dimanche 21 août 2011

Ceni : Quid du nettoyage du fichier électoral?



Le très controversé Daniel Mulunda Ngoy Nyanga, président de la Ceni.

Aucune élection ne peut être qualifiée de libre, démocratique et transparente si personne n’est sûre de la qualité des électeurs inscrits. Il faut donc s’assurer que seuls les citoyens jouissant de la capacité de voter (selon la loi électorale), sont repris dans le fichier électoral. Il faut ensuite s’assurer du respect du sacro-saint principe : «une personne, une voix». Ce principe est généralement garanti à deux niveaux, une première fois au moment de la confection du fichier électoral par une opération d’enrôlement ou une extraction du registre de population (quand il y en a !), et une deuxième fois le jour du scrutin sur base d’un document (convocation ou carte d’électeur) réputé unique ou par l’application d’un encre indélébile sur un des doigts de l’électeur ayant accompli son devoir.
Kinshasa. Correspondance particulière.

Dans le cas de la RD Congo, l’unicité au premier niveau se fait par la capture des empreintes digitales et au deuxième niveau par l’usage de l’encre indélébile. Nous allons ici nous interroger sur ce qu’a fait la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) pour s’assurer que le fichier électoral sur base duquel elle a élaboré son projet d’annexes à la loi électorale présente des garanties énumérées ci-haut.

Empreintes digitales et compilation des données 

La capture des empreintes digitales fait partie des moyens d’identification dits biométriques. Il s’agit de mettre sous forme numérique (interprétable par une machine ou un humain) une donnée biologique ou physique d’une personne qui permet de l’identifier de manière univoque. Cette donnée peut être l’empreinte digitale, la reconnaissance de l’iris, la reconnaissance vocale, la reconnaissance faciale, l’ADN, etc. Pour les opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs en RD Congo, c’est l’empreinte digitale qui est utilisée.

Comme l’enrôlement a été fait par des ordinateurs non-reliés en réseau, le système utilisé peut au mieux refuser qu’une même personne s’inscrive dans un même centre d’enrôlement plus d’une fois. Rien n’empêche que la même personne aille s’enrôler une deuxième fois dans un autre centre qui n’est relié à aucun autre.

Dans un tel système, il est impératif de rassembler toutes les données à la fin des opérations (la fameuse compilation des données) et les traiter avec un programme informatique pour détecter les doublons et supprimer les enrôlements multiples (avec poursuites judicaires pour des cas plus systématiques). C’est le fameux nettoyage du fichier électoral. Sans cette étape, le fichier électoral ne représente aucune garantie légale ni représentative de la population.

A propos de la compilation des données, on apprenait que deux membres du Bureau de la Ceni issus de l’opposition, Jacques Ndjoli (MLC) et Laurent Ndaye Nkondo (ODR), ont adressé au président de la Ceni une correspondance dans laquelle ils font état de la "disparition" de "plusieurs millions d’électeurs" du fichier électoral. Il semble bien que plusieurs CD "ont disparu" entre les centres d’enrôlement et les centres de compilation. Il sera difficile d’étouffer un tel scandale. Le législateur a prévu en effet la publication de la liste des électeurs par province et par circonscription électorale au plus tard trente jours avant la date du début de la campagne électorale ( Article 6 alinéa 2 de la loi n°11/003 du 25 juin 2011 modifiant la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales).

Traitement des doublons

En 2005, après six mois d’opérations d’identification et d’enrôlement, les experts de la défunte Cei (Commission électorale indépendante), épaulés par la société Sagem, s’étaient chargés de faire ce nettoyage. Lors de la toute première phase de ce "toilettage", 300.398 enregistrements correspondants à deux électeurs ayant les mêmes empreintes digitales ont été dénichés rien que pour la ville de Kinshasa. Cela correspond à près de 150.199 tricheurs potentiels. Potentiels, car le système d’identification par empreinte digitale présente quelques imperfections liées à la limite de la précision du code chiffré. En cas de doute, on recourt à la photographie et/ou à la signature par exemple pour s’assurer qu’il s’agit de la même personne. Les différents systèmes utilisés pour la capture d’empreintes digitales sont d’ailleurs classés selon leur probabilité, très marginale en général, de se tromper (le système peut-il confondre erronément deux personnes distinctes ou accepter une personne déjà existante).

En ce qui concerne les consultations politiques à venir, les opérations d’enrôlement ont été réalisées par vagues successives de quelques provinces, deux ou trois à la fois. On peut imaginer la latitude laissée aux personnes d’aller s’enrôler où et quand ils le souhaitent. Comment pourrait-on, dès lors, faire confiance à un tel fichier?

Quelques deux semaines après la clôture officielle des opérations d’enrôlement, voilà que la Ceni a apprêté des annexes à la loi électorale sur base d’un fichier dont personne n’a vu ou entendu parler de nettoyage. Ces annexes ont été remises le vendredi 29 juillet au ministre de l’Intérieur par le président de la Ceni. En personne. Pour les experts, le nettoyage d’un tel fichier est tout sauf un jeu d’enfants. Une telle opération doit faire l’objet d’un projet minutieux et rigoureux. Et ce pour la simple raison que la Ceni est parti de zéro en n’héritant pas les données provenant des opérations électorales de 2005. D’aucuns s’étonnent de la précipitation avec laquelle un prétendu nettoyage a été annoncé, si nettoyage il y a eu.

Il va sans dire que si l’enrôlement s’était fait avec des ordinateurs reliés en réseau avec un serveur central, la personne se présentant une deuxième fois allait se voir rejeter et l’opérateur de la Ceni allait avoir la possibilité de juger s’il s’agit d’un cas avéré de doublon. Le traitement des doublons doit se faire avec une équipe ayant une expérience éprouvée. Dans les meilleurs des cas, vu le nombre d’enregistrement à traiter, c’est une opération pouvant s’étaler sur une période d’un mois. Suite aux marges d’erreur, un traitement secondaire de comparaison de photos (par ordinateur ou par l’être humain) pourra alors aider pour rejeter ou non le doublon.

Nettoyage du fichier 

Une enquête plus rigoureuse, mais aussi plus coûteuse, aurait pu par exemple confronter le fichier actuel avec le fichier de 2005, pour étudier les écarts et en trouver les explications sur base des estimations démographiques. Quelle est la part des électeurs qui reste stable ? Quels sont les nouveaux électeurs depuis 2005? Comment expliquer le changement des données biométriques chez certaines personnes? Etc. Le coût d’une telle approche ne joue cependant pas en sa faveur.

En conclusion, on ne peut qu’être déçu quand on voit qu’une question aussi cruciale que la "qualité d’électeur", est ignorée par la majorité des officines politiques congolaises. Seule l’UDPS a compris l’enjeu de cette phase dans l’élaboration du fichier électoral et l’a explicitement manifesté dans son mémo déposé à la Ceni. Très peu de partis d’opposition l’ont suivi dans cette démarche. Incompétence?

Une question reste posée : Où et quand Daniel Ngoy Mulunda, président de la Ceni a-t-il procédé au nettoyage du fichier sur base duquel il a fait une proposition des annexes à loi électorale? Cette interrogation concerne au plus au haut point le numéro un de cette Commission. A l’entendre parler, la Ceni c’est lui! Dans la mesure où le nombre des sièges par circonscription a été déterminé sur base de ce fichier, répondre à cette question est déjà une première étape pour s’assurer de la légalité et de la fiabilité du processus électoral en préparation.
Maurice Ka
© Congoindépendant 2003-2011

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