nombre. C’est ce cocktail-là qui est explosif.
De plus en plus, le critère de longévité ne prévaudra plus, mais c’est simplement le critère de bonne gouvernance c’est-à-dire que les peuples ont probablement chassé les pouvoirs qui ne sont pas à leur disposition. Là c’est vrai qu’on a le cocktail longévité, un pouvoir qui capture les richesses nationales et la volonté de se maintenir.
Depuis la révolution du 31 octobre au Burkina, François Hollande tient des propos très fermes contre tous les bricoleurs de constitutions. Il a raison ?
Par définition, il est président donc il a raison. Le sujet une nouvelle fois, ce n’est pas de focaliser sur la Constitution. D’abord je remarque qu’on n’a rien dit à Abdelaziz Bouteflika en Algérie quand il a bricolé sa Constitution.
Donc il ne faut pas qu’il y ait deux poids, deux mesures. Le message à adresser à tous ces pouvoirs qui veulent se maintenir, c’est «travaillez au bénéfice de votre peuple et vous pourrez vous maintenir, vous aurez cette légitimité, si non vous serez balayés».
La nomination de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie(OIF) au Sommet de Dakar, cest un symbole, c’est un tournant ?
Ce n’est pas un tournant. Yamina Benguigui avait une formule en disant « Le Français n’appartient pas à la France ». La Francophonie n’appartient à personne, elle appartient à tout le monde. Donc il n’y a pas de tournant particulier. La Francophonie appartient à tous ceux qui veulent y adhérer.
Dans une allusion transparente à François Hollande, le président ivoirien Alassane Ouattara dit qu’il faut faire attention à ne pas encourager des insurrections et que de toute façon, les Africains n’ont pas de leçon à recevoir de l’extérieur ?
Oui, il a raison. Les Africains n’ont pas de leçon à recevoir de l’extérieur. Les Africains vont donner des leçons à leurs dirigeants.
Au nom de la lutte anti-terroriste, y a t-il des régimes africains qui sont peut-être plus épargnés que d’autres par François Hollande, le défenseur des droits de l’homme et de la démocratie ?
Il y a un régime qui pose problème, c’est la Mauritanie. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz a joué là-dessus. C’est une véritable rente diplomatique pour lui, la lutte contre le terrorisme.
Je vous invite à lire l’interview que l’ancien président Mohamed Ould Ely Vall a donnée à un média mauritanien. Il décrit l’Etat de la Mauritanie, c’est assez édifiant. Comme personne ne l’a attaqué en diffamation, j’imagine que ce qu’il a dit est juste.
Mais c’est assez inquiétant de voir à quel point le régime est gangrené de toute part. Et la rente de la lutte contre le terrorisme permet aussi par ailleurs des écarts considérables qu’on paye un jour ou l’autre.
Y a-t-il d’autres pays dans ce cas de figure ?
Il y a un pays le Tchad qui s’est engagé au côté de la France et qui a payé le prix du sang. Et cela, on ne peut pas le lui enlever. Ils ont de nombreux soldats qui sont tombés au champ d’honneur.
Ils ont vraiment lutté contre le terrorisme, c’est incontestable. Après on peut discuter sur la gouvernance du régime d’Idriss Déby.
Le passage de l’opération française Serval à celle de Barkhane ? Est-ce la bonne solution au Sahel ?
Le terrorisme est probablement une des nombreuses conséquences d’une profonde crise de gouvernance au Sahel et en Afrique de l’Ouest en général. Donc c’est un problème politique. Et si on n’y oppose qu’une solution militaire, on ne résoudra pas le problème.
François Hollande souhaite la création d’une force africaine de réaction rapide. Mais en attendant, est-ce que les soldats français ne sont pas condamnés à rester de longues années en Afrique ?
La question qu’il faut se poser, c’est pourquoi tous ces Etats africains n’ont jamais voulu constituer d’armée. Pour de nombreux chefs d’Etat, l’armée est un danger pour eux.
Donc ils constituent une garde prétorienne pour leur protection et pour le reste, il s’assure que l’armée ne soit pas en capacité de faire de coups d’Etat.
A partir du moment où les dirigeants seront en diapason de leur peuple, ils n’auront plus rien à craindre de leur armée, et enfin les armées pourront jouer leur rôle.
Si vous n’aviez pas été piégé en 2012 par cette vidéo à l’Ifri, est-ce que vous seriez encore aujourd’hui au quai d’Orsay ou pas ?
Avec des si, on mettrait Paris dans une bouteille.
Est-ce que Blaise Compaoré a demandé votre tête à Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères ?
Il y a eu une protestation officielle, une note verbale adressée à notre ambassade à Ouagadougou. La réponse officielle a été d’expliquer les conditions dans lesquelles j’avais pris la parole et dans lesquelles avait été diffusée cette intervention, c’est-à-dire malgré moi. Je crois que les Burkinabè ont compris.
Ils n’ont pas…
Pas à ma connaissance. Une fois la réponse à leur protestation donnée, je n’ai pas connaissance d’autre pression.
Donc le limogeage est plus à l’initiative du ministère français des Affaires étrangères ?
Oui. C’est plus du franco-français que lié à des interventions africaines.
Et pourquoi dérangiez-vous à ce point ?
Allez poser la question à ceux qui ont voulu me couper la tête.
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