mercredi 4 mai 2011

De la différence entre sauve-qui-veut et sauve-qui-peut


Notre présence ici est une anomalie. Une curiosité. Une erreur peut-être.

Qu’allait-on faire dans cette galère ? La réponse, certains jours, se fait attendre. La réponse, certains autres, est « sauve qui peut ». L‘idée parcourt le corps et l’esprit comme une piqûre de moustique. Subreptice et insidieuse d’abord, elle finit par enfler et démanger jusqu’à l’obsession, déclenchant des accès de rage, folle, aussi vite partis qu’ils sont montés, certes, mais jusqu’à quand ? Depuis que nous sommes rentrés à Kinshasa, les moustiques attaquent dès le matin et en bandes, préambule horripilant aux tracasseries et autres atermoiements professionnels de la journée.
Louise bourgeois
Les Congolais sont légion à déclarer qu’ils ne remettraient jamais les pieds en RDCongo s’ils parvenaient à en sortir. Beaucoup se demandent donc ce qu’on fait là, puisque contrairement à eux, on a le choix et si peu d’avantages –financiers s’entend - à rester. Des expats sans condition d’expats ? Des occidentaux sans mission grassement payée à effectuer ici ? Des journalistes qui n’ont pas les moyens de payer pour informer, d’avoir un chauffeur, de soudoyer les services administratifs pour qu’ils fassent leur boulot ? « En tout cas, vraiment », il y a quelque chose qui cloche.
© Louise Bourgeois
Très loin d’être confrontés aux difficultés quotidiennes des Congolais, je partage néanmoins avec eux quelques ennuis et un certain sens de la révolte qui vire parfois, et trop souvent, au découragement. Administratifs, climatiques, sanitaires, alimentaires,  les tracasseries en RDC se terrent dans tous les coins de la vie quotidienne à l’affût de la moindre faille. C’est un jeu constant contre des ennemis de toutes tailles qui ont l’ingéniosité de se combiner ou de se passer le relais pour que tu craques. C’est pourquoi il suffit parfois d’un rien pour que tu perdes la bataille.
De fait, la journée peut sembler longue quand elle commence à 3h30 du mat, heure du combat vocal des coqs hurleurs. En pleine mue et manifestement travaillés par leurs hormones, les gallinacés s’acharnent des heures durant à faire vibrer leurs cordes de crécelles rouillées pour atteindre le point culminant de la stridence à l’aide exclusive de trois notes modulées sur quelques dixièmes de tons. C’est en général vers 5 heures que les moustiques prennent le relais, profitant du remue-ménage de l’insomniaque pour se faufiler dans les trous de la moustiquaire et attaquer. Il m’est arrivé  aussi de tomber un cadavre de cafard dévoré par des centaines de fourmis en tentant d’ajuster la moustiquaire défaite et d’être envahie par les ouvrières en goguette sur le matelas.
A 7HOO, difficile d’être vraiment frais. Mais c’est la meilleure heure, pas question de dormir, dès 10 h le mercure atteindra son niveau de croisière, oscillant sur la vague des 35°C.
De toute façon, pour les rdv en matinée, mieux vaut anticiper. Il faut compter deux heures en moyenne pour arriver au but : le temps de deux changements de transports et de se frayer un chemin au travers d'un écheveau de véhicules embrouillé sur 6 voies, contre-allées et voies interdites comprises.
Il arrive même de perdre davantage de temps et d’argent si tu prends un taxi avec l’idée d’aller plus vite. Car tu t ‘exposes alors à tomber sur un « roulage », un agent de la  circulation dont le salaire provient exclusivement du racket « légal » des automobilistes (pour preuve qu’il sont autorisés à exercer cette activité le reste de l’année, une semaine de courtoisie est imposée chaque année par l’Etat).
Ainsi, ce matin, notre chauffeur s’est fait tranquillement subtiliser ses papiers dans la portière de son véhicule par un agent, et, sans raison, a dû versé 5000 frcs (Plus de 5 $) à l’officier pour les récupérer. « Voleurs ! voleurs ! voleurs ! tous des voleurs dans ce pays ! », pestait-il encore quand nous sommes enfin arrivés à destination.
Là, nous avons trouvé porte close. Un mail d’annulation provenant de l’agence internationale qui organisait l’évènement « s’était perdu » dans les tuyaux d’internet.
La semaine dernière, fiasco au Musée. Le directeur du Musée national de Kinshasa, dont très peu de personnes soupçonne jusqu’à l’existence pour le moment et dont 90% des trésors croupissent dans l’ombre des réserves par manque de fonds, nourrit une haine profonde pour les médias occidentaux.
Selon lui, un correspondant de Reuters aurait compromis la réhabilitation de la statue de Stanley par son article critique vis-à-vis de la restauration d’un « sanguinaire explorateur qui découvrit le Congo ». Résultat : le directeur ne voit pas l’intérêt d’un article de promotion de son Musée, même dans un magazine touristique, et bien que personne ne vienne jusqu’à présent faire la visite de l’unique salle d’exposition, à la lampe torche puisqu’il n’y a pas d’électricité non plus.
Musee_photo                                        La visite du Musée national de Kinshasa. N'oubliez pas votre "braqueuse".
Avant hier, un de ses voyages qui prend la moitié de la journée servit à convaincre un catcheur incrédule que nous n’avons pas les moyens d’organiser un tournoi de catch national ou de subventionner un long métrage et que nous souhaitions témoigner des évènements tels qu’ils sont. Après une bonne heure et demi de palabres (dont j’ignore encore l’issue), nous quittons Matete, dans la cité – pour la « ville », l’ex-quartier colonial encore majoritairement habité par les blancs et les nantis. Au moment de partir, devant les « transports » (les minibus infernaux, voir note « shake your finger babe »), il s’arrête, de plus en plus perplexe : «  Et vous prenez aussi les transports ??? ».
- Oui. Aussi. (Il commence alors à nous croire).
On "fait même les pieds", ce qui étonne tellement les "occidentaux" qu'ils s'arrêtent souvent pour nous demander si nous n'avons pas d'ennuis et nous proposer de nous ramener - service ô combien inestimable quand c'est en pleine journée, qu'il fait 40°C et qu'aucun transport n'est passé dans la rue depuis une demi-heure.
Après tous ces rdv ratés et le quart d’heure d'attente réglementaire pour ouvrir un mail, j'ouvre finalement le message d’un rédacteur en chef parisien. Des insultes. Pour avoir protesté contre l'entorse qu'il avait faite à notre accord (dont les termes financiers correspondent à une journée de travail à Paris en échange d'un reportage de plus de 10 000 signes, de photos, travail qui a coûté 10 fois plus, rien qu'en frais, et pris plus de trois semaines à réaliser). N’est-ce pas déjà un honneur que d’être publié ? 
Si tu perds ton humour ou ton sens de la dérision t’es foutu.
D’autant que pour l’instant, nous sommes tenus de rester. Notre billet retour a été englouti par la guerre en Libye. Nous avons la bonne idée de venir ici avec la compagnie lybienne Afriqiyah (voir note Paris-Tripoli-Kinshasa)…
Pour l’équilibre, j'aessaie de dresser un inventaire des belles choses, des libertés que donnent un pays encore anarchique,  des anecdotes insolites et des évenements fascinants auxquels nous sommes mêlés,  je visionne des images du Kisangani plus souriant que nous savons quitté (en ligne dès que j'aurai une connexion suffisante).
En pensant aux Congolais qui font face aux mêmes problèmes tous les jours, auxquels s'ajoutent des difficultés bien plus graves, d’une autre nature, j'ai honte de cette litanie plaintive. Eux n’ont pas la possibilité de fuir, ils pestent mais font avec, rares à baisser les bras.
Comme cette famille qui essaie d'obtenir justice, rencontrée cette semaine à la prison centrale de Kinshasa -où G. a failli rester. Objet d'une prochaine note.

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