08 Juin 2015
Une vue du cimetière Fula Fula à Maluku
Des familles craignent qu’elle ne contienne les cadavres de victimes des forces de sécurité. Les autorités de la République démocratique du Congo devraient sans tarder et de manière appropriée exhumer les corps enterrés dans une fosse commune qui pourrait contenir les cadavres de victimes de disparitions forcées ou d’exécutions commises par les forces de sécurité congolaises, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 5 juin 2015, les familles de 34 victimes ont déposé une plainte publique auprès du Procureur général de la République, réclamant justice et l’exhumation des corps inhumés dans cette fosse, située à Maluku, dans une zone rurale à environ 80 kilomètres de la capitale, Kinshasa.
Des habitants de cette zone, des dirigeants de l’opposition, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo (MONUSCO) et des organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, ont exprimé leur préoccupation au sujet de l’inhumation massive effectuée de nuit le 19 mars à la lisière du cimetière de Fula-Fula à Maluku, à laquelle des membres des forces de sécurité gouvernementales ont participé.
Le gouvernement n’a ni exhumé les dépouilles ni révélé les identités des personnes enterrées. « Deux mois après la découverte de la fosse commune à Maluku, les autorités congolaises n’ont toujours pas fait la lumière sur l’identité des personnes qui y sont enterrées », a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch.
« Les familles de victimes de violations des droits humains ont le droit de savoir si leurs proches sont parmi les personnes ensevelies dans cette fosse. »
Les autorités devraient effectuer immédiatement une opération d’exhumation en bonne et due forme, avec l’aide d’experts internationaux, a déclaré Human Rights Watch.
Des gouvernements étrangers, ainsi que les Nations Unies, devraient appuyer cette investigation, y compris en fournissant des experts en médecine légale qui seraient chargés d’aider à exhumer les corps et d’effectuer des analyses d’ADN.
Les circonstances inhabituelles de cet enfouissement de masse a accentué la crainte que ce cimetière soit utilisé pour dissimuler les corps de victimes d’abus commis par le gouvernement, a souligné Human Rights Watch.
Une femme de Maluku a déclaré à Human Rights Watch que le 19 mars vers 2h00 du matin, alors qu’elle rentrait chez elle à pied d’une veillée de nuit dans son église, elle a vu un gros camion à benne entrer dans le cimetière de Fula-Fula.
Elle a affirmé que plus d’une dizaine d’hommes en uniforme militaire se trouvaient à bord du camion, ainsi que d’autres en tenue civile, et qu’une grande bâche blanche recouvrait le contenu du camion.
Le propriétaire d’un champ situé à côté du cimetière a déclaré que le 19 mars vers 5h00 du matin, il a vu un gros camion à benne et des hommes qui pelletaient de la terre à la limite du cimetière. Quand il est retourné à son domicile ce matin-là, des hommes qui lui ont paru appartenir aux services de renseignement l’ont accosté et lui ont demandé ce qu’il avait vu au cimetière.
Au cours des jours et des semaines suivants, des hommes non identifiés se sont présentés à son domicile à au moins quatre reprises, puis sur son lieu de travail, où ils l’ont accusé d’avoir « divulgué le secret » au sujet de la fosse commune. Début avril, il a reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui a dit: « Toi, attends. Tu vas mourir. »
La découverte de la fosse commune est survenue dans un contexte de tensions politiques croissantes et d’une répression de plus en plus sévère à l’encontre d’activistes, de dirigeants politiques et d’autres personnes qui se sont opposées aux tentatives visant à permettre au président congolais, Joseph Kabila, de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite de deux mandats imposée par la constitution, son second mandat se terminant fin 2016.
Le 3 avril, Évariste Boshab, vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur de la RD Congo, a annoncé, lors d’une réunion avec d’autres officiels de haut rang du gouvernement et des forces de sécurité, des représentants de Human Rights Watch et de la MONUSCO ainsi que des journalistes congolais, que 421 corps avaient été inhumés dans la fosse commune.
Il a affirmé que cette inhumation était une « procédure normale » et que les dépouilles étaient celles d’indigents dont les familles n’avaient pas les moyens de financer un enterrement classique, de personnes décédées non identifiées et de bébés morts-nés.
Toutefois, des responsables de la Croix-Rouge congolaise ainsi que des employés d’hôpitaux et de morgues ont affirmé à Human Rights Watch que cet enterrement massif n’était pas une procédure normale.
Ils ont indiqué que la pratique habituelle concernant les bébés morts-nés était de les enterrer le même jour ou dans les deux jours suivant le drame, soit souvent dans des endroits réservés dans l’enceinte de l’hôpital, soit par les familles elles-mêmes dans un cimetière.
Les corps de personnes indigentes et les cadavres non identifiés sont habituellement inhumés de jour dans des cercueils bon marché lors d’un enterrement digne dans l’un des cimetières de Kinshasa, si personne ne réclame le corps après l’annonce publique de sa découverte.
Évariste Boshab a affirmé, lors de la réunion du 3 avril, que si des doutes subsistaient sur les identités des personnes enterrées dans la fosse, les corps seraient exhumés.
Le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, qui participait à cette réunion, s’est fait l’écho de l’engagement de son collègue de faire exhumer les corps en cas de tels doutes.
Ghislain Mwehu Kahozi, un procureur de la république qui dirige une enquête judiciaire sur la fosse commune, a déclaré le 11 mai à Human Rights Watch que 12 familles de personnes présumées tuées ou victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité en 2013 et 2014 avaient individuellement déposé des plaintes en justice réclamant l’exhumation des corps. Il a indiqué que son équipe s’efforçait d’obtenir confirmation des allégations avant de prendre une décision.
Le procureur a affirmé que le site était bien protégé. Cependant, Human Rights Watch s’est rendu sur place dans l’après-midi du 11 mai et a trouvé le site désert et non gardé.
Le site était délimité par une clôture de bois rudimentaire et un cordon de police, peu susceptibles de décourager quiconque aurait l’intention d’altérer les lieux.
« Le nombre croissant de plaintes en justice déposées par des familles dont certains membres ont disparu souligne qu’il est urgent d’exhumer le contenu de cette fosse commune », a affirmé Ida Sawyer.
« Le gouvernement congolais devrait honorer sa promesse d’exhumer les corps et donc protéger adéquatement la fosse en attendant. » Le décès dans des conditions suspectes, la nuit de l’inhumation de masse, d’un infirmier responsable d’une morgue de Kinshasa, soulève selon Human Rights Watch des préoccupations supplémentaires.
Dans la soirée du 18 mars, Claude Kakese, qui avait fini une formation en thanatologie et qui était chargé de la morgue de la clinique Ngaliema, l’un des principaux hôpitaux de Kinshasa, est décédé dans des circonstances suspectes dans ce qui a été présenté comme un accident de la route à quelques kilomètres de l’aéroport de Ndjili, sur la route de Maluku.
Un de ses collègues a déclaré à Human Rights Watch que Kakese avait la réputation de fournir des informations exactes sur les causes des décès des personnes dont les corps étaient apportés aux morgues de Kinshasa.
Sa famille pense que sa mort est liée à l’inhumation de masse à Maluku. Le lendemain, une station locale de télévision a affirmé que Kakese était mort dans un accident causé par la conduite en état d’ivresse et qu’une bouteille de whisky avait été trouvée dans sa voiture.
Mais un témoin arrivé sur les lieux peu après l’accident a affirmé à Human Rights Watch que des militaires de la Garde républicaine avaient entouré la voiture de Kakese et qu’il n’y avait pas de bouteille d’alcool.
Ce témoin a précisé que les militaires avaient donné des versions contradictoires des causes de l’accident. Il a affirmé avoir vu le corps de Kakese gisant sur les deux sièges à l’avant de la voiture, avec ce qui ressemblait à une blessure par balle sous le menton.
Des membres de la famille de Kakese ont affirmé avoir constaté une blessure similaire lorsqu’ils ont vu son corps à la morgue. Les autorités congolaises devraient faire effectuer une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort de Kakese et poursuivre en justice quiconque pourrait en être responsable, a affirmé Human Rights Watch.
La plainte conjointe déposée par des familles le 5 juin concernait des familles de personnes qui ont été exécutées sommairement ou victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité, lors de manifestations à Kinshasa en janvier 2015 visant à protester contre des propositions de modifier la loi électorale congolaise.
Parmi les autres signataires de la plainte conjointe figuraient des membres des familles de personnes exécutées sommairement ou disparues de force lors de l’« Opération Likofi », une campagne abusive de la police de Kinshasa en vue de neutraliser des bandes criminelles organisées, de novembre 2013 à février 2014.
« Le climat politique en RD Congo à l’approche des élections de 2016 devient de plus en plus répressif », a conclu Ida Sawyer.
« Les partenaires internationaux de ce pays devraient s’efforcer d’empêcher de nouvelles escalades de la violence et insister pour que les responsables de violations des droits humains soient amenés à rendre des comptes devant la justice. »
Les manifestations de janvier 2015
Selon des recherches effectuées par Human Rights Watch, au moins 38 civils ont été tués par balles par la police et par des membres de la Garde républicaine, le service de sécurité de la présidence, lors de manifestations à Kinshasa du 19 au 21 janvier.
De nombreuses victimes ont reçu des balles dans la tête ou dans la poitrine et semblaient avoir été visées délibérément.
Dans certains cas, les forces de sécurité ont emporté les cadavres et les familles n’ont pas pu les retrouver pour les enterrer. Dans d’autres cas, les forces de sécurité ont empêché les familles de récupérer les corps à la morgue.
Human Rights Watch a également documenté cinq cas dans lesquels des personnes arrêtées par la police ou par les Gardes républicains pendant les manifestations ont disparu.
Leurs familles n’ont pas été en mesure de les retrouver, que ce soit dans les prisons de Kinshasa, dans d’autres centres connus de détention ou dans les morgues.
Un employé d’une des principales morgues de Kinshasa, qui travaille comme garde et qui nettoie aussi les corps avant qu’ils soient rendus aux familles, a affirmé à Human Rights Watch que des responsables des services de sécurité l’avaient empêché, ainsi que d’autres employés civils, d’entrer dans la morgue pendant la semaine du 19 janvier et qu’ils avaient été remplacés dans leurs tâches quotidiennes par des agents de police.
Il a ajouté que des militaires de la Garde républicaine arrivaient à la morgue toutes les nuits vers minuit ou plus tard. « Ils entraient [dans la morgue] la nuit, puis repartaient, sans que nous sachions exactement ce qu’ils faisaient », a indiqué cet employé.
« Quand nous essayions de regarder de loin, nous pouvions voir qu’ils apportaient des cadavres dans des sacs qui ressemblaient à des bâches. Nous devions regarder discrètement car, s’ils vous surprennent, vous ne savez pas comment cela va se terminer pour vous. »
Un chirurgien opérant dans un hôpital auquel est affiliée une autre morgue à Kinshasa a affirmé que pendant la semaine du 19 janvier, les responsables de cette morgue avaient « changé l’équipe » y travaillant, et remplacée par un groupe d’agents de police ou des services de renseignement: « On nous a dit que des agents de police apportaient des corps [à la morgue] toutes les nuits entre 2h00 et 4h00 du matin pendant la semaine du 19 janvier. Le vendredi de cette semaine-là, la police est venue avec de gros camions et a emporté des corps, probablement pour cacher des preuves. » Une mère qui a signé la plainte conjointe a déclaré que son fils sourd et muet de 22 ans, qui était cireur de chaussures, a été tué par des militaires de la Garde républicaine pendant les manifestations du 20 janvier. Lorsque ses amis ont tenté d’emporter le cadavre de son fils après qu’il eut été tué, les Gardes républicains les en ont empêchés en tirant en l’air et ont eux-mêmes emporté le corps, a-t-elle dit. Elle n’a pas été en mesure de localiser le corps depuis lors. « Sa mort a été un coup très dur pour moi et je veux que justice soit rendue », a-t-elle ajouté. « Ma famille a été incapable d’organiser un deuil. Il n’était pas parmi les manifestants mais il se trouvait là parce que c’est là que lui et ses amis travaillaient comme cireurs de chaussures. Mon enfant a été tué comme ça, pour rien, et puisqu’il ne pouvait pas parler, je suppose que cela a été difficile pour lui de savoir ce qu’il se passait ce jour-là et qu’il devrait quitter les lieux à temps …. Je veux qu’ils me rendent son corps pour qu’il puisse au moins avoir un enterrement. »
Le père d’un autre jeune homme qui aurait été tué pendant les manifestations à Kinshasa le 20 janvier, a affirmé que son fils avait été tué par balles par un agent de police qui a emporté son corps. Ce père a lui aussi signé l’appel conjoint pour la justice.
Quand la famille de la victime s’est rendue à la morgue de l’hôpital général de Kinshasa pour tenter de retrouver son corps, un membre de la police militaire leur a ordonné de s’asseoir par terre et de donner leur argent, leurs téléphones et leurs ceintures.
Le père a affirmé que le policier leur avait alors dit: « Nous allons vous laisser partir mais ne revenez jamais ici car ces corps, c’est l’État qui s’en occupe. Oubliez-le comme quelqu’un qui a perdu ses clés. Partez et ne vous retournez pas. »
Un autre homme signataire de l’appel conjoint a affirmé que le 19 janvier, la police de Ndjili, à Kinshasa, avait arrêté son frère cadet, qui portait le drapeau d’un parti politique d’opposition, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), lors d’une manifestation contre les propositions de changements dans la loi électorale.
Sa famille n’a pas pu le retrouver, ni dans les prisons, ni dans les morgues de Kinshasa. Une semaine après la disparition de son jeune frère, le frère aîné a reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui a dit: « C’est toi qui veux trahir le pays. Il faut arrêter ça. Attention. »
« Quand j’ai vu l’information à la télévision [sur la fosse commune], j’ai eu un sentiment vraiment affreux », a ajouté le frère de la victime.
« J’y ai beaucoup pensé, parce qu’ils ont dit que ces corps n’étaient pas identifiés. Cela a été vraiment dur pour moi. Je ne sais pas si je reverrai jamais mon petit frère … Plus les jours passent, plus je désespère. Mon souci est que je veux le revoir. Il aurait pu devenir un grand homme dans sa vie. »
L’Opération Likofi
Lors de l’« Opération Likofi », menée de novembre 2013 à février 2014, la police de Kinshasa qui y a participé a tué extrajudiciairement au moins 51 jeunes hommes et garçons et en a fait disparaître de force au moins 33 autres, selon des recherches effectuées par Human Rights Watch.
La police a passé à tabac et humilié de nombreuses victimes devant la foule avant de les tuer, tandis que d’autres victimes ont été traînées de force hors de leur domicile et abattues sous les yeux de leur famille et de leurs voisins.
La police a mis en demeure les témoins et les membres des familles des victimes de ne pas parler publiquement de ce qui s’était passé et, dans de nombreux cas, elle a emporté les cadavres des victimes et empêché les membres de leurs familles de récupérer les corps ou d’organiser des obsèques.
Human Rights Watch, des familles de victimes, ainsi que d’autres ont appelé à l’époque le gouvernement congolais à faire rendre des comptes aux responsables de ces abus, notamment au général Célestin Kanyama, le commandant principal de cette opération. Il est maintenant commissaire provincial de la police pour la ville-province de Kinshasa.
Le gouvernement a annoncé en novembre 2014 qu’il avait ouvert une enquête sur les crimes commis durant l’Opération Likofi, et que son rapport sur l’opération serait rendu public avant la fin de 2014. Mais ce rapport n’a toujours pas été rendu public et aucun policier de haut rang n’a été arrêté ou tenu responsable de ces crimes.
Un homme dont le fils a été tué par des policiers qui participaient à l’Opération Likofi, et qui a signé l’appel conjoint, a déclaré à Human Rights Watch qu’il craignait que son fils ne figure parmi les personnes enterrées dans la fosse commune. La police a emporté le corps de son fils et il n’a pas pu le retrouver dans aucune des morgues de Kinshasa, ni organiser des obsèques.
« Si mon fils a fait du mal, ils auraient dû nous le dire », a-t-il dit. « Mais pourquoi l’ont-ils tué comme ça? Ils ont tué à coup de fusil mon fils aîné. L’État est censé nous protéger mais qu’est-ce que cette chose-là est devenue? »
Une mère dont le fils, âgé de 22 ans, a été victime d’une disparition forcée aux mains de policiers qui participaient à l’Opération Likofi, et qui a aussi signé l’appel conjoint, a déclaré: « Quand j’ai eu la nouvelle de Maluku, j’étais hors de moi. J’ai pensé que c’était mon fils qu’ils avaient enterré là-bas. Je me suis mise à penser qu’ils l’avaient caché, puis qu’ils avaient jeté là-bas [dans la fosse]. Quand je suis rentrée à la maison [après avoir appris les nouvelles concernant la fosse commune de Maluku], je me suis mise à pleurer, et la tension en moi n’a fait que monter. »
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Human Right Watch
© Congoindépendant
Une vue du cimetière Fula Fula à Maluku
Des familles craignent qu’elle ne contienne les cadavres de victimes des forces de sécurité. Les autorités de la République démocratique du Congo devraient sans tarder et de manière appropriée exhumer les corps enterrés dans une fosse commune qui pourrait contenir les cadavres de victimes de disparitions forcées ou d’exécutions commises par les forces de sécurité congolaises, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 5 juin 2015, les familles de 34 victimes ont déposé une plainte publique auprès du Procureur général de la République, réclamant justice et l’exhumation des corps inhumés dans cette fosse, située à Maluku, dans une zone rurale à environ 80 kilomètres de la capitale, Kinshasa.
Des habitants de cette zone, des dirigeants de l’opposition, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo (MONUSCO) et des organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, ont exprimé leur préoccupation au sujet de l’inhumation massive effectuée de nuit le 19 mars à la lisière du cimetière de Fula-Fula à Maluku, à laquelle des membres des forces de sécurité gouvernementales ont participé.
Le gouvernement n’a ni exhumé les dépouilles ni révélé les identités des personnes enterrées. « Deux mois après la découverte de la fosse commune à Maluku, les autorités congolaises n’ont toujours pas fait la lumière sur l’identité des personnes qui y sont enterrées », a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch.
« Les familles de victimes de violations des droits humains ont le droit de savoir si leurs proches sont parmi les personnes ensevelies dans cette fosse. »
Les autorités devraient effectuer immédiatement une opération d’exhumation en bonne et due forme, avec l’aide d’experts internationaux, a déclaré Human Rights Watch.
Des gouvernements étrangers, ainsi que les Nations Unies, devraient appuyer cette investigation, y compris en fournissant des experts en médecine légale qui seraient chargés d’aider à exhumer les corps et d’effectuer des analyses d’ADN.
Les circonstances inhabituelles de cet enfouissement de masse a accentué la crainte que ce cimetière soit utilisé pour dissimuler les corps de victimes d’abus commis par le gouvernement, a souligné Human Rights Watch.
Une femme de Maluku a déclaré à Human Rights Watch que le 19 mars vers 2h00 du matin, alors qu’elle rentrait chez elle à pied d’une veillée de nuit dans son église, elle a vu un gros camion à benne entrer dans le cimetière de Fula-Fula.
Elle a affirmé que plus d’une dizaine d’hommes en uniforme militaire se trouvaient à bord du camion, ainsi que d’autres en tenue civile, et qu’une grande bâche blanche recouvrait le contenu du camion.
Le propriétaire d’un champ situé à côté du cimetière a déclaré que le 19 mars vers 5h00 du matin, il a vu un gros camion à benne et des hommes qui pelletaient de la terre à la limite du cimetière. Quand il est retourné à son domicile ce matin-là, des hommes qui lui ont paru appartenir aux services de renseignement l’ont accosté et lui ont demandé ce qu’il avait vu au cimetière.
Au cours des jours et des semaines suivants, des hommes non identifiés se sont présentés à son domicile à au moins quatre reprises, puis sur son lieu de travail, où ils l’ont accusé d’avoir « divulgué le secret » au sujet de la fosse commune. Début avril, il a reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui a dit: « Toi, attends. Tu vas mourir. »
La découverte de la fosse commune est survenue dans un contexte de tensions politiques croissantes et d’une répression de plus en plus sévère à l’encontre d’activistes, de dirigeants politiques et d’autres personnes qui se sont opposées aux tentatives visant à permettre au président congolais, Joseph Kabila, de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite de deux mandats imposée par la constitution, son second mandat se terminant fin 2016.
Le 3 avril, Évariste Boshab, vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur de la RD Congo, a annoncé, lors d’une réunion avec d’autres officiels de haut rang du gouvernement et des forces de sécurité, des représentants de Human Rights Watch et de la MONUSCO ainsi que des journalistes congolais, que 421 corps avaient été inhumés dans la fosse commune.
Il a affirmé que cette inhumation était une « procédure normale » et que les dépouilles étaient celles d’indigents dont les familles n’avaient pas les moyens de financer un enterrement classique, de personnes décédées non identifiées et de bébés morts-nés.
Toutefois, des responsables de la Croix-Rouge congolaise ainsi que des employés d’hôpitaux et de morgues ont affirmé à Human Rights Watch que cet enterrement massif n’était pas une procédure normale.
Ils ont indiqué que la pratique habituelle concernant les bébés morts-nés était de les enterrer le même jour ou dans les deux jours suivant le drame, soit souvent dans des endroits réservés dans l’enceinte de l’hôpital, soit par les familles elles-mêmes dans un cimetière.
Les corps de personnes indigentes et les cadavres non identifiés sont habituellement inhumés de jour dans des cercueils bon marché lors d’un enterrement digne dans l’un des cimetières de Kinshasa, si personne ne réclame le corps après l’annonce publique de sa découverte.
Évariste Boshab a affirmé, lors de la réunion du 3 avril, que si des doutes subsistaient sur les identités des personnes enterrées dans la fosse, les corps seraient exhumés.
Le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, qui participait à cette réunion, s’est fait l’écho de l’engagement de son collègue de faire exhumer les corps en cas de tels doutes.
Ghislain Mwehu Kahozi, un procureur de la république qui dirige une enquête judiciaire sur la fosse commune, a déclaré le 11 mai à Human Rights Watch que 12 familles de personnes présumées tuées ou victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité en 2013 et 2014 avaient individuellement déposé des plaintes en justice réclamant l’exhumation des corps. Il a indiqué que son équipe s’efforçait d’obtenir confirmation des allégations avant de prendre une décision.
Le procureur a affirmé que le site était bien protégé. Cependant, Human Rights Watch s’est rendu sur place dans l’après-midi du 11 mai et a trouvé le site désert et non gardé.
Le site était délimité par une clôture de bois rudimentaire et un cordon de police, peu susceptibles de décourager quiconque aurait l’intention d’altérer les lieux.
« Le nombre croissant de plaintes en justice déposées par des familles dont certains membres ont disparu souligne qu’il est urgent d’exhumer le contenu de cette fosse commune », a affirmé Ida Sawyer.
« Le gouvernement congolais devrait honorer sa promesse d’exhumer les corps et donc protéger adéquatement la fosse en attendant. » Le décès dans des conditions suspectes, la nuit de l’inhumation de masse, d’un infirmier responsable d’une morgue de Kinshasa, soulève selon Human Rights Watch des préoccupations supplémentaires.
Dans la soirée du 18 mars, Claude Kakese, qui avait fini une formation en thanatologie et qui était chargé de la morgue de la clinique Ngaliema, l’un des principaux hôpitaux de Kinshasa, est décédé dans des circonstances suspectes dans ce qui a été présenté comme un accident de la route à quelques kilomètres de l’aéroport de Ndjili, sur la route de Maluku.
Un de ses collègues a déclaré à Human Rights Watch que Kakese avait la réputation de fournir des informations exactes sur les causes des décès des personnes dont les corps étaient apportés aux morgues de Kinshasa.
Sa famille pense que sa mort est liée à l’inhumation de masse à Maluku. Le lendemain, une station locale de télévision a affirmé que Kakese était mort dans un accident causé par la conduite en état d’ivresse et qu’une bouteille de whisky avait été trouvée dans sa voiture.
Mais un témoin arrivé sur les lieux peu après l’accident a affirmé à Human Rights Watch que des militaires de la Garde républicaine avaient entouré la voiture de Kakese et qu’il n’y avait pas de bouteille d’alcool.
Ce témoin a précisé que les militaires avaient donné des versions contradictoires des causes de l’accident. Il a affirmé avoir vu le corps de Kakese gisant sur les deux sièges à l’avant de la voiture, avec ce qui ressemblait à une blessure par balle sous le menton.
Des membres de la famille de Kakese ont affirmé avoir constaté une blessure similaire lorsqu’ils ont vu son corps à la morgue. Les autorités congolaises devraient faire effectuer une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort de Kakese et poursuivre en justice quiconque pourrait en être responsable, a affirmé Human Rights Watch.
La plainte conjointe déposée par des familles le 5 juin concernait des familles de personnes qui ont été exécutées sommairement ou victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité, lors de manifestations à Kinshasa en janvier 2015 visant à protester contre des propositions de modifier la loi électorale congolaise.
Parmi les autres signataires de la plainte conjointe figuraient des membres des familles de personnes exécutées sommairement ou disparues de force lors de l’« Opération Likofi », une campagne abusive de la police de Kinshasa en vue de neutraliser des bandes criminelles organisées, de novembre 2013 à février 2014.
« Le climat politique en RD Congo à l’approche des élections de 2016 devient de plus en plus répressif », a conclu Ida Sawyer.
« Les partenaires internationaux de ce pays devraient s’efforcer d’empêcher de nouvelles escalades de la violence et insister pour que les responsables de violations des droits humains soient amenés à rendre des comptes devant la justice. »
Les manifestations de janvier 2015
Selon des recherches effectuées par Human Rights Watch, au moins 38 civils ont été tués par balles par la police et par des membres de la Garde républicaine, le service de sécurité de la présidence, lors de manifestations à Kinshasa du 19 au 21 janvier.
De nombreuses victimes ont reçu des balles dans la tête ou dans la poitrine et semblaient avoir été visées délibérément.
Dans certains cas, les forces de sécurité ont emporté les cadavres et les familles n’ont pas pu les retrouver pour les enterrer. Dans d’autres cas, les forces de sécurité ont empêché les familles de récupérer les corps à la morgue.
Human Rights Watch a également documenté cinq cas dans lesquels des personnes arrêtées par la police ou par les Gardes républicains pendant les manifestations ont disparu.
Leurs familles n’ont pas été en mesure de les retrouver, que ce soit dans les prisons de Kinshasa, dans d’autres centres connus de détention ou dans les morgues.
Un employé d’une des principales morgues de Kinshasa, qui travaille comme garde et qui nettoie aussi les corps avant qu’ils soient rendus aux familles, a affirmé à Human Rights Watch que des responsables des services de sécurité l’avaient empêché, ainsi que d’autres employés civils, d’entrer dans la morgue pendant la semaine du 19 janvier et qu’ils avaient été remplacés dans leurs tâches quotidiennes par des agents de police.
Il a ajouté que des militaires de la Garde républicaine arrivaient à la morgue toutes les nuits vers minuit ou plus tard. « Ils entraient [dans la morgue] la nuit, puis repartaient, sans que nous sachions exactement ce qu’ils faisaient », a indiqué cet employé.
« Quand nous essayions de regarder de loin, nous pouvions voir qu’ils apportaient des cadavres dans des sacs qui ressemblaient à des bâches. Nous devions regarder discrètement car, s’ils vous surprennent, vous ne savez pas comment cela va se terminer pour vous. »
Un chirurgien opérant dans un hôpital auquel est affiliée une autre morgue à Kinshasa a affirmé que pendant la semaine du 19 janvier, les responsables de cette morgue avaient « changé l’équipe » y travaillant, et remplacée par un groupe d’agents de police ou des services de renseignement: « On nous a dit que des agents de police apportaient des corps [à la morgue] toutes les nuits entre 2h00 et 4h00 du matin pendant la semaine du 19 janvier. Le vendredi de cette semaine-là, la police est venue avec de gros camions et a emporté des corps, probablement pour cacher des preuves. » Une mère qui a signé la plainte conjointe a déclaré que son fils sourd et muet de 22 ans, qui était cireur de chaussures, a été tué par des militaires de la Garde républicaine pendant les manifestations du 20 janvier. Lorsque ses amis ont tenté d’emporter le cadavre de son fils après qu’il eut été tué, les Gardes républicains les en ont empêchés en tirant en l’air et ont eux-mêmes emporté le corps, a-t-elle dit. Elle n’a pas été en mesure de localiser le corps depuis lors. « Sa mort a été un coup très dur pour moi et je veux que justice soit rendue », a-t-elle ajouté. « Ma famille a été incapable d’organiser un deuil. Il n’était pas parmi les manifestants mais il se trouvait là parce que c’est là que lui et ses amis travaillaient comme cireurs de chaussures. Mon enfant a été tué comme ça, pour rien, et puisqu’il ne pouvait pas parler, je suppose que cela a été difficile pour lui de savoir ce qu’il se passait ce jour-là et qu’il devrait quitter les lieux à temps …. Je veux qu’ils me rendent son corps pour qu’il puisse au moins avoir un enterrement. »
Le père d’un autre jeune homme qui aurait été tué pendant les manifestations à Kinshasa le 20 janvier, a affirmé que son fils avait été tué par balles par un agent de police qui a emporté son corps. Ce père a lui aussi signé l’appel conjoint pour la justice.
Quand la famille de la victime s’est rendue à la morgue de l’hôpital général de Kinshasa pour tenter de retrouver son corps, un membre de la police militaire leur a ordonné de s’asseoir par terre et de donner leur argent, leurs téléphones et leurs ceintures.
Le père a affirmé que le policier leur avait alors dit: « Nous allons vous laisser partir mais ne revenez jamais ici car ces corps, c’est l’État qui s’en occupe. Oubliez-le comme quelqu’un qui a perdu ses clés. Partez et ne vous retournez pas. »
Un autre homme signataire de l’appel conjoint a affirmé que le 19 janvier, la police de Ndjili, à Kinshasa, avait arrêté son frère cadet, qui portait le drapeau d’un parti politique d’opposition, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), lors d’une manifestation contre les propositions de changements dans la loi électorale.
Sa famille n’a pas pu le retrouver, ni dans les prisons, ni dans les morgues de Kinshasa. Une semaine après la disparition de son jeune frère, le frère aîné a reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui a dit: « C’est toi qui veux trahir le pays. Il faut arrêter ça. Attention. »
« Quand j’ai vu l’information à la télévision [sur la fosse commune], j’ai eu un sentiment vraiment affreux », a ajouté le frère de la victime.
« J’y ai beaucoup pensé, parce qu’ils ont dit que ces corps n’étaient pas identifiés. Cela a été vraiment dur pour moi. Je ne sais pas si je reverrai jamais mon petit frère … Plus les jours passent, plus je désespère. Mon souci est que je veux le revoir. Il aurait pu devenir un grand homme dans sa vie. »
L’Opération Likofi
Lors de l’« Opération Likofi », menée de novembre 2013 à février 2014, la police de Kinshasa qui y a participé a tué extrajudiciairement au moins 51 jeunes hommes et garçons et en a fait disparaître de force au moins 33 autres, selon des recherches effectuées par Human Rights Watch.
La police a passé à tabac et humilié de nombreuses victimes devant la foule avant de les tuer, tandis que d’autres victimes ont été traînées de force hors de leur domicile et abattues sous les yeux de leur famille et de leurs voisins.
La police a mis en demeure les témoins et les membres des familles des victimes de ne pas parler publiquement de ce qui s’était passé et, dans de nombreux cas, elle a emporté les cadavres des victimes et empêché les membres de leurs familles de récupérer les corps ou d’organiser des obsèques.
Human Rights Watch, des familles de victimes, ainsi que d’autres ont appelé à l’époque le gouvernement congolais à faire rendre des comptes aux responsables de ces abus, notamment au général Célestin Kanyama, le commandant principal de cette opération. Il est maintenant commissaire provincial de la police pour la ville-province de Kinshasa.
Le gouvernement a annoncé en novembre 2014 qu’il avait ouvert une enquête sur les crimes commis durant l’Opération Likofi, et que son rapport sur l’opération serait rendu public avant la fin de 2014. Mais ce rapport n’a toujours pas été rendu public et aucun policier de haut rang n’a été arrêté ou tenu responsable de ces crimes.
Un homme dont le fils a été tué par des policiers qui participaient à l’Opération Likofi, et qui a signé l’appel conjoint, a déclaré à Human Rights Watch qu’il craignait que son fils ne figure parmi les personnes enterrées dans la fosse commune. La police a emporté le corps de son fils et il n’a pas pu le retrouver dans aucune des morgues de Kinshasa, ni organiser des obsèques.
« Si mon fils a fait du mal, ils auraient dû nous le dire », a-t-il dit. « Mais pourquoi l’ont-ils tué comme ça? Ils ont tué à coup de fusil mon fils aîné. L’État est censé nous protéger mais qu’est-ce que cette chose-là est devenue? »
Une mère dont le fils, âgé de 22 ans, a été victime d’une disparition forcée aux mains de policiers qui participaient à l’Opération Likofi, et qui a aussi signé l’appel conjoint, a déclaré: « Quand j’ai eu la nouvelle de Maluku, j’étais hors de moi. J’ai pensé que c’était mon fils qu’ils avaient enterré là-bas. Je me suis mise à penser qu’ils l’avaient caché, puis qu’ils avaient jeté là-bas [dans la fosse]. Quand je suis rentrée à la maison [après avoir appris les nouvelles concernant la fosse commune de Maluku], je me suis mise à pleurer, et la tension en moi n’a fait que monter. »
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Human Right Watch
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